[Interview] Le Grand Salon Volant Festival

Les gens attentifs et parisiens ont eu vent que le Louxor n’était pas qu’une salle de cinéma. Parmi la programmation se niche en effet les délicieux rendez-vous des Salons Volants, qui invite au voyage spatio-temporelle entre ici et ailleurs, entre tradition et expérimentation. Chose formidable, ces transports musicaux se transforment en festival, du 17 au 20 novembre.

Pour en savoir un peu plus sur ces trois jours de fesitval, nous avons demandé à son fondateur, Alexis Paul, de nous décrire le chemin qu’il a emprunté pour arriver à ce rendez-vous inédit. Alexis Paul, par ailleurs moitié de Belle Arché Lou et porteur du projet Saudaá Group, est en effet un homme du chemin, aussi bien géographiquement que musicalement, l’empruntant toujours à la recherche de l’autre, cette lumière tournée différemment sur le monde. C’est ainsi qu’il parvient à réunir, sur trois jours, des musiciens venus aussi bien de la pop que de la musique traditionnel, du Magam irakien à la chanson française. Lui poser quelques questions ne pouvait être qu’éminemment intéressant.

 

Kiblind : Peux-tu nous expliquer le principe des évènements Salon Volant ?

Alexis Paul : Toute l’année 2016, j’ai mené un projet autour du monde et collaboré avec des musiciens dans le cadre de Saudaá Group, mon projet de création à l’orgue de barbarie. L’idée du Salon Volant, c’était d’inviter en France quelques-uns de ces musiciens, pour poursuivre l’échange et créer du mouvement. En m’inspirant de la symbolique du tapis volant et des petits concerts organisés au Salon du Louxor (à l’époque du festival Humanist SK), j’ai eu l’idée d’un rendez-vous qui ferait voyager les gens depuis un salon parisien. En fait, le Salon Volant est un syncrétisme du tapis volant et du salon du Louxor. Question programmation, j’ai voulu éviter le folklore ou l’étiquette « musique du monde » en invitant des artistes qui jouent d’instruments traditionnels mais qui par ailleurs expérimentent ou tentent des associations nouvelles.

 

Kiblind : Pourquoi avoir voulu passer au format festival et hors les murs ?

Alexis Paul : Tout simplement parce que le Louxor Cinéma qui accueillait et produisait le rendez-vous jusque là a décidé de mettre en veille l’évènement pour des raisons budgétaires. Le temps de trouver un modèle plus approprié et de remettre le radeau à flots, j’ai décidé de faire (vraiment) voler ce salon et de l’élargir d’un point de vue esthétique et géographique.

Kiblind : Comment as-tu choisi les artistes présents ?

Alexis Paul : Tous les artistes présents, en dehors de Belle Arché Lou (qui est mon propre projet) sont le fruit de mes rencontres et de mon itinéraire ici ou ailleurs. C’est la raison pour laquelle il y a des choses très variées, qui vont du Maqam à la pop. Il y a Jean-Charles Versari (et sa reformation des « Hurleurs »), qui à l’époque de T-rec, a été pour moi un vrai exemple d’attitude indé ; il y a Pauline Drand, amie-ovni de la chanson française ; il y a Layale Chaker, violoniste classique et compositrice de talent qui présentera une réécriture du chef d’oeuvre de Serguei Paradjanov Sayat Nova, la couleur de la grenade ; il y a Damiane Gordeladze et Christine Zayed, deux jeunes musiciens de Géorgie et de Palestine avec qui j’ai récemment collaboré ; enfin, il y a Leila Adu qui m’a été présentée et dont la voix m’a beaucoup plu. Pas de programmation vraiment calculée donc, juste un cercle de personnes qui ne se connaissent pas mais que je connais toutes!

 

Kiblind : Le voyage semble être quelque chose de très important dans ton approche de la musique. Qu’est-ce que cela t’apporte ou t’as apporté ?

Alexis Paul : Plus que le voyage, qui en soit ne m’intéresse pas tellement, me déprime même, c’est plutôt ce qu’il produit. À travers le voyage dans une idée de réciprocité (je veux dire apporter autant que recevoir), on accède à des émotions et des états que j’appellerai de « solitude interactive ». En fait, c’est un endroit où la mélancolie et la sensibilité peuvent prendre des proportions intéressantes et devenir des forces grandioses là où dans la société elles sont vues comme des faiblesses ou, pire, des handicaps. Du coup, associées à la musique, elles créent une sorte d’état de grâce qu’il est très difficile de décrire. C’est un endroit magique, dangereux parfois, qui ne convient pas à tous mais à moi, il me convient. Cette prise de recul sur soi même et sur sa zone de confort nous apprend qu’en dehors de notre famille et de nos amis, toutes nos constructions sont très anecdotiques. Oui, c’est une vision très romantique, mais pour ne pas tomber dans ce qu’on appelle l’orientalisme, ou l’exotisme, Édouard Glissant et son concept de « tout-monde » ne sont jamais très loin de moi…

Kiblind : Il y a aussi la recherche d’une certaine authenticité dans la tradition. Que peuvent la musique et les instruments traditionnels pour la musique actuelle ?

