Bibliothèque : notre sélection de livres du 14 avril

Tous les quinze jours, on vous recommande cinq livres dessinés qu’on aime fort. Voici ceux de cette quinzaine, en espérant que ça vous plaise aussi.

Il fait chaud, il fait froid, on ne sait pas trop comment s’habiller. Autant, alors, ne pas sortir et plutôt passer sa vie en slip dans son canapé. Pour vous aider dans cet ambitieux projet, voici cinq livres que nous avons pioché dans notre bibliothèque pour faire de votre vie plus qu’un rêve : une vie dans le canapé.

La Météorite de Hodges de Fabien Roché

En l’an de grâce 1954, l’Alabama reçoit un cadeau du ciel. Enfin, quelque chose tombe du ciel, en tout cas. Sur quelqu’un. Ann Elizabeth Hodges, femme au foyer alors en pleine sieste sur son canapé, a le bonheur de se faire réveiller par une météorite qui lui brûlera superficiellement une partie de la hanche. S’en suit pour elle et son mari des espoirs de célébrité et de fortune vite contrecarrés par l’american way of life. L’histoire est 100% vraie.

Fabien Roché trouve pour son premier album un sujet en or, et son talent le sublime. Avec une ligne claire épurée, des jeux d’ombres et de lumière maîtrisés et un découpage osé, le jeune auteur parvient à faire de cette incursion de l’extraordinaire dans l’ordinaire une bande dessinée de grande qualité. L’improbable discute sans sourciller avec le morne, l’inouïe avec le routinier dans une aventure qui ne glisse jamais vers l’épopée. Un premier coup qui fait mouche.

La Météorite de Hodges de Fabien Roché, éditions Delcourt, 64 pages, 18,95€

L’Ambassadeur de Lucas Burtin

L’ambassadeur arrive dans la cour du roi Thyle, maître d’une nation dévastée par les multiples guerres qu’il subi et/ou mena. Le royaume se relève à peine mais est bien décidé à reconstruire ses mythes pour retrouver sa cohésion. Malheureusement, ses objets de cultes sont désormais indéchiffrables et l’ambassadeur fraîchement installé vient avec d’autres terribles nouvelles.

Dit comme ça, tout cela a l’air propre et net. Mais en réalité, les petits livres de Lucas Burtin sont aussi peu bavards que les pièces étranges du royaume de Thyle. C’est dans une ambiance qu’on se plonge, pour ce petit goût de désespoir et d’absurdité aux confins de l’espace. L’Ambassadeur est le troisième des fanzines que Lucas Burtin consacre à ce qu’il a appelé le cycle Fata Morgana. Et pour la troisième fois, les dessins de Lucas Burtin sont splendides. Après deux volumes où l’auteur scrutaient les scènes de batailles et les bâtiments abandonnés, nous sommes ici en intérieur où les objets sans sens se bousculent. La mythologie selon Burtin se met joliment en place.

L’Ambassadeur de Lucas Burtin, Nebel Press, 28 pages, 8€

Dictionnaire des monstres de Chawqi Abdel Hakim & Mohieddine Ellabbad

De tous temps, en tout lieu, il fallu des monstres pour expliquer la nature, s’en défendre et la défendre. Ce qui fait une bonne masse de monstres à se coltiner pour l’humanité. Et à se rappeler, pour ne pas faire de bourde. Heureusement, voici le tant attendu Dictionnaire des monstres pour tout savoir ou presque de nos sacrés copains les monstres. Que ceux-ci viennent des Philippines ou d’Écosse, ils trouveront ici un petit article les décrivant sous la plume de Chawqi Abdel Hakim et les dépeignant sous le trait de Mohieddine Ellabad.

