Décryptage : Nos clips animés préférés de février

Chaque fin de mois, Kiblind donne la parole à l’artiste derrière l’artiste : l’illustrateur.rice chargé.e de retranscrire la musique en images. Retrouvez nos clips musicaux animés préférés de ce mois de février, décryptés par ceux qui les ont fabriqués.

On ne vous l’apprendra pas : l’illustration est partout. Elle a envahi nos murs, nos comptes Instagram (bon, on y est peut-être pour quelque chose), nos objets, nos vêtements, nos pochettes de disques, notre page Youtube… Et c’est bien normal, il faut dire que c’est elle la meilleure toutes catégories pour faire joliment passer des messages et provoquer des émotions. Les artistes là dessous l’ont bien compris et l’ont utilisé au service d’un autre art capital : la musique.

Voici donc la sélection de nos clips animés et illustrés chouchous du mois de février, décortiqués par leurs créateur.rice.s qui ont gentiment répondu à nos questions.

FONTANAROSA– OH ID

ANIMATION : DOCUMAVISION

Le point de départ pour ce clip a été la découverte par Paul de Fontanarosa de l’installation TV Rodin de Nam June Paik. Quel était son désir ici ? 

Paul m’a envoyé la pièce comme référence parce qu’il m’a dit qu’elle lui rappelait mon travail précédent. Je peux voir la similitude, nous utilisons tous deux beaucoup de téléviseurs et d’appareils photo rétro dans notre art. Je suis très flatté que Paul ait ressenti cela, Nam June Paik était un artiste incroyable et vraiment en avance sur son temps. L’intention était donc de rendre hommage à l’œuvre « TV Rodin » en remplaçant la statue de Rodin par la chaise Fontanarosa, puis en utilisant les caméras et les télévisions comme moyen de téléportation dans le temps et l’espace dans la vidéo.

La chaise est un symbole qui revient souvent dans l’univers de Fontanarosa, elle apparaissait déjà sur son dernier EP. Peux-tu nous expliquer la signification derrière cet objet ? 

Paul ne m’a jamais expliqué la véritable signification de la chaise, mais d’après ce que j’ai compris, la chaise symbolise les objets statiques inanimés qui peuvent exister sur différents plans de réalité ou de temps. Comme la chaise est représentée sur chacune de leurs couvertures d’album, elle représente pour moi le passage du temps, car tout ce qui entoure la chaise change, le décor, la disposition, etc. mais la chaise reste intacte. Un peu comme un groupe qui change et progresse au fil du temps, mais reste le même dans son essence.

Tu travailles beaucoup en 3D. Comment t’es-tu familiarisé avec cette méthode ? 

À l’origine, j’ai entrepris d’apprendre l’art de l’animation graphique par le biais du programme Adobe After Effects. Une grande partie des premiers projets que j’ai réalisés avec ce programme imitaient le mouvement tridimensionnel, en modifiant l’échelle (la taille) et la position des éléments de mes compositions, mais lorsque j’ai appris qu’After Effects proposait une version bêta du logiciel Cinema4D, j’ai rapidement plongé dedans. J’ai appris les mécanismes de base du fonctionnement du logiciel et j’ai compris comment utiliser de véritables éléments tridimensionnels dans mes compositions. Comme le logiciel Cinema4D dans After Effects est une version « bêta », il oblige les artistes à faire preuve de créativité pour réaliser certaines modélisations. Par exemple, la version 3D de la chaise Fontanarosa que j’ai modélisée a pris plusieurs heures à elle seule, car j’ai dû construire chaque pièce à partir de zéro, plutôt que d’utiliser un plug-in ou des éléments déjà modélisés.

Ton univers graphique joue beaucoup sur des références vintage et sur une esthétique synthwave. Quelles sont tes références ultimes à ce sujet ? 

