Décryptage : la sélection bimestrielle de nos clips animés préférés

Tous les deux mois, Kiblind donne la parole à l’artiste derrière l’artiste : l’illustrateur.rice chargé.e de retranscrire la musique en images. Retrouvez nos clips musicaux animés préférés des mois de novembre et de décembre 2023 décryptés par ceux qui les ont fabriqués.

On ne vous l’apprendra pas : l’illustration est partout. Elle a envahi nos murs, nos comptes Instagram (bon, on y est peut-être pour quelque chose), nos objets, nos vêtements, nos pochettes de disques, notre page Youtube… Et c’est bien normal, il faut dire que c’est elle la meilleure toutes catégories pour faire joliment passer des messages et provoquer des émotions. Les artistes là dessous l’ont bien compris et l’ont utilisé au service d’un autre art capital : la musique.

Voici donc la sélection de nos clips animés et illustrés chouchous sortis durant les mois de novembre et décembre 2023, décortiqués par leurs créateur.rices qui ont gentiment répondu à nos questions.

BELLBOY – Bambino

ILLUSTRATION / ANIMATION : Romane Granger

Hello Romane ! Bellboy dit t’avoir laissé t’emparer de leur chanson. Quelles ont été tes premiers ressentis à l’écoute de « Bambino » ? 

Lorsque j’ai reçu l’EP des Bellboy, j’ai passé plusieurs jours à l’écouter en boucle pour m’imprégner de leur univers. Leur musique a une dimension narrative captivante, ce qui m’a beaucoup plu.  Compte tenu de la poésie des paroles, il me semblait important que le clip soit narratif, et assez rapidement une histoire a émergé.  Celle d’un personnage sur le point de mourir et qui revoit une dernière fois l’enfant qu’il a été pour lui dire adieu, dans la dernière seconde figée de sa vie.   

Les scènes du clip « Bambino » semblent se passer au début du XXème, avec une esthétique art nouveau marquée. Pourquoi avoir choisi cette esthétique en particulier et qu’est-ce qu’elle t’a permis ?

Avec ses paroles poétiques et ses sonorités médiévalo-futuristes, le  morceau possède déjà un univers onirique original. Pour répondre  graphiquement à cet univers, j’ai voulu mêler des éléments rappelant le Moyen Âge à des références au Space Age et à l’art nouveau. Avec ces différentes inspirations, je voulais créer une atmosphère Fantasy-futuriste, le cadre du conte que nous narre les Bellboy.

Tu as marqué de ta patte graphique l’univers de Bellboy en réalisant plusieurs clips mais aussi l’artwork de leur EP. Quelles étaient les volontés et les envies du groupe en terme de direction artistique ? 

La collaboration avec Bellboy a été géniale, puisqu’ils m’ont vraiment fait confiance tout au long de nos échanges. Pour le clip, j’étais totalement libre; Arthur et Joseph aiment beaucoup le cinéma d’animation, et nous avions globalement les mêmes références artistiques ce qui a grandement facilité la collaboration.

« Bambino » traite de la relation avec l’enfant qui se trouve en nous. On ressent de la nostalgie pour des périodes révolues dans tes dessins. Quel est ton rapport au passé ? 

Dès la première écoute du titre, j’ai été frappée par les thèmes évoqués, puisqu’ils sont au cœur de mon travail. En effet la nostalgie, la mémoire perturbée et la quête d’identité à travers la recherche de souvenirs sont des sujets qui m’obsèdent, et qui me semblent être des obsessions universelles.  

Je me suis déjà penchée sur la question de l’idéalisation des souvenirs  d’enfance avec mon court-métrage Richie, et dans ma bande dessinée Bettica Batenica, j’imaginais l’histoire d’une femme qui invente une  formule magique permettant d’effacer ses souvenirs. Ce clip m’a permis de  traiter d’un autre sujet en lien avec la mémoire et qui me tient à cœur: la quête de l’enfance perdue.  

Tu travailles dans l’industrie du dessin animé. Qu’est-ce qui te plait le plus dans ton métier ? 

Ce que j’apprécie le plus dans le cinéma d’animation, c’est son aspect collaboratif. Travailler ensemble pour donner vie à un projet est une expérience profondément enrichissante. J’aime également le pouvoir qu’a l’image animée de provoquer des émotions.

