Elle dessine des personnages et des univers enchantés aussi bien que des paysages existants. Elle personnifie aussi les émotions, leur donnant une représentation nouvelle. Peu importe son sujet, elle a le don d’en faire quelque chose d’irrésistiblement attirant. Elle, c’est Laura Ottone, une illustratrice de talent qui porte plutôt bien son nom. Comme la saison, elle réinvente nos décors pour y insuffler un peu de poésie, de magie et de mystère.
Laura Ottone est surprenante. Quand elle décide de mettre en image son club favori pour notre numéro Discothèque, ça n’est ni bruyant ni bondé. Non, c’est un petit lieu à l’ambiance boisée, où le temps semble figé. Personne n’y danse non plus. Personne, sauf la lumière. Dans ses dessins en effet, c’est toujours la lumière qui vient nous taper dans l’œil, au-delà du papier ou de l’écran. Pourtant ça n’est pas une luminosité aveuglante non, plutôt un savant jeu de couleurs et de maîtrise, créant des halos quasi hypnotiques, flirtant joliment avec la réalité tout en gardant un aspect rêveur, presque enchanté.
Si celle qui a passé sa jeunesse dans les Alpes aime particulièrement mettre en scène ces paysages montagneux, ça n’est jamais sans s’appuyer sur des références cinématographiques chères à son cœur. Dans ses décors de la vie quotidienne, évadés d’un esprit où le souvenir est chez lui, c’est la suggestion qui permet d’imaginer ce qu’il se passe hors champ. D’autres fois, alors qu’on serait habitués à mettre des mots sur des images, la voilà qui produit l’opposé. Laura Ottone met en image ces émotions difficiles à décrire, comme la jalousie ou la colère. Malgré le calme ambiant qui se dégage de ses illustrations, on reste sur le qui-vive, car on sent bien que quelque-chose serait sur le point d’arriver si les lignes se mettaient à bouger. Des scènes de films, on vous dit.
Ton illustration pour notre numéro Discothèque dégage une ambiance un peu rétro, de l’environnement aux personnages. Quelle était ton inspiration ?
Cette illustration est un mélange entre un dîner américain et un chalet de haute montagne, le tout dans une ambiance très années 80, avec des personnages singuliers qui arborent des tenues hautes en couleurs. J’ai grandi dans les Alpes dans une petite ville industrielle aux allures lynchéennes, et le lieu où j’ai fait mes premières sorties était tout en bois à l’intérieur, comme ça peut se faire dans la région. Ça m’a souvent évoqué le Great Northern Hotel dans Twin Peaks. Le cinéma de David Lynch est depuis longtemps une influence pour moi. J’ai toujours été fascinée par le réalisme magique et l’étrange en tant que genre littéraire et cinématographique.
Est-ce que tu apprécies le fait d’avoir une contrainte thématique ou est-ce plus compliqué pour toi ?
Jusqu’à maintenant j’ai toujours eu la chance de travailler avec des clients qui me faisaient confiance et qui me laissaient beaucoup d’espace pour créer. Le fait d’avoir une contrainte thématique fait partie de mon métier, c’est donc quelque chose avec lequel je compose et c’est, également, un exercice très intéressant.
Ça me permet d’explorer des thèmes auxquels je n’aurais pas forcément pensé dans un premier temps, des angles que je n’aurais pas imaginé etc. C’est une façon de sortir de sa zone de confort et d’élargir sa bibliothèque mentale d’une certaine manière : quand j’ai une contrainte thématique, ça me permet d’accéder à de nouvelles manières de faire et différentes représentations, que je n’avais peut-être pas découvert auparavant. Ça peut être une expérience douloureuse par moment mais très enrichissante par ailleurs !
Tu utilises les crayons de couleurs pour réaliser tes illustrations, quelles sont les étapes et leurs durées pour aboutir jusqu’au rendu final ?