Documavision s’inspire de l’imagerie que je digérais en grandissant, c’est-à-dire principalement le cinéma d’avant 1970. Mon père avait l’habitude de copier des films de la télévision par câble sur des cassettes VHS à l’aide de notre magnétoscope. J’ai donc grandi en regardant des copies maison de films plus anciens, tout en apprenant les mécanismes de base de la vidéo analogique. Les graphismes animés des publicités et des chaînes de télévision des années 1970 et 1980 sur les cassettes m’ont vraiment parlé, et c’est en grande partie pour cela que j’ai voulu apprendre After Effects, afin de mieux reproduire ce look et cette ambiance.

Tu réalises des vidéos pour beaucoup de groupes. Est-ce que l’animation est ton activité principale ou fais-tu d’autres choses à côté ?

J’ai essayé de faire de Documavision une activité à plein temps, en travaillant non seulement sur des clips mais aussi en générant du contenu pour des entreprises et d’autres clients en dehors de l’industrie musicale. Je joue de la basse dans un groupe appelé Cloakroom qui vient de sortir un nouvel album intitulé « Dissolution Wave« , et je fais également de la musique sous le nom de Documa, qui enregistrera un LP dans les mois à venir. En dehors de la vidéo et de la musique, je travaille également comme journaliste et j’écris pour un média dans le domaine du sport automobile, où je travaille parfois comme historien.

ANNE PACEO– RESTE UN OISEAU

ANIMATION : JULIETTE BONVALLET/ GABRIELLE JIMENEZ/ LEO SUCHEL / HUGO BLANC

Salut Juliette. L’entièreté du clip vit à travers de multiples symboles, de quelles histoires et imageries t’es-tu inspirée pour le réaliser ?

Salut ! Dès le départ on a échangé sur l’idée de grottes préhistoriques avec Anne, notamment Lascaux, puis j’ai effectué des recherches de mon côté. Je me suis rappelé la Vallée des Merveilles, située dans le parc Mercantour, dans les Alpes du Sud. C’est une vallée parsemée de gravures, tracées par des bergers. La gravure la plus en altitude fait face au pic qui surplombe la vallée : c’est une figure assez connue dans la région, on l’appelle « le sorcier ». Ce devait être un lieu avec des intempéries impressionnantes, et les bergers ont inscrit ce sorcier au plus haut, face à la foudre. Quand on le voit, on s’imagine les tempêtes qui l’ont inspiré et les bergers qui les redoutaient. Cette gravure est inscrite sur un plateau de roches lissées par le temps, c’est un paysage qui m’a beaucoup inspirée pour les décors du clip. Ces fresques et ces gravures, c’est un peu un eye contact avec le passé. Elles dégagent le témoignage d’un ancien temps et c’est une imagerie qui provoque l’imagination.

Anne m’a exprimé l’envie d’un récit initiatique. C’est de cette jonction qu’est né le déroulé du clip : une jeune fille qui traverse des fresques pour apprendre à ressentir ce passé. Au fur et à mesure de son éveil sensitif, les peintures s’éveillent aussi, puis elle finit par pénétrer leur monde !

Le clip a l’air de comporter beaucoup de dessins, tu as dû mettre beaucoup de temps à le réaliser ?

Du début de la conception jusqu’au clip fini se sont déroulés 6 mois de travail intense. Il y a eu toutes les recherches de décors, de design du personnage et du bestiaire. Il y a dans le clip 11 décors dont 2 grandes frises ; 4 personnages dont un qui se transforme ; et 8 espèces d’animaux différentes.  Cette étape de pré-production m’a pris 2 mois et aboutit sur le storyboard qui découpe chaque plan et précise chaque action. Ensuite la production du clip c’est-à-dire l’animation de tous les plans, a duré 3 mois et demi. Puis j’ai consacré 2 semaines à la post-production qui consiste à corriger les coquilles, faire le générique de fin et les titrages, finir le montage et étalonner (corriger les couleurs). Pour l’animation en elle-même, le clip est animé à 12 images par secondes sur environ 3 minutes donc on atteint assez vite un nombre astronomique.

Ton univers et celui d’Anne Paceo se confondent parfaitement et ça se ressent dans ce clip, comment cette collaboration est née ?