Quel est ton projet d’animation rêvé ? 

Actuellement, j’aime beaucoup ce que je fais, travailler sur des clips, et sur différents projets courts et variés. À long terme, je rêverais de réaliser un long-métrage, de construire un univers plus large…

ALAIN GORAGUER – Le Bracelet

ILLUSTRATION / ANIMATION : Benjamin Geffroy

Hello Benjamin ! Tu réalises de nombreux clips musicaux. Qu’est-ce qui t’animes en particulier dans cet exercice ?

C’est un exercice extrêmement créatif qui me plaît beaucoup. J’aime raconter des histoires et développer un univers graphique qui me semble correspondre à ce que je ressens et comprends de l’univers de l’artiste ou du morceau. Et comme j’ai moi aussi mes propres références et envies, c’est toujours drôle de les confronter / mélanger à un autre univers. Ça permet d’ouvrir ses propres réflexions à des sujets ou des univers graphiques qu’on n’aurait pas forcément interrogés. Un peu comme un échange d’idées.

Selon les esthétiques et les volontés artistiques du label, dirais-tu que ton style de dessin est protéiforme ?

J’adore changer d’approche. C’est ce qui permet de rester surpris par ce que je crée. Bien sûr, il y a toujours des liens entre les différents univers ou histoires développés. Des éléments récurrents présents dans l’ensemble de mes projets, qui définissent les thématiques de mon univers graphique. Mais j’essaye de maintenir cet univers en mouvement et de l’adapter. C’est ce qui est important dans ce genre de production, le processus créatif doit rester un échange entre mon travail et celui de l’artiste, car ce qui est essentiel pour moi, c’est qu’il retrouve son œuvre, sa musique, dans mes images. Sinon, j’aurai l’impression d’avoir dénaturé son travail en quelque sorte.

« Le bracelet » est un morceau tiré de la BO de La Planète Sauvage de René Laloux. Pour ce clip, tu as ainsi du t’inspirer de l’animation existante tout en la modernisant. Comment t’es-tu approprié ce challenge ?

C’était plutôt compliqué, car les dessins de Roland Topor pour La Planète Sauvage font vraiment partie de mes plus grandes inspirations. Je me souviens avoir vu le film tout petit et j’ai longtemps dessiné à sa façon (les ombres des visages particulièrement). J’avais donc très envie d’être proche de l’univers du film, mais il était important que je m’en éloigne. J’ai donc tranché en donnant aux personnages et aux décors des univers différents à la manière des vieux dessins animés où les décors en peinture sont très différents des éléments animés. J’ai pu ainsi déterminer que les décors s’inspireraient du côté très « gravure » du dessin animé, alors que les personnages seraient quant à eux sans ombres pour s’en éloigner. J’ai ensuite mélangé mes envies avec d’autres horizons tout aussi inspirants, comme Le monde d’Edena de Moebius, et j’ai fini par trouver un équilibre. Pour l’animation, c’était le même dilemme. J’avais envie au début de faire quelque chose de beaucoup plus fixe, car c’est la grande beauté du dessin animé d’origine: son efficacité visuelle. Mais j’ai finalement joué là-dessus pour m’éloigner à nouveau de l’œuvre initiale en concentrant l’action sur des mouvements « spectaculaires » (les acrobaties des Oms par exemple) et j’ai gardé le fixe seulement pour le Draag, afin de lui donner cette présence presque divine, comme une statue gigantesque. Voilà comment j’ai avancé et essayé de trouver quels étaient les éléments « hommage » et les éléments « modernité » jusqu’à trouver un équilibre satisfaisant.

Peux-tu nous raconter les différentes étapes de réalisation de ce clip?

J’ai eu la chance de rencontrer l’équipe d’Universal Music France à l’école Gobelins pour un sujet sur lequel j’étais intervenant avec la classe de motion design. C’est comme ceci que je me suis retrouvé à travailler sur le clip accompagnant la sortie de la BO de Alain Goraguer à l’occasion du 50e anniversaire du film. Comme nous étions dans l’idée de faire un hommage à l’œuvre originale, j’ai listé tous les éléments qui caractérisent le film. À la fois dans ses enjeux, son scénario, mais aussi sa force visuelle, afin de définir et de retranscrire ce qui donne au film son incomparable dimension. Ensuite, une fois ce « champs lexical » en tête, j’ai écouté en boucle la musique « Le Bracelet » jusqu’à ce que le scénario soit défini. Ça a été assez évident et fluide, car je savais que je voulais orienter le scénario sur la domination des Draag sur les Oms. Et enfin, une fois la direction artistique définie et la validation des éléments par Universal, il ne restait plus qu’à animer.

