Interview : Thomas Merceron

Ses visuels en noir et blanc marquent les esprits, son style vif et impactant imprime la rétine. Le jeune artiste parisien, formé aux Arts décoratifs de Paris, brille de jour comme de nuit et c’est assez naturellement que nous lui avons confié cette couverture du numéro Discothèque.

Après quelques illustrations réalisées pour le New Yorker, le New York Times ou l’Hémicycle, et des posters édités chez Quintal Atelier, Thomas Merceron poursuit son chemin, rétrofuturiste, romanesque et lumineux.

Couverture de Thomas Merceron pour Kiblind « Discothèque »

Comment as-tu imaginé cette image?

Pour cette image, j’ai fait un dessin qui est environ deux fois plus grand que la taille du magazine. Au pastel, si on veut des détails, il faut voir en plus grand forcément. J’ai eu des surprises avec la technique car en fonction du pigment du pastel et du papier, ça réagit différemment. C’était une envie sur le moment, travailler avec de la matière. C’est vrai que pour les commandes, je dessine beaucoup à la tablette ou à l’encre de Chine, deux techniques où les traits se ressemblent beaucoup. C’est en grande partie pour des questions purement pratiques avec les nombreux allers-retours que nécessitent les commandes. Là, pour la couverture pour Kiblind, je voulais revenir à quelque chose de différent, en lien avec une expression artistique personnelle, même s’il s’agit évidemment d’une commande. J’avais envie de rajouter un peu de matière, en jouant sur les contrastes noir et blanc et des nuances de couleurs plus douces. Sur tablette, j’ai tendance à aller plus vite, c’est sans doute psychologique aussi… Les traits sont effaçables donc j’y vais quoi. Mais moi, à la base, ce que j’aime, c’est le dessin précis, le temps long, l’aspect méditatif, et là j’ai pu retrouver tout ça pour cette couverture. Les dessins faits à la main sont pour moi toujours plus parlants, plus sensibles, ils transmettent plus d’émotion, même si c’est souvent après un temps (trop) long de réflexion…

As-tu été étonné quon associe ton travail à ce thème, discothèque?

Mon attachement au noir, aux contrastes, aux jeux d’ombres, c’est vrai que je me sens assez à l’aise avec le monde de la nuit et j’étais ravi de pouvoir entrer encore plus dans le vif du sujet avec cette couverture. Je travaille aussi pas mal avec des touches de couleur qui jouent avec ces noirs et ces blancs, et qui peuvent rappeler la lumière du soir.

Que tapporte le travail à la tablette, en particulier pour les commandes?

Avant, je travaillais exclusivement en noir et blanc mais à l’encre de Chine, donc sur un temps long aussi. Quand je suis passé à la tablette, ça a raccourci incroyablement les délais tout en gardant une proximité de style avec l’encre. Et le numérique m’a aussi ouvert sur la couleur, que je retravaille maintenant à la main avec les pastels. Je passe surtout beaucoup de temps à me demander si je fais bien de faire tel ou tel dessin donc la tablette m’a permis d’y aller, de me lancer. Et paradoxalement, de conserver ce lien avec la matière, le papier, vers lesquels je suis content de retourner à l’occasion.

Tu peux nous dire quelques mots sur ta formation?

J’ai fait un lycée d’arts appliqués à Vauréal qui était super. Il faut dire qu’à la base, j’étais même pas pris… Quand à 15 ans, t’apprends que t’es pas admis dans une formation de dessin… Bon, j’étais sur liste d’attente et j’ai pu intégrer le lycée finalement. Ça s’est super bien passé, avec des amis que je garde encore aujourd’hui et avec qui on a partagé pas mal de choses depuis. Ça m’a donné les bases du design en réalité. Et j’étais préparé à la conception de commandes, entre autres… J’ai été sensibilisé aux liens entre l’art et le monde professionnel, aux arts appliqués dès le lycée. Ensuite j’ai à nouveau un peu galéré pour trouver une école pour finalement être accepté à Paris à l’école Duperré en design graphique imprimé. C’était super formateur, en particulier dans des domaines comme la typographie dont j’ai appris l’importance avant d’y retrouver des points communs avec ma pratique : la gestion des espaces, des blancs, des pleins, des déliés… Mais bon j’allais en cours avec ma clé USB… Je dessinais pas, je faisais du graphisme. Donc j’ai fait un an du BTS et j’ai postulé à la première année aux Arts décoratifs de Paris, pour assurer le coup. J’ai été pris et j’ai fait tout mon cursus là-bas, en images imprimées. Les élèves étaient incroyablement doués et les moyens étaient dingues. Si on a de l’ambition, on peut aller au bout de ses projets. Au niveau des profs, c’était un peu plus compliqué… Mais c’est souvent inégal. Et puis j’ai fait mon mémoire pendant la période du Covid. J’ai fait mon Erasmus à Bruxelles à LERG et mon mémoire pendant le confinement. Pour mon grand projet, en dernière année, en janvier j’avais encore rien, quelques croquis et rien d’autre. Mais c’est aussi ma façon de travailler : j’ai besoin de prendre le temps pour faire mûrir la réflexion, le projet avant de me lancer. Pour le personnel enseignant, c’était un peu difficile à comprendre qu’après plusieurs mois de travail, j’arrive avec juste quelques dessins au brouillon… Mais dans ma tête c’était OK ! Et ça a roulé tout seul au final. J’ai été diplômé il y a un an et demi. Et puis j’ai enchaîné avec une sixième année en stage au studio Hermès.

