Interview : Raman Djafari

Usant de la puissance inégalée et surannée de l’image, l’enchanteur Raman Djafari nous happe vers son univers sans grand mal. Hypnotisés par ses illustrations fixes comme en 3D, nous lui avons proposé de réaliser la couverture de notre numéro « Cover ». Une belle excuse pour en connaitre encore plus sur cet illustrateur magnétique.

Si son travail commence toujours par quelques croquis jetés sur son carnet,
c’est souvent lorsque tout s’anime que la magie de Raman Djafari opère. On l’a d’ailleurs connu pour le clip hypnotisant qu’il a réalisé pour le groupe de ses compatriotes FJAAK. Et c’est avec bonheur qu’on l’a retrouvé récemment aux manettes d’un clip pour la jeune popstar britannique Elton John. Entre temps, Kiblind lui avait déjà demandé une création originale pour le numéro Robot. Confier notre couverture animée autour de la thématique « Cover » à ce Rocket man passionné de musique sonnait donc comme une évidence..

Couverture du Kiblind magazine Cover

Quels sont les albums que tu écoutes en boucle en ce moment ?

C’est un trio magique composé de Motomami de Rosalía, Shabrang de Sevdaliza et Mr. Morale & The Big Steppers de Kendrick Lamar.

Raman Djafari

Comment la musique intervient-elle dans ton processus de création ?

Elle me fournit une ambiance, une sorte de texture de fond, de nappe, qui se diffuse, dans mes pensées à travers les paroles, pendant que je dessine. J’aime surtout la musique pour sa capacité à créer immédiatement une émotion chez la personne qui l’écoute. Comme je travaille souvent en tant que directeur d’animation pour des clips musicaux, cette influence fait partie de mon travail quotidien.

At The Mothers House, 2019

Tu as réalisé de nombreuses pochettes d’album et évidemment quelques clips aussi, dont ce fameux bijou pour Elton. Quelles sont les pochettes que tu as faites qui t’ont marqué ? Et les clips ?

Ma pochette d’album préférée est une pochette qui est encore en cours de réalisation… Je l’ai faite pour un de mes amis, DJ Piper, vous n’avez qu’à patienter jusqu’à sa sortie prochaine ♥. Le clip auquel je me sens le plus lié, au moment où on se parle, c’est celui pour le morceau « Pamphlets » de Squid. Je pense que j’ai réussi à vraiment y capturer certaines de mes émotions brutes et j’aime comment les images interagissent avec la chanson. (L’album entier de Squid est également incroyable, vous devriez vraiment l’écouter si vous ne le connaissez pas encore.)

Squid still

Peux-tu nous dire quelques mots sur ce dernier clip pour Elton ?

Avoir la chance de travailler pour des artistes d’une telle envergure qu’Elton John et Dua Lipa a été une surprise absolue pour moi. Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce que ce soit possible. Étonnamment, le processus de réalisation de la vidéo s’est déroulé sans heurts. J’ai pu réaliser l’idée que je leur ai présentée, sans avoir à faire trop de compromis. J’ai également eu la chance d’avoir le soutien de BlinkInk, qui m’a donné
l’opportunité de présenter ce projet, et l’aide précieuse d’une équipe incroyable d’animateurs, d’artistes FX, de graphistes pour les arrière-plans et de nombreuses autres personnes compétentes, pour donner vie à ce projet. Ils sont trop nombreux pour que je puisse tous les nommer, mais je vous encourage à les découvrir, car ce sont tous de grands artistes à part
entière.

Still picto

Comment travailles-tu les deux exercices de commande très
différents que sont le clip et la pochette ? Tu commences toujours par ton précieux carnet de notes et tes croquis ?

En fait, oui. Tout commence dans le carnet de croquis pour
moi. Pour les clips musicaux, la préproduction est généralement beaucoup plus longue. Pour une pochette d’album, je me contente souvent d’une série de petits croquis, pour trouver une idée de base d’image et de composition, après quoi il y a beaucoup d’expérimentation. Mon processus d’illustration
est vraiment ouvert et flexible, mes images changent généralement beaucoup au cours du processus. C’est presque comme un dialogue avec l’image, où je ne peux souvent pas vraiment planifier le résultat final.

Pour les clips musicaux, il faut beaucoup plus de préparation et de précision. Au début, j’écoute la chanson les yeux fermés, en attendant que des images apparaissent dans mon esprit. Ensuite, je fais quelques croquis simples et des notes écrites pour capturer ces premiers émois instinctifs. Ensuite, j’entame généralement une phase de recherche visuelle prolongée. Je rassemble des images qui m’aident à développer l’idée que j’ai d’abord formulée dans mon carnet de croquis. À partir de là, j’entre dans le processus de storyboard et d’animation, au cours duquel j’élabore les différentes idées de plans et les planifie sur la durée de la chanson.