On ne va pas tourner autour du pot, ce petit livre pour enfant est tout à fait fascinant. Car, malheureusement, nous n’avons pas l’habitude de croiser ce type d’objet à tous les coins de rue. Mais heureusement, les éditions bilingues Le Port a jauni a la bonne idée de nous en déposer ici ou là. Ainsi, pour la troisième fois, la maison marseillaise fait honneur au dessinateur égyptien Mohieddine Ellabad, aujourd’hui disparu. Et on peut dire que c’est pas dommage : la grande liberté que donne les monstres lui donne les coudées franches et lui permet de s’envoler dans un psychédélisme subtile qu’accompagne admirablement les textes mi-savants mi-humoristiques de Chawqi Abdel Hakim. Une vraie pépite.

Dictionnaire des Monstres de Chawki Abdel Hakim & Mohieddine Ellabbad, Le Port a jauni, 40 pages, 12€

Somnolences de Pei-hsiu Chen

Qu’est-ce qu’être une femme célibataire à Taïwan ? À vrai dire, à près de 10 000km de là, ce n’est pas facile d’avoir une opinion franche. Par la grâce des éditions Actes Sud et surtout celle de l’autrice Pei-hsiu Chen, nous pouvons en avoir une petite idée. Car celle-ci nous dresse le portrait de dix anonymes, perdues entre les traditions immémoriales, l’urbanisme tentaculaire et la précarité galopante de ce petit bout d’Asie du sud-est. Si la découverte de ce quotidien est loin de l’évasion que nous promettent habituellement les terres lointaines, elle a le mérite de rapprocher drôlement d’une forme de vérité.

Pei-hsiu Chen, nous devons l’avouer honteusement, était inconnu de nos services. Mais l’illustratrice taïwanaise fait une entrée fracassante dans notre bibliothèque grâce à ce Somnolences d’une délicatesse et d’une sincérité à couper le souffle. À l’image de la vie de ces jeunes femmes, le trait de la dessinatrice est trouble, gris et brouillon. Il n’a pas l’air d’être facile de mener une vie sereine sur cette petite île. Les femmes doivent y batailler sans cesse entre un avenir flou, un passé omniprésent et un présent pesant. Sans pathos, ni surlignage lourdaud, Pei-hsiu Chen se balade entre ces différentes vies et nous fait découvrir la face cachée du miracle taïwanais qui ne se fait pas sans casser quelques personnes.

Somnolences de Pei-hsiu Chen, Actes Sud BD, 128 pages, 22€

Le Cheikh hyperactif de Marko Turunen

L’histoire n’est pas forcément linéaire mais quelques éléments viennent immédiatement nous sauter à la figure : le Cheikh hyperactif sera un héros insupportable puisque violent, alcoolique, voleur et machiste. Il sera donc évidemment jouissif. Le voir se vautrer dans le mal dans les multiples saynètes que nous conte l’auteur finlandais Marko Turunen, fait partie du plaisir indéniable que nous provoque Le Cheikh hyperactif. D’autant plus que le monde dans lequel il évolue ressemble fort à un mauvais remake de Roger Rabbit où l’auteur plante comme décors et personnages secondaire tout ce que la société du spectacle peut nous offrir de vulgaire, débile et hallucinogène.

À l’image de cette couverture pétante, Le Cheikh hyperactif ne fait pas dans la demi-mesure. On nage dans un carnaval totalement débraillé où se croisent des barbies difformes, des chiens veufs et des pingouins mignons conducteurs de taxis, tous pris dans des histoires qui fleurent bon le Bonnie & Clyde glauque. Construits tels de mauvais rêves ou de répugnants fantasmes, les courtes histoires qui construisent le récit ne font pas bloc et ne se terminent pas forcément. Parfois, nous jubjautons, d’autres fois il nous faut recoller les pièces, et souvent il ne faut pas essayer de s’attacher à une narration stable. On dit qu’en littérature, il ne faut pas se fier au narrateur. On ajoutera : d’autant plus quand il s’agit d’un Cheikh hyperactif. Cette histoire de mauvais héros viriliste pourrait bien cacher une vérité un petit peu plus profonde.

Le Cheikh hyperactif de Marko Turunen, Frémok, 360 pages, 30€

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