Et alors ça ta permis dappréhender le métier différemment de voir de lintérieur cette grande maison?

J’arrivais avec malgré tout une petite confiance en moi, en sachant où je voulais aller en termes de dessin, mes qualités et mes défauts. Je me suis évidemment trouvé confronté à une culture d’entreprise avec le prisme de la hiérarchie, des rapports de force…Moi, j’étais beaucoup plus détaché même si j’essayais d’être efficace malgré tout. J’ai quand même découvert une maison, franchement, c’est assez dingue. J’ai visité le « Faubourg », leur première boutique à côté de l’Élysée, et c’est vraiment un musée le truc… Les artistes sont épanouis avec des équipes pour eux, des gens qui sont là pour le dessin, en respectant les univers de chacun. C’est le cas en particulier pour la personne qui choisit les artistes, qui garde le lien avec eux, et qui propose aux différents services (maroquinerie, bijoux, mode, etc.) des artistes qu’elle a repérés. Moi, j’étais assistant graphiste et j’adaptais, parfois je redessinais des éléments de dessins des artistes pour les appliquer à d’autres produits. Il s’agissait d’adapter par exemple le visuel d’un carré à un bracelet en reprenant uniquement certains éléments, en redessinant aussi parfois des parties qui n’existaient pas, « à la manière de ». J’avais aussi des commandes, pour créer des visuels pour des invitations par exemple avec plus de latitude, plus d’espace pour exprimer ma personnalité, une DA à part. C’était assez formateur. Et je reviendrai peut-être un jour, qui sait.

Et lentrée dans la vie professionnelle?

J’ai eu la chance d’enchaîner à la sortie du stage. Métal Hurlant m’a contacté très vite. C’est un projet qui n’est toujours pas sorti, assez long, à propos du Metaverse mais, en tout cas, je n’avais pas trop de questions à me poser. C’était ma première commande. Et puis j’ai eu la chance d’enchaîner avec des commandes de presse avec le NewYork Times, l’Hémicycle, etc. J’ai eu de la chance de ne pas devoir véritablement aller chercher des clients. Mais la question va forcément se poser. Je fais pour l’instant quasiment exclusivement des commandes éditoriales pour des magazines, des journaux. En même temps, j’essaie tout simplement d’apprendre le métier dans ses autres aspects, au contact d’agents par exemple : la négociation, la paperasse, etc. Des choses qu’on n’a pas apprises à l’école ! Mon travail personnel est plutôt dans les moments de creux. Je fais des croquis, des croquis… Et il faut que j’essaie de développer ma boutique. J’aimerais bien que mon travail se diffuse « naturellement » à travers mes posters. Et aussi pouvoir creuser mes idées d’exposition.

Quels sont tes projets du moment?

J’ai refait des illustrations pour l’Hémicycle et j’ai un gros projet en attente mais qui n’est pas encore validé, en lien avec les Jeux olympiques. Si ça se fait, j’aurai pas mal de boulot pour quelques mois… Et avec Quintal Atelier, avec qui j’édite aussi des posters, on va sortir à la fin de l’année mon projet de diplôme. Un truc pas forcément vendeur, en noir et blanc, sans texte, mais qui laisse le temps à la méditation et au dessin. C’est une sorte de roman qui traite de la contemplation, c’est pourquoi il y a des temps longs et pas de dialogue. L’histoire retrace le parcours psychologique d’un individu lors d’une balade en fin de journée. Deux chemins s’entrecroisent alors, celui qu’il prend avec son corps, et celui dans lequel il s’engage avec son esprit.

Pour finir, ta discothèque préférée?

Je n’ai pas encore fait le tour de tous les univers possibles des discothèques. Pourtant j’adore danser, et ce qui compte c’est la musique. Je ne veux pas aller en discothèque pour écouter le top 50 spotify. Je préfère largement être surpris. l’électro fait souvent bien le travail. Après la musique afro, latino, tout ce qui bouge, moi ça m’emporte ! Ensuite avec mes amis on fait attention à l’ambiance et le respect d’autruis. Les boîtes dites gays sont les mieux de ce que j’ai vu pour le moment. Mes amies surtout ne se font plus accoster et tout le monde s’y sent beaucoup plus libre. C’est un moment partagé avec des gens que j’aime et c’est ce qui m’importe. Surprise, je n’y vais pas tout seul.

THOMAS MERCERON // KIBLIND « DISCOTHÈQUE »

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