Animation : Les lieux vides de Geoffroy de Crécy

Ballade mécanique, harmonie à répétition et cycles automatiques, bienvenue dans « Empty Places », la grande boucle visuelle de Geoffroy de Crécy.

Geoffroy de Crécy n’est ni un prophète ni un charlatan. C’est un réalisateur qui s’est retrouvé dans une boucle temporelle parfaite : début mars 2020, il termine Empty Places, un court-métrage d’animation dans lequel les Humains semblent avoir disparu ; quelques jours plus tard, le confinement entre en vigueur, nous contraignant à abandonner tous nos lieux de vie publics. Une coïncidence qui aura certainement donné à son film une dimension contextuellement historique.



Il n’a pas fait d’école d’art, mais des études d’Histoire Contemporaine et de Science Politique. Certes, il a toujours dessiné, depuis l’enfance, au sein d’une famille où le dessin se vit comme un héritage ; mais c’est davantage en autodidacte qu’il a forgé sa propre expérience, son écriture. C’est pourquoi, à mi-parcours universitaire, il s’est finalement orienté seul vers le métier d’illustrateur. Sur sa route, le hasard a posé une petite annonce pour un job de graphiste dans une jeune boîte qui commençait à grimper au début des années 90 : Ubisoft.

« Je suis entré dans l’illustration par le jeu-vidéo, par l’image qui bouge. J’aime le mouvement, la répétition dans l’image, et sans que celle-ci soit conditionnée par un avant ou un après, par une narration globale. Juste une boucle visuelle, qui se suffit à elle-même et se répète. »


À l’époque, ils recrutaient surtout des autodidactes pour créer les décors de jeux. Mais cette industrie allait connaître une petite révolution : le passage à la 3D. Tout le monde se mit alors à fond sur 3D Max, le logiciel de référence pour la modélisation et l’animation. Et c’est comme ça que Geoffroy de Crécy se retrouva maître dans l’exercice, et commença à bosser sur des décors de niveaux de jeu, comme celui de Rayman 2, par exemple.
En 2000, changement de support, mais pas de technique. Son frère Étienne, nouveau héraut de la scène French Touch, lui propose de faire un clip pour son album Tempovision. Totalement libre, il se met à l’animation et passe une année sur le film. Un an plus tard, Am I wrong remporte la Victoire de la Musique du meilleur vidéo-clip. Pas mal pour un premier film… Et surtout, un bon coup de projecteur sur son travail.



Une grande période d’animation s’ouvre alors, durant laquelle il réalise d’autres clips, des pubs, des films de commandes, toujours en modélisation 3D. Si bien qu’il commence à se lasser un peu : « Au bout d’un moment j’ai eu envie de revenir à l’image fixe, à un travail plus illustratif. Mais en continuant à utiliser l’outil 3D. »
Les thèmes qu’il aborde en illustration sont souvent architecturaux, liés à l’espace, avec des objets, des machines. Et sans jamais d’humains. Des lieux vides de personnages. Peut-être une déformation due à son passé dans les décors de jeux-vidéo ? D’autant plus que ses illustrations, il aime paradoxalement les voir bouger. « Je suis entré dans l’illustration par le jeu-vidéo, par l’image qui bouge. J’aime le mouvement, la répétition dans l’image, et sans que celle-ci soit conditionnée par un avant ou un après, par une narration globale. Juste une boucle visuelle, qui se suffit à elle-même et se répète. » Et ce qui boucle le mieux, c’est-à-dire qui se répète mécaniquement, infatigablement, sur une séquence courte, ce sont les machines. Des machines très basiques, sans IA, sans volonté, qui n’apprennent pas, qui ne progressent pas, qui ne font que reproduire le même mouvement sans le moindre changement de trajectoire, de force, de poids, de rythme, sans jamais aucune interruption, sans interaction, sans sensitivité.



Empty Places est le fruit de ces boucles visuelles indépendantes, rassemblées dans une grande boucle, sans commencement ni fin. Rien que des machines, dans leur environnement dessiné par les humains, destinées à les assister, mais sans personne pour les utiliser. Et elles, elles continuent leur mouvement solitaire, mécanique, en boucle. C’est troublant.
Où sont passé les humains ? Ont-ils fui ? Se sont-ils évaporés ? Peu importe finalement de connaître la réponse. Car ce qui reste ici, c’est la poésie étrange qui naît de la régularité cinétique, cette imperturbable harmonie sans explication scénaristique, seulement soutenue par le premier mouvement de la Sonate au Clair de Lune de Beethoven, et qui apporte à ce ballet d’automates l’expression sentimentale de la mélancolie. Comme si la vie qui semble avoir quitté l’espace était conservée dans ces objets faussement animés ; comme si l’émotion pouvait naître à travers ces choses qui en sont absolument dépourvues.



Récompensé dans une dizaine de Festival internationaux, nommé pour le César 2022 du Meilleur Court-Métrage d’Animation, Empty Places a déjà fait plusieurs fois le tour du monde malgré cette temporalité bizarre. Et c’est tant mieux : parce qu’il s’en dégage une telle émotion, qu’il aurait été bien dommage que l’Humanité passe à côté.


Extrait d’Empty Places


Produit par Nicolas Schmerkin / Autour de Minuit, 2020

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