J’avais déjà travaillé avec Théo Ceccaldi pour un clip en 2020 et ils ont fait une résidence de musique ensemble. Anne cherchait quelqu’un pour faire un clip d’animation et un grand merci à Théo qui m’a immédiatement recommandée. De mon côté quand j’ai su qu’elle cherchait quelqu’un je lui ai envoyé un message très enthousiaste parce que j’adore son travail. Il y a une dimension cinématographique dans ses compositions qui m’a parlé très vite. Le courant est très bien passé, ça fait bien plaisir de faire émerger des projets artistiques par la rencontre de plusieurs univers, de mon côté c’est vraiment ce que je recherche dans ma pratique de l’animation ! Anne est très curieuse et investie, ça m’a plu cet intérêt et cette envie d’apprendre, de se nourrir de nouvelles choses.

Vous avez été quatre à travailler sur l’animation, comment vous êtes-vous partagé les tâches ? 

Au total, on était 7 ! Mais un noyau de quatre personnes a géré le plus gros du travail d’animation : Gaby Jimenez, Léo Suchel, Hugo Blanc et moi ! Une fois le storyboard fini, je leur ai donné et on s’est départagé les plans à animer. En général chacun exprime ses préférences de plan (car c’est important de faire un plan qui te plaît), et on s’est organisés en conséquence. Il n’y avait pas de rôle attitré par étape : rough (animation de base), clean (peaufinage du dessin), colo… chaque animateur était à charge de son plan du début à la fin, je devais juste valider entre les étapes. Puis j’ai eu les aides précieuses de Léo Sibertin-Blanc pour les animations de décor (vent dans le paysage et lumières dans la grotte qui défile), de Noémie Cathala qui a intervallé (rajouté des images dans les animations pour fluidifier le mouvement) sur un plan, et Lucas Ansart qui a colorisé un plan sur la fin.

Tu as aussi animé le clip “Le Retour des Perdrix”, un clip encore une fois très poétique (et avec des oiseaux), peux-tu nous dire ce qui te plait le plus dans cet exercice ?

Un clip c’est toujours très agréable pour plusieurs raisons : D’abord ce sont des projets à court terme comparé aux années de production qu’il faut à ne serait-ce qu’un court métrage d’animation. Ensuite c’est formidable car la moitié du travail est déjà faite vu que le son constitue 50% d’un travail audiovisuel. Enfin c’est super chouette de s’adapter à la musique, écrire un récit avec et pour elle, avancer comme une danse en image, illustrer les sons. J’ai grandi dans une famille de musiciens et le dessin a toujours été ma « particularité ». De pouvoir le mettre en résonance avec la musique, c’est un plaisir. Je convoque une écoute que je développe depuis ma plus tendre enfance et je la mets en exergue avec ma manière de m’exprimer ! C’est pour moi logique et naturel de faire se rencontrer ces deux pratiques.

Ce qui me plaît le plus c’est quand tout est enfin terminé, que la musique et l’image se présentent ensemble et qu’elles paraissent dorénavant indissociables.

Est-ce que d’autres projets d’animation sont à venir pour cette année 2022 ?

Oui bien sûr ! Il s’avère qu’Anne a voulu un second clip animé, cette fois-ci il est réalisé par mes chères collègues Claire Valles et Lucile Paras, j’ai eu le plaisir d’être animatrice dessus et je peux vous garantir qu’il sera superbe ! Ensuite je co-réalise avec Gaby Jimenez et Léo Suchel un court métrage qui s’appelle Cohue Bohu. Le thème du film c’est la formation d’un groupe. C’est un court métrage en pixilation, une technique d’animation où les traditionnelles marionnettes sont remplacées par des corps humains. L’équipe de Cohue Bohu est constituée d’acteurs divers : danseurs, animateurs, théâtreux… c’est un film qui défend un cinéma qui réunit. Le prochain tournage aura lieu au RAMDAM, vers Lyon, qui nous fait l’honneur de nous accueillir pour la deuxième fois. Pour la suite il y a plein de choses incertaines mais ce ne sont pas les envies ni les idées qui manquent, donc j’envisage tout ça avec un plaisir anticipé.