Selon toi, quels films d’animation sont aussi cultes que La Planète Sauvage ?

Le Roi et l’Oiseau de 1980 réalisé par Paul Grimault et Jacques Prevert reste pour moi le monument incontournable avec La Planète Sauvage. Ensuite, nous avons tous nos propres films cultes, c’est donc un avis très personnel, mais je pense aussi à l’autre grand film de René Laloux, cette fois en collaboration avec Moebius, Les Maîtres du Temps de 1982 ou le superbe Akira de 1991 réalisé par Katsuhiro Ôtomo.

Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?

Je travaille sur ma première bande dessinée. C’est encore une autre approche de la narration graphique que je trouve extrêmement riche, j’ai toujours eu envie d’en développer une. Parallèlement, j’ai un nouveau projet de court métrage avec mon binôme de toujours Nina-Lou Giachetti et j’ai le plaisir de concevoir des animations pour un projet documentaire réalisé par Anaïs Mak avec qui je travaille beaucoup également.

IRÈNE DRESEL – Glam

ILLUSTRATION / ANIMATION : Zélie Durand-Khalifat

Hello Zélie ! Tu as l’habitude de réaliser beaucoup de clips musicaux, mais pour celui-ci, tu as dirigé toute une équipe d’animateur·rices. Etait-ce un gros challenge pour toi ? 

J’ai toujours évolué un peu en dehors du milieu de l’animation et des systèmes de production, j’ai l’habitude de travailler en freelance, plutôt seule du coup, en direct avec un client. Les images que j’ai réalisées avant pour d’autres musicien·nes n’ont pas bénéficié du même temps de création, du même budget, ni de la même mise en oeuvre que ce projet pour Irène Dresel. Diriger une équipe d’animateur·rices, c’était une première pour moi, mais c’était une volonté que j’avais depuis longtemps pour pouvoir pousser mes idées plus loin, sans me sentir limitée par les délais de production, et ce qu’il est possible de faire en étant seule à tous les postes dans ce temps imparti. Je dois dire que tout s’est très bien passé. J’ai choisi dans mon équipe des personnes dont j’apprécie le travail, ce qui a beaucoup facilité la communication puisque nous avons des sensibilités similaires. Le chef anim Nicolas Verdier a été très aidant, il a tout de suite compris mes inspirations et le résultat que je souhaitais obtenir. J’ai l’impression que tout le monde était plutôt content de travailler sur ce projet, c’était une belle expérience. 

Comment vous êtes vous organisé·es plus concrètement ? 

Ça s’est fait très naturellement, j’ai rencontré Irène Dresel via la société de production Les Monstres, qui cherchait quelqu’un pour réaliser trois clips. On a discuté une heure ou deux de ses inspirations visuelles, puis elle m’a laissé la liberté de lui proposer un script. Elle comme moi avons de suite ressenti une évidence pour cette collaboration, j’ai eu la chance d’avoir dès le début la confiance d’Irène, ce qui est très rare, surtout aussi tôt dans le processus. J’ai écrit les trois chapitres de l’histoire la même semaine, je lui ai envoyé mon texte, et elle l’a immédiatement validé. Le script n’a pas été modifié depuis ! 

Réaliser trois clips en animation 2D, 7min30 au total, est un travail monumental, nous avons de suite convenu avec la société de production qu’il fallait recruter une équipe, une fois l’aide du CNC obtenue. J’ai contacté directement les personnes avec qui je voulais travailler, et pour le reste j’ai passé une annonce. Ensuite, il y a eu un gros travail de préparation avant l’arrivée de l’équipe sur le projet, j’ai appris sur le tas les étapes de la chaîne « traditionnelle » de production, et la gymnastique mentale que le travail de chef de projet exige. Je dois dire que les images qui sont sorties sont à quelques détails près exactement ce que j’avais en tête, donc je suis contente de ce qu’on a créé ensemble. 