HC Andersen Illustration
On Technology, Pour Masthead Magazine, 2019

Peux-tu nous parler un peu de ton parcours et nous dire
comment tu parviens à concilier avec talent l’illustration fixe et
l’illustration animée ?

Merci ♥ J’apprécie le compliment. Selon le moment et le lieu qu’on prend pour référence, j’ai eu mon premier contact avec la création visuelle quand j’étais enfant. J’étais vraiment inspiré par les livres de fantasy, les jeux vidéo et ensuite les animés et les mangas (j’adorais Akira Toriyama et Michiko Yokote.) J’ai grandi à Berlin et, pendant mon adolescence, je me suis passionné pour les graffitis et les peintures murales, puis j’ai découvert le dessin et la peinture numériques. Je me suis plongé dans la scène de l’art conceptuel et dans les communautés en ligne qui entourent ces formes d’art. Tout en étudiant l’illustration, je me suis financé en travaillant comme concept artist et character designer dans des jeux vidéo. Au bout d’un certain temps, je me suis senti insatisfait des sujets que je rencontrais et
j’ai essayé de m’orienter vers l’illustration éditoriale et de développer une approche plus personnelle de la création d’images et de sujets. À un moment donné, des amis à moi, le groupe techno FJAAK, m’ont demandé de réaliser un clip animé pour eux. C’est ainsi que je me suis lancé dans l’animation. Je n’avais absolument aucune idée de la manière d’animer ou de réaliser un clip vidéo complet. C’est sur ce projet que j’ai véritablement appris à animer.

Après cela, j’ai continué à réaliser des clips, à faire d’autres projets d’animation, puis j’ai fait équipe avec Daniel Almagor, collaborant à plusieurs projets avec lui. Pendant cette période, nous avons beaucoup appris sur la réalisation de films d’animation et sur la collaboration avec les autres. Nous avons travaillé avec Charlie Spies et Inger Bierma sur certains projets, puis nous avons tous continué à faire notre propre travail en
solo. L’année dernière, je suis passé de la 2D à la 3D pour certains projets et j’ai commencé à travailler avec BlinkInk, une société de production d’animations basée à Londres. Parallèlement, j’ai toujours continué à faire des illustrations et à développer mon approche de la création d’images, qui est bien sûr liée à la façon dont je fais des films, mais qui utilise des outils
différents pour obtenir une sensation, un sentiment similaires. Mes images fixes sont souvent très stratifiées, fragmentées, elles créent un sentiment d’incertitude. C’est une façon pour moi de condenser la complexité d’un thème et d’une idée en une seule image, alors que dans un film ou une vidéo, il faut répartir le temps sur plusieurs plans, qui tendent vers un concept central.

Quelles sont les pochettes qui t’ont marqué dans l’histoire de la musique ? Et plus récemment ?

Les pochettes qui m’ont vraiment marqué… Allez, 6 Feet Beneath the Moon de King Krule, El Male Querer de Rosalía, My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West, Flower Boy de Tyler the Creator, Dark Side of The Moon de Pink Floyd, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles et bien d’autres encore bien sûr… Ça serait un rêve de travailler avec chacun de ces artistes-là !

Peux-tu nous dire quelques mots sur ta couverture de Kiblind et
la petite animation que tu as réalisée ?

Je connaissais l’album des Pink Floyd évidemment mais je n’avais pas de lien très fort avec celui-ci en particulier. Le fait de me replonger dans l’album m’a permis d’en apprécier la profondeur une fois de plus. La pochette de l’album elle-même est absolument iconique. L’image est si simple et pourtant incroyablement puissante et poétique. J’ai essayé d’amener ce décor dans mon monde à moi et de construire des éléments
par-dessus l’image. La poignée de mains était un peu trop formelle pour moi, j’ai donc opté pour un geste physique plus doux. Enrichir l’espace avec des images florales et une architecture abstraite était ma tentative pour essayer d’adoucir la force de l’original (ce qui, bien sûr, fait partie de son intérêt, mais pas tout à fait dans mon esthétique).

Compsassion fatigue

Et enfin, la question classique sur tes projets à venir ?

J’ai trois projets (presque) terminés qui attendent toujours leur sortie. L’artwork et les visualizers pour le projet de DJ Piper mentionné plus haut, un peu de travail sur une émission de télévision et la bande-annonce officielle d’un festival d’animation, après quoi j’espère faire une pause pour écrire et faire un court-métrage !

Himmelrum

Question subsidiaire : as-tu une cover incroyable d’une chanson
célèbre à partager avec nous ?

J’adore la reprise de « Godspeed » de Frank Ocean par James Blake.

RAMAN DJAFARI // KIBLIND COVER

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