SAVARAH – Monde SéquenCiel

ANIMATION : CAMILLE ORAIN

Salut Camille. En plus d’animer des clips, il semblerait que tu te passionnes aussi pour la musique. Peux-tu nous en parler ?

J’ai commencé la musique assez tôt avec des cours de piano et en bidouillant sur plusieurs supports (instruments divers que mon oncle laissait chez moi, ordinateur…). J’ai retrouvé, il y a quelques années, des cassettes que j’avais enregistrées avec un vieux magnétophone Fisher-Price, où je jouais des bêtises sur un vieux Casio. Au collège/lycée, je jouais beaucoup avec des gens dans des groupes aux styles super variés (et pas toujours très maîtrisés), on rigolait beaucoup. Je me sens très chanceuse d’avoir pu avoir accès à la musique à ce point.

J’ai eu l’occasion d’avoir un ordinateur avec internet assez tôt, je sens que ça a permis de nourrir cette curiosité. Les débuts d’internet et la connexion pas folle rendait les échanges d’albums et de clips très précieux. Par la suite, j’ai commencé à composer des petits sons de mon côté, notamment lors de la création de petits jeux vidéo avec ma sœur. En clair, j’ai vraiment l’impression que j’ai eu plusieurs manières d’apprécier, de « consommer » et de créer de la musique, selon mon âge et les périodes.

Le clip n’est pas sans nous rappeler des dessins animés comme le Laboratoire de Dexter et Futurama, pourquoi avoir choisi de faire un clip style cartoon ?

L’histoire est née avec la composition du morceau. En discutant avec Blondine et Jérémy, le synopsis était très clair : un robot qui travaille à la chaîne, il en a marre et part dans l’espace faire de la basse. Le ton étant assez rigolo, j’ai trouvé qu’un style assez naïf, coloré pouvait soutenir le côté drôle et décalé. C’est naturellement que ces références me sont venues pour l’étape Moodboard. J’ai pas mal pensé aux Zinzins de l’Espace, dont chaque épisode raconte le souhait des personnages de retourner dans l’espace à tout prix. L’humour singulier de ces dessins animés correspondait selon moi à l’esthétique acidulée du titre.

Ce petit robot qui est stressé par ce surmenage et ce travail à la chaîne et qui s’envole haut dans le ciel pour jouer de la basse, quelle histoire ! Pourquoi as-tu décidé de raconter ce récit ?

Ce récit se dessine en cohérence avec les paroles, qui sont en fait des mots prononcés par le robot. Il liste des actions répétitives, comme s’il était coincé dans un cycle infini. Cette histoire s’inspire des questions qu’on se pose sur notre quotidien, bloqué dans une réalité où le même jour recommence sans cesse, où les objectifs qu’on se fixe sont les résultats d’une injonction sociale… Alors qu’on pourrait rester tranquilles et loin du monde, à jouer de la basse.

La réalisation du clip à l’air d’avoir été fastidieuse notamment car on y retrouve beaucoup de plans, peux-tu nous parler des différentes étapes de fabrication ?

La fabrication a suivi un schéma assez classique finalement. Un storyboard papier est né suite à plusieurs réunions thé avec le groupe Savarah. Entre ces réunions, j’ai rencontré la personne qu’on peut voir dans le clip, j’ai immédiatement pensé qu’il fallait qu’elle soit dans le clip, nous l’avons donc filmée. L’étape suivante a été de créer les fonds et décors, dessinés avec plusieurs couches pour pouvoir créer un effet de parallaxe. C’est à partir de ce moment-là qu’il y a eu un ping-pong entre le compositing et l’animation en image par image du robot. Après avoir fait tout le compositing et rendu, on s’est rendus compte avec le groupe qu’il manquait quelque chose. On a donc refait une nouvelle version avec la pub du produit en 3D, qui n’était pas du tout prévue à la base. Ce projet a donc multiplié les techniques, à la fois de l’illustration, de l’animation frame by frame, de l’animation After Effects, de l’animation 3D, de la prise de vue réelle… C’était long d’articuler tout ça, mais c’était comme ouvrir une grande boîte à jouets, tester et mixer des choses pour faire des expériences. De cuisiner des ingrédients qui n’étaient pas forcément fait pour se côtoyer dans une même assiette.