Alexis Paul : Venant plutôt du « rock indé » et de la « musique expérimentale », ta question m’intéresse particulièrement. Le monde des musiques traditionnelles est en fait assez nouveau pour moi. Je dirais même que je ne l’envisage que partiellement et c’est ici que se trouve le paradoxe du Salon volant. Tous ces musiciens et ces instruments magnifiques peuvent énormément de choses pour la musique actuelle (j’entends par là porteuse de renouveau) mais très peu s’y attelle, parce que bien souvent, il y a la reproduction sociale, lignée, transmission de maître à maître, poids du folklore, codes ou manières, etc… Du coup, beaucoup de conservatisme aussi. Se pose alors la question des différences entre rituels et musiques… Trouver des gens qui viennent de là et qui sont aussi prêts à déconstruire, c’est assez difficile, ça demande une véritable ouverture d’esprit. C’est la démarche que j’essaye de transmettre avec mon orgue également, sortir du « folklore pure » et le rendre en miroir. L’idée n’est pas de refuser les traditions mais d’être capable de sortir d’une torpeur relative. Pas seulement dans le jeu, la musique est bien plus large qu’elle-même, et c’est aussi dans sa périphérie que se situe pour moi l’acte créatif, dans l’approche, la démarche, la singularité de l’univers visuel, la manière de communiquer, tout ce dont les musiciens n’ont pas toujours conscience. Un musée reste un musée à partir du moment où ses collections ne vivent pas, mais s’il se passe quelques chose avec ce qui est exposé, une interaction, qui aurait quelques liens avec l’avenir, alors autre chose d’actuel, de contemporain peut surgir, bien qu’il ne soit pas garanti.

 

Kiblind : Tu ne mets pas de barrière entre la pop, l’expérimentation et la tradition. En quoi est-ce important de les laisser se mélanger ?

Alexis Paul : Je me souviens d’avoir programmé William Parker au Point Éphémère, Hraïr Hratchian sur la terrasse du Louxor, lorsque que l’ami Vincent Cuny faisait Part Chimp là où plus personne ne les attendait. Soit une légende free jazz dans une salle electro rock, un joueur de doudouk avec vue sur Tati, et un groupe de stoner au bord du « split »… Tout ce qu’on a toujours fait dans nos programmations, c’est essayer de fuir les évidences, les attentes. On a pas toujours réussi bien sûr mais je crois qu’il est très important, dès qu’il y constitution d’une communauté, d’un groupe, de s’en distancier. Pour quelles raisons devrais-je n’organiser des concerts que pour des gens sûrs d’aimer ce qu’ils vont voir ? Lorsque j’étais étudiant, je déchirais les ticket des salles d’opéra et je me souviens de certains abonnés quittant la salle outrés d’un Wajdi Mouawad passant 1h à s’enduire de peinture ; j’adorais ces moments. Je ne suis pas pour la provocation gratuite mais je veux que nous gardions en tête que dans la vie rien n’est acquis, même quand on paye, même quand on est avec ses amis, dans sa ville. Si le fan de chanson ou de rock peux découvrir la culture géorgienne et envisager le qanun comme quelque chose de moderne, je suis heureux. Inversement, si « l’excellence » peut convenir qu’une seule note passée avec justesse dans un horizon de pédales d’effets est potentiellement aussi valable qu’un solo de Paco de Lucia, je suis heureux de la même manière. Du coup la tradition, l’avant-garde, sont à ce niveau égales et seule l’intention compte. Je ne suis pas pour le copier-coller des genres, mais pour revenir à Glissant qui m’obsède depuis plusieurs mois, je veux qu’il se produise un inattendu, que naissent des collisions, envies et métissages. Je suis d’accord pour que des gens se ressemblent (pourquoi pas) mais je suis lassé des gens qui se réunissent uniquement parce qu’ils se ressemblent.

Kiblind : Les lieux du festival sont aussi un signe fort. Pourquoi avoir choisi ces trois lieux si caractéristiques ?

Alexis Paul : Il s’agit de lieux que j’apprécie tout d’abord pour ce qu’ils sont et dont j’apprécie les équipes, ce qui est d’autant plus important. Il s’agit également de lieux qu’on occupait potentiellement avec mes camarades du festival Humanist SK. Ce qui me plait aussi, c’est qu’il ne sont pas systématiquement, au moins pour deux d’entre eux, associés à la musique.

 

Kiblind : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour le festival ?

Alexis Paul : Du monde et de nouvelles rencontres qui m’amèneront ailleurs et qui me feront revenir sur tout ce que je viens d’écrire! Merci Kiblind

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