Les Gens du Mag : Mathias Martinez

Oubliez les lignes droites, avec Mathias Martinez, ce serait plutôt les montagnes russes. Embarquement immédiat pour un tour dans son univers à l’esthétique cartoonesque. Spoiler : ça secoue un peu et on rigole bien.

L’enfant biberonné aux parcs d’attractions qu’il était est aujourd’hui présent derrière chacun des dessins qu’il donne à voir. C’est d’ailleurs peut-être là que réside la plus grande force de Mathias Martinez, dans le partage et le don de soi. Si vous pensez que vous ne le connaissez pas, c’est que vous avez vu mais vous n’avez pas regardé. Plus accrocheuses qu’une biographie, ses illustrations et sa première bande-dessinée sont un livre ouvert – sans mauvais jeu de mot – sur ce qu’il est, ce qu’il aime et ce qui l’anime. 

Alors voilà, il y a l’amour pour les gens qui l’entourent, le goût prononcé pour l’ambivalence, et l’attrait sans faille pour le spectacle. Et pour cause, il y a le spectacle qu’il aime observer en tant qu’amateur invétéré de cinéma, celui qu’il anime en tant que performeur drag, et celui qui se passe dans sa tête, formé à l’imaginaire absurde et cinglant des dessins animés d’époque. Les personnages attendrissants et les décors chatoyants, oui, mais arrosés au vitriol. Mathias Martinez se plaît à montrer l’envers du décor. Après avoir réalisé une illustration festive pour la sortie du Kiblind ”Discothèque”, on a pu lui poser quelques questions, et sans surprise, il n’a pas hésité à partager un bout de son temps. En piste. 

Diamant Doré - Création originale pour Kiblind Discothèque - Mathias Martinez
Diamant Doré – Création originale pour Kiblind Discothèque


Hello Mathias ! Pour ton illustration sur le thème Discothèque tu as représenté une foule de personnages au style incroyable. Quelle est l’histoire derrière cette scène ?

Les personnes représentées sur cette illustrations sont des artistes drags de la « House of diamonds », ma famille queer de coeur avec qui je performe sur Strasbourg depuis maintenant quatre ans et que j’aime à l’infini. Mon nom de scène en drag queen c’est « Frida Crado », un clin d’œil à une de mes peintres favorite, et une référence à mon style de drag un peu brut de décoffrage.

Marin par Mathias Martinez
Marin 1

Je ne me suis jamais senti très à l’aise en discothèque, mais j’ai toujours aimé la frime, les strass, mes ami-e-s, et les paillettes. Pour moi, ces soirées drag show sont mes samedi discothèque à moi, joyeux, colorés et excessifs. Avec la House, on organise des soirées sous forme de scènes ouvertes pour que de nouveaux talents puissent émerger. C’est aussi un moment d’échange qui nous apprend énormément en nous instruisant sur les luttes LGBT+, nous politise en tant que personnes queer, et nous permet de voir de superbes spectacles pour pas cher !

C’est cette euphorie festive que je voulais représenter dans cette illustration, un samedi soir de folie au drag show !

Illustration pour la maison Jean-Paul Gaultier - Collection Les Marins par Mathias Martinez
Marin 2

En règle générale, d’où tires-tu tes inspirations ?

Je puise l’essentiel de mes inspirations dans le cinéma et dans les vieux dessins animés pour créer. Je suis un fan absolu de vieux cartoons, surtout ceux des années 20 à 50 de Disney, des studios Fleischer, des studios Van Beuren, c’est ma référence la plus évidente. J’aime aussi m’imprégner des atmosphères des films de Fassbinder très dramatiques et furieusement queer, du cinéma de John Waters ou de Kenneth Anger, des films de George Méliès qui sont d’une poésie infinie et que j’aime d’amour.  

Illustration issue de la bande dessinée Clocki par Mathias Martinez
Illustration issue de la bande dessinée Clocki

Pour réaliser ma bande dessinée Clocki aux éditions Misma et qui se déroule dans un parc d’attractions, j’ai beaucoup puisé dans l’imagerie grotesque et carton-pâte des parcs à thèmes : pas dans l’esthétique de Disneyland un peu trop lisse, plutôt celle des manèges de seconde zone un peu délavés et difformes, où l’on entrevoit l’envers des décors. 

J’aime aussi la capacité qu’on les parcs à thèmes à passer à la moulinette plein d’univers différents dans un même lieu et les faire se croiser. J’aime mélanger des références très diverses voir opposées dans mes illustrations, mixer les marins sexy avec Popeye, faire cohabiter le polar américain et un chien à la Pluto habillé en Martin Margiela.

Illustration pour la maison Jean-Paul Gaultier - Collection Les Marins par Mathias Martinez
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Quel est le message que tu aimerais transmettre par tes illustrations ?