Comment t’es-tu formée en illustration / animation ?

Je suis une amatrice d’images qui bougent, de petits papiers et bouts de ficelles depuis une vingtaine d’années. Après un cursus Arts Appliqués, je suis entrée à l’ECV Bordeaux pour effectuer une formation Cinéma d’Animation. J’ai continué de me former dans mon coin, en 2D et en 3D.

Une question nous trotte dans la tête… Est-ce que la mamie de “SéquenCiel” est inspirée d’une personne réelle ?

La mamie qu’on voit dans le clip est jouée par Mamie Nicole, la mamie de Blondine. Telle quelle, elle est un peu comme Mom dans Futurama : une PDG diabolique qui maintient une image publique de douce matrone, une mamie amicale. Je pense que chacun peut y voir une personne qu’il connaît. Pour ma part, j’y retrouve les supérieurs hiérarchiques faussement bienveillants, le « Happy Washing ».

TEARS FOR FEARS – BREAK THE MAN

ANIMATION : WE WERE MONKEYS

À première vue, ce clip nous rappelle l’esthétique de Kraftwerk et ses robots humains, quelle histoire voulait raconter le groupe à travers ce clip ?

C’est une interprétation intéressante, nous n’avions pas pensé à Kraftwerk mais nous le voyons maintenant que vous le mentionnez. Le groupe ne nous a pas donné de brief spécifique, mais nous avons obtenu cette citation de Curt Smith : « Il s’agit d’une femme forte – ce qui est évident – mais il s’agit en fait de briser le patriarcat. »

Il y a d’ailleurs une morale dans ce clip, pouvez-vous nous l’expliquer ?

Pour nous, il s’agit d’une critique des systèmes patriarcaux qui dominent notre civilisation. Nous avons traduit visuellement ce concept en un monde de structures concrètes intransigeantes et de hiérarchies sans fin ; un lieu construit par une dévotion mécanique à des dogmes instables et non durables ; un lieu peuplé de légions de drones qui montent et montent de façon robotique jusqu’à ce qu’ils s’écrasent, pour recommencer ensuite. Le monde semble sans fin, reflétant l’idée de vivre au sein d’un système. Mais à la fin, il est révélé que ce système apparemment infini n’est qu’un jouet dans la main d’une femme divine. Pour nous, sa figure représente l’infini, l’inconnaissable, la réalité suprême. Nous l’avons surnommée « Mère Univers ».

Pouvez-vous nous raconter comment vous l’avez réalisé de A à Z ?

Nous avons d’abord écrit le scénario et rassemblé des images de référence pour inspirer la direction artistique. Nous avons imaginé le monde du patriarcat dans un style brutaliste monolithique, que nous avons construit dans le logiciel Cinema 4D. Nous avons créé un système modulaire pour le mouvement des hommes afin de pouvoir facilement construire de grands plans. Nous avons fait beaucoup de tests et d’itérations pour créer des plans qui reflètent la dynamique changeante de la musique. La conceptualisation de la figure de la « Mère Univers » a nécessité de nombreuses itérations, mais une fois que nous nous sommes mis d’accord sur le fait qu’elle ressemblait à un vide, nous l’avons construite à l’aide de Daz3D et Cinema 4D. Le rendu a été effectué avec Octane et la composition avec After Effects.

Votre univers transparaît dans tous vos clips, on retrouve une esthétique commune et un côté dark assumé. Comment arrivez-vous à garder cette homogénéité malgré la pluralité des artistes pour qui vous travaillez ?