Je passe d’abord par une étape de recherche qui mêle des croquis et des photos glanées sur internet avec lesquelles je compose ensuite. Je fais des essais avec des photo-montages, j’assemble des croquis que je superpose à ceux-ci, je retouche les couleurs, je change les lumières etc. Ça me permet d’avoir une base de travail. Le crayon de couleur est un médium qui prend intrinsèquement du temps, du fait qu’on ne peut pas appliquer de la couleur en grande quantité comme avec un gros feutre ou un pinceau. Tout dépend du format, mais en moyenne il faut compter une semaine de réalisation en comptant toutes ces étapes, parfois deux si le format est grand.
La lumière est incroyablement mise en avant dans tes dessins, avec de véritables reflets, ou éclats – comme sur la boule à facette – comment t’y prends-tu ?
J’envisage le crayon de couleur de manière picturale. Le fait d’avoir cette approche du crayon de couleur permet de penser les lumières et les couleurs comme des masses. Étant donné que je pars de dessins d’observation ou de photos, j’ai une matière qui me guide tout au long du processus. J’imagine toujours les couleurs/valeurs en noir et blanc avant de les peindre et j’exagère les couleurs pour qu’elles collent le plus à l’ambiance que j’ai en tête.
Je crois aussi que mes inspirations influencent largement la manière que j’ai de dessiner les choses. Je parlais tout à l’heure du cinéma, j’ai beaucoup de réalisateur-ice-s qui m’accompagnent dans la réalisation de mes images, pas seulement des peintres. Je pense notamment au cinéma très féerique de Ptouchko ou encore de Paradjanov… Inconsciemment je leur fais des clins d’œil, pour ainsi dire à chaque fois, avec les ambiances lumineuses et colorées que je créé.
Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?
Le projet le plus marquant est un projet actuellement en cours de création. Il s’agit d’une bande dessinée sur laquelle je travaille depuis quelques années. C’est marquant pour moi car ce sera potentiellement mon premier livre, et c’est un projet très cher à mon cœur. J’ai commencé ce récit quand j’étais en fin d’étude, et mon regard sur la vie a grandement évolué grâce à ce travail et aux personnes qui m’ont accompagnée. J’espère qu’il verra le jour bientôt et que les lecteur.ices l’apprécieront!
Un autre projet marquant a sans doute été une expérience que j’ai eu l’an passé dans le cadre d’une collaboration avec une organisation environnementale. Je suis partie à Bruxelles le temps d’une journée, pour dessiner au Parlement Européen à l’occasion d’une semaine de sensibilisation. Cette journée avait pour but d’interpeller les députés européens, sur place, au Parlement, à propos de la directive européenne sur les énergies renouvelables (RED), en cours de révision à ce moment-là. Cette directive (RED) était l’occasion d’aligner les priorités et de défendre les solutions énergétiques capables de faire face aux crises auxquelles nous sommes confrontés au sein de l’UE.
Je me souviens que ça avait été une journée extrêmement stressante pour moi, j’avais beaucoup d’estime pour cette mission et je voulais vraiment créer une image impactante. Je n’avais qu’une journée pour ça et je devais travailler sur un très grand format. Le crayon de couleur n’était clairement pas ma meilleure arme ! À la fin de cette journée je n’étais pas très satisfaite du résultat, mais j’ai tout de même été agréablement marquée par l’expérience.
Enfin le troisième projet marquant que je pourrais citer est sûrement l’exposition collective pour Quintal Atelier, Le Bouquet, à laquelle j’ai participé l’an passé avec mes camarades de l’Atelier Commode ! Cette exposition mettait à l’honneur les fleurs, et pour l’occasion j’avais réalisé une série de trois images inspirée de Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Chaque image a été tirée en risographie. C’était ma première exposition collective et je n’aurai pas pu être mieux entourée à ce moment-là. L’équipe de Quintal est formidable et l’Atelier Commode a été le premier atelier où j’ai atterri lors de mon installation à Paris. Toutes les personnes de cet atelier sont très inspirantes pour moi et j’ai passé deux merveilleuses années dans ce lieu.
Je ne peux malheureusement pas mettre d’images des deux premiers projets dont j’ai parlé précédemment puisque l’un est en cours et concernant l’autre c’était un évènement éphémère, au cours duquel je n’ai pas pris de photos. En revanche pour le troisième projet, il s’agit de l’image intitulée La Métamorphose de Bottom.