Peut-être avant tout un message d’amour pour mes ami-e-s queer et peut-être plus généralement pour toutes les personnes marginalisées. J’aime raconter et retranscrire des histoires de personnes qui se sentent un peu paumées dans leurs existences, tout comme je peux l’être parfois, et les célébrer. Je veux essayer de retranscrire au mieux leurs vécus, parler de leurs excès, de leurs hauts et de leurs bas, parfois les deux en même temps, de leurs trop plein d’émotions, de ce qui au final me touche en eux et les rend si vivants à mes yeux. 

Illustration pour la revue Télérama Mathias Martinez
Illustration pour la revue Télérama

Ton style a vraiment une identité marquée, notamment car tout semble sur le point de fondre avec ces effets sinueux… Les lignes droites c’est pas trop ton truc ?  D’où t’es venu ce parti pris ?

Mon style graphique vient de mes références et est directement inspiré par les bouclettes des cheveux de Betty Boop dessinées par les studios d’animation Fleischer. Je vois dans leur travail un savoir-faire d’orfèvre du cartoon, comme avec Disney, tout en préservant un côté plus sombre dans le dessin avec ces pointes acérées et l’évocation de sujets super subversifs. Les courbes et les pointes sont un contraste qui rappellent cette balance entre le rassurant et le menaçant, et permet de jouer aussi avec la perception de celui qui regarde l’illustration, c’est ce jeu de contraste dans le trait qui me permet d’être ambivalent et jouer avec les émotions des lecteurs. 

illustration Jean-Paul Gaultier 2022 par Mathias Martinez
Jean-Paul Gaultier 2022

La seule ligne droite dans mes dessins est la ligne d’horizon que je m’amuse à distordre en fonction de mes histoires. Dans Clocki, ma bande dessinée éditée par Misma, le personnage principal, une horloge star de cinéma appelée Clocki, est en proie à des crises d’alcoolémie et des pensées noires. Au fur et à mesure de ses excès en tous genres, les lignes se tordent et les horizons se dilatent, comme lors d’un mauvais trip sous acide ou d’une crise d’angoisse carabinée.

Extrait de la bande dessinée Clocki Mathias Martinez
Extrait de la bande dessinée Clocki

Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?

Le projet qui a été le plus marquant pour moi, c’est ma bande dessinée Clocki, sortie aux éditions Misma cette année. C’est un album dont la création a été très intense, un peu à l’image d’une montagne russe. J’ai mis trois ans à le faire aboutir grâce au formidable travail d’édition des frères Misma, et j’en suis très fier ! Ce livre parle du temps qui passe à travers la vie d’un parc à thèmes, Clockiland, et de sa mascotte Clocki. Dans cette BD, j’ai pu aborder des sujets qui me sont très chers et que je ne peux pas pleinement développer en illustration : les rêves préfabriqués, la déception face au réel, la condition d’artiste face à l’industrie. 

Couverture de la bande dessinée Clocki par Mathias Martinez
Couverture de la bande dessinée Clocki

Un autre travail qui m’a particulièrement marqué sont les illustrations que j’ai réalisé pour la maison Jean-Paul Gaultier, que ça soit pour leur carte de vœux 2022 ou l’illustration pour la collection de prêt-à-porter « Les Marin ». J’ai pu y développer des univers extravagants et colorés, peuplés de matelots espiègles, gays et sexy. C’était incroyable de pouvoir travailler pour une de mes icônes, et ce projet m’a donné envie de collaborer plus souvent avec le milieu de la mode qui m’inspire depuis toujours !

Illustration réalisée pour la maison Jean-Paul Gaultier - Collection "Les Marins" Mathias Martinez
Illustration réalisée pour la maison Jean-Paul Gaultier – Collection Les Marins

Le troisième projet que j’ai en tête, c’est la couverture de Apprendre à Tuer , une revue publiée par Eléonore et Kenny, deux Bruxellois qui ont créé ce magazine d’art outsider hyper complet et engagé où ils invitent des artistes qu’ils aiment. Mon illustration en diptyque parle d’un amour impossible, celui de Pierrot envers Colombine dans une version un peu plus camp et trash peut-être, très inspirée par le drag. Suite à leur invitation à participer à la revue, on est devenus de bons amis, et je vais régulièrement à Bruxelles pour boire des bières en terrasse avec eux et parler de fanzines, participer au leur, et voir des concerts entre potes. C’est une revue que je trouve nécessaire aujourd’hui pour faire connaitre l’illustration alternative et outsider, ainsi qu’un fanzine qui symbolise pour moi l’amitié !

Illustration utilisée pour la couverture du fanzine Apprendre à Tuer Mathias Martinez
Illustration utilisée pour la couverture de la revue Apprendre à Tuer

MATHIAS MARTINEZ // KIBLIND DISCOTHÈQUE

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