Nous pensons que les personnes qui nous engagent attendent cette qualité de notre travail. C’est le reflet de ce que nous sommes en tant qu’artistes. La quasi-totalité de nos clips nous sont confiées dans le cadre d’un cahier des charges ouvert, de sorte que la majorité de la partie créative soit inventée par nous.

Vous avez été nominés au MTV Music Video Award pour la « meilleure direction artistique » pour un projet en particulier, pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous n’avons pas gagné le prix, mais nous avons été nominés pour le clip que nous avons réalisée pour la chanson Little Talks de Of Monsters and Men. Cette vidéo et cette chanson ont marqué l’esprit de la culture de l’époque et c’est de loin notre œuvre la plus vue. Nous adorons travailler avec OMAM, car ils partagent notre passion pour les récits abstraits et ouverts.

Comment va Frankie Knuckles ?

Elle vient d’apprécier un dîner spécial de poulet en sauce et s’installe maintenant pour une sieste, donc on peut dire qu’elle va bien…

PALATINE – JANE JANE

ANIMATION : VINCENT EHRHART DEVAY

Est-ce que tu pourrais te présenter et par la même occasion présenter ton groupe Palatine ?

Je m’appelle Vincent Ehrhart-Devay, je suis réalisateur, animateur et illustrateur, diplômé des Gobelins en 2004, j’ai depuis travaillé à Londres et à Paris sur de nombreux longs métrages d’animation ou en VFX (Children of Men, Where The Wild Things Are, Un Monstre à Paris, Despicable Me 2, Sing…) et côté face, je suis auteur compositeur interprète au sein du groupe Palatine. Palatine est un groupe de Folk Rock créé en 2015 avec JB Soulard a la guitare, Toma Milteau à la batterie et Adrien Deygas à la basse. Niveau influences, pour nous situer nous aimons citer Timber Timbre, Songs : Ohia, PJ Harvey… Après un EP (Baton Rouge) et un album (Grand Paon de Nuit) et avant d’entrer en studio pour notre deuxième album, nous avons récemment sorti un nouvel EP intitulé Talismanie sur le label Yotanka, sorte de rêverie en cinq titres autour de la féminité et les contours changeants de sa représentation.

Tu es donc musicien, illustrateur, animateur, comment on en vient à avoir autant de cordes à son arc ? 

J’ai l’impression que c’est un profil qui n’est pas si rare. J’ai autour de moi beaucoup d’animatrices et animateurs qui pratiquent aussi la musique. Dans le studio d’animation Illumination ou je travaille, parfois, il y a même un festival de musique avec les employés. On parle ici de différents moyens d’expressions artistiques et j’ai le sentiment qu’une fois qu’on a mordu dans la possibilité de s’exprimer par autre chose que le langage cette curiosité et ce plaisir initial pousse a multiplier les expériences. Le dessin est devenu important pour moi vers l’âge neuf ans, la musique est arrivée plus tard à l’adolescence avec le grunge et son cortège de guitares électriques. J’ai appris la musique et le dessin en autodidacte sans m’imaginer que je pourrais faire mon métier ne serait-ce que de l’une de ces pratiques.

La chanson de Palatine est dédiée à Calamity Jane. Qu’est-ce qui t’inspires particulièrement dans ce personnage ?

Les sujets et thèmes des chansons me viennent souvent par hasard mais lorsque le nom Jane s’est invité dans celle-ci j’ai trouvé le personnage de Jane Cannary, ou en tous cas l’idée qu’on s’en fait, intéressant à exploiter poétiquement. Son histoire est celle d’une personne qui a refusé les limites d’une existence imposée par la société dans laquelle elle évoluait. Son refus d’obéir aux règles régissant la vie des femmes au XIXème siècle et la trajectoire qu’elle s’est elle même forgée, non sans sacrifices méritent qu’on s’y intéresse et c’est donc naturellement que j’ai laissé glisser l’histoire vers Jeanne d’arc, afin de mettre en miroir les images oniriques de ces deux femmes fortes. Calamity Jane devient la façade qui cache le vrai sujet de la chanson, l’appropriation du symbole qu’est devenue la figure de Jeanne d’Arc par l’extrême droite.

Peux-tu nous parler un peu de l’EP Talismanie ?

En attendant que le monde s’ouvre à nouveau et l’opportunité d’enregistrer notre deuxième album dont les chansons étaient prêtes nous avons eu l’envie très simple de sortir de la musique, reconnecter avec le public. La thematique de la femme et de sa réalité a toujours été très présente dans notre musique, nous avons donc eu envie de réunir cinq nouvelles chansons avec celle-ci en unique fil rouge tout en tentant de répondre à deux problematiques: Comment habiter poétiquement le monde tout en prenant part à une conversation concrète, ici le mouvement « me too », et comment le faire lorsqu’on est un groupe composé uniquement d’hommes. Il n’y a ni leçon, ni posture, seulement du ressenti que nous espérons sensible et sincère.

Le clip est une réelle BD vivante. Où es-tu allé piocher tes références graphiques ? 

Le comic book m’a paru tout indiqué pour accompagner graphiquement la figure éminemment américaine de Calamity Jane. Elle y a d’ailleurs été souvent représentée. Je suis allé glaner des références indiscriminées de comics des années soixante-dix et quatre-vingt.

Tu as d’ailleurs dit que ce clip avait été le plus long à réaliser parmi tous ceux de Palatine, qu’est-ce qui était le plus complexe à faire ici ?

Je réalise les clips de Palatine seul et je favorise ce que j’appelle des « illustrations animées », avec une animation très limitée ce qui me permets de produire ces clips en un temps raisonnable. C’est un changement d’avis et la reprise de toute la fin du clip qui a rendu la production plus longue que d’habitude. La fin était initialement plus douce et plus contemplative mais j’ai finalement décidé au final qu’elle gagnerait à être plus sombre et évoquer clairement la violence à laquelle le titre fait allusion. A noter que pour finir à temps, j’ai reçu l’aide de mon camarade Antoine Birot, animateur et background artist pour la conception de certains décors.

En dehors des animations pour Palatine, as-tu déjà réalisé des clips pour d’autres groupes ou est-ce dans tes projets ?

Je n’ai eu qu’une fois l’occasion de réaliser un clip pour un autre groupe que Palatine. Pendant le premier confinement j’ai eu le plaisir d’animer une lyrics vidéo pour le titre « Baise moi » du groupe Terre Noire, récemment adoubé « révélation masculine » aux Victoires de la musique. Je renouvellerais l’expérience avec plaisir si l’opportunité se présente et que la musique me parle.

WE HATE YOU PLEASE DIE – VANISHING PATIENCE

ANIMATION : CLOTHILDE EVIDE

Hello Clothilde. Peux-tu nous expliquer la conception de ce clip et en particulier, la fabrication de tous ces minuscules éléments ?

Alors, déjà ça commence par bien piger la musique que je vais cliper : demander au groupe de m’envoyer les paroles et de me raconter ce qu’elles racontent. « Vanishing Patience », c’est un appel à la révolte. Elle a été écrite pour des amies qui sont la cible de nombreuses discriminations. Ça a été un peu compliqué au départ de trouver un moyen de parler de toutes ces violences sans les illustrer telles qu’elles, sans montrer personne du doigt. C’est de là que m’est venue l’idée d’utiliser des gants colorés/manucurés en tant que protagonistes de cette révolution, puis de la recette d’un gros gâteau à la colère comme combat commun. J’avais envie de créer des objets pour ce clip, de quitter un peu l’écran pour manipuler du réel. Alors j’ai mis les mains à la pâte. Je suis allée chercher mes vieux jouets chez ma mère pour créer une mini-cuisine, j’ai récupéré du journal et du carton pour fabriquer l’énorme gâteau et j’ai collé des faux ongles sur des gants Mapa. J’avais installé un studio dans mon salon avec un tissu vert au mur et quelques lampes de chantier. Trois copines sont venues faire les actrices. Je leur ai peint les bras ou le visage en vert et on a joué avec de la chantilly et d’autres mélanges. J’ai rassemblé tous ces éléments dans une grosse bibliothèque graphique et j’ai commencé à animer en suivant plus ou moins le storyboard écrit à l’avance.

La musique est tantôt calme, et tantôt très nerveuse, ce qui a dû être un challenge concernant l’animation. Comment as-tu travaillé sur les différentes séquences ?

Justement! C’est ce qui m’a plu dans ‘Vanishing Patience’. Le début un peu balade mélancolique et bam! c’est le bordel. J’aime bien qu’il y ait une rupture dans le rythme, ça permet de raconter plein de choses graphiquement. Quand je commence à écrire un clip, je commence toujours par dessiner un schéma du rythme. Je suis pas du tout musicienne, alors je prends plein de crayons de couleurs et j’illustre une timeline avec des courbes, des formes colorées, des émotions, etc. C’est ma manière à moi de comprendre la construction d’une musique et son rythme.

Ce n’est pas la première fois que tu fais des clips, peux-tu nous parler en quelques mots de ceux que tu as déjà réalisé ?

L’année dernière, j’ai réalisé mon premier clip pour les copains de Servo. J’avais du temps pendant le confinement alors ils m’ont laissé carte blanche sur leur musique ‘Soon’. C’est la promenade de 7 minutes d’une vache un peu perchée dans un gros collage digital avec des effets de parallaxes. Ça m’a servi de présentation pour m’incruster dans le monde du clip à Rouen. J’ai toujours eu envie de réaliser des clips : scénarisation + création graphique + musique = miam. Alors, merci les gars !
Après, c’est Bungalow Depression qui m’a demandé d’illustrer ‘Sad Day’. C’est l’histoire d’un petit fantôme coincé dans son château. Il s’ennuie, se regarde de l’extérieur comme le spectateur de sa propre vie alors que la vie qui l’entoure continue de briller. Ça parle clairement de dépression. J’étais là avant Stromae. 

Où as-tu appris à faire de l’animation ?

J’ai fais un BTS Design Graphique, et pour la plupart des projets, je voulais répondre en vidéo. J’ai commencé à bricoler des animations en stop motion et en collage avec After Effect à ce moment-là. Ça a donné des rendus un peu cheap/punk parce qu’on avait pas vraiment de formation pour animer. Puis, j’ai eu la chance d’intégrer le Bachelor Motion Design aux Gobelins en 2017, c’est là que j’ai vraiment appris à utiliser les outils d’animation pour illustrer mes idées farfelues.

Comment la collaboration avec We Hate You Please Die est-elle née ?

On se connaissait avec le groupe, grâce à notre petit village qu’est Rouen. Ils m’ont envoyé leur nouvel album, j’ai sagement écouté, ils m’ont proposé de choisir une musique à cliper et paf. Je leur ai proposé une idée et c’est parti. J’ai pu être hyper libre pendant ce projet, ils m’ont fait confiance et je les en remercie.

Quels sont tes projets pour l’année 2022 ?

Encore du clip! J’adore ça. Je commence tout juste à travailler sur l’écriture d’un nouveau projet. J’aimerais m’aventurer dans une technique encore un peu différente, pour continuer d’évoluer et d’apprendre (et de galérer un peu). 
Sinon cette année, j’anime aussi des ateliers graphiques et plastiques avec des enfants de primaire. J’y mêle créations plastiques, animations en stop motion, et mise en scène dans des décors bricolés. C’est cool de montrer aux enfants qu’avec leur imagination, quelques bouts de cartons et un fond vert on peut s’inventer tout un univers. Le top ça serait carrément de faire un clip avec eux en fait, à voir.

PLUS DE CLIPS ANIMÉS

Restez Connecté

Recevez nos dernières actus, nouveaux talents et musique

Fermer la recherche