L’histoire de ce clip repose sur beaucoup d’éléments concrets, puisqu’on y voit un live d’Irène Dresel, ainsi que de nombreux clins d’oeil à l’univers de la productrice. Quel a été ton degré de liberté concernant le scénario de ce clip ?

À ce propos je dois vraiment remercier Irène, son manager Boris Vercher, et la productrice des Monstres Hélène Orjebin, car j’ai bénéficié d’une liberté quasi totale. Les clins d’oeil présents dans le clip, c’est ce que personnellement j’apprécierais en tant que fan d’un·e artiste; je me suis donc amusée à placer des références à l’univers d’Irène un peu partout. Elle n’a vu presque aucune image définitive avant la livraison finale, et le clip a été posté dans la foulée. J’imagine qu’elle devait être impatiente de voir le résultat après des mois d’attente…

Tu as fait de la lueur externe ta signature visuelle. Qu’est-ce qui te plait en particulier avec l’utilisation de cet effet ?

Je pense qu’au delà de la lueur externe ce qui me plaît le plus c’est de créer des atmosphères, donner de la densité à une image avec des clairs-obscurs exagérés, mettre dramatiquement en valeur des éléments qui surgissent de l’ombre par une lumière artificielle. J’utilise la lueur externe comme un outil dans ce sens, et le travail en dégradés apporte de la douceur à l’image, une « patine » nostalgique qui puise des inspirations dans le cinéma et les films en pellicule. Il y a une recherche de réalisme dans un univers totalement imaginaire. Ce triptyque de clips raconte les aventures d’une Rose miraculeuse, née du front de la statue de Sainte Rita, et Irène Dresel s’y présente comme une prêtresse de la nuit : il y avait une dimension « magique » à l’histoire qui devait être mise en valeur par un traitement lumineux particulier. 

Le clip de « Glam » est le premier d’une trilogie à venir. Combien de temps t’a accaparé ce projet pharamineux et qu’est-ce qu’il t’a appris ? 

Au moment où j’écris ces lignes nous sommes toujours en production, nous sommes en train de finaliser le deuxième et troisième chapitre qui sortiront dans les semaines à venir. Ce projet aura pris au total 9 mois, presque sans interruption ! J’ai appris énormément de choses, du point de vue de l’organisation d’abord, mais surtout, à transmettre mes idées et avoir confiance en mes intuitions. Travailler seule jusqu’ici m’a permis d’arriver sur ce projet en ayant une vision globale de la chaîne de création, ce qui s’est avéré utile pour déléguer le travail et garder l’objectif en ligne de mire; mais la présence d’une équipe m’a aussi apporté le savoir-faire technique de chacun·e; je repars avec de nouveaux outils que j’ai hâte d’expérimenter dans de prochains projets. J’en profite pour les remercier tous·tes chaleureusement ! 

Est-ce que ça t’a donné des envies de long-métrages ? 

Oui j’y pense, après une pause vacances !

TIOKLU – Let Them Go

ILLUSTRATION / ANIMATION : Nina Saulier


Salut Nina ! On trouve peu d’informations sur toi mis à part le fait que tu sois diplômée de la HEAR (ce qui est déjà une bien belle). Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours et tes domaines de prédilection ? 


Coucou Kiblind, merci de m’avoir contactée ! Oui c’est vrai qu’on ne trouve pas grand chose. J’ai étudié à la HEAR en communication graphique où j’ai passé du temps à expérimenter autour du sujet de la mémoire, comment elle influence l’écriture et les formes graphiques. En fait, j’ai très peu dessiné pendant mes années d’études alors que mon rêve d’enfant, c’était d’être dessinatrice sur Les Indestructibles 2. Depuis l’obtention de mon diplôme, j’ai intégré une association impliquée dans la transition écologique. Alors il faut dire qu’en ce moment, mon domaine de prédilection, c’est surtout le compost ! En parallèle, je travaille sur des projets de graphisme, essentiellement pour le milieu associatif. J’aime particulièrement le travail de lettrage, inspiré par les formes qui m’entourent : des copeaux de lino, des flaques d’eau, des courges (le compost est très inspirant je dois dire)… Ça fait seulement quelques mois que je renoue avec le dessin, et je trouve que l’animation est un médium idéal pour l’aborder d’une nouvelle manière. 

Comment t’es-tu formée à l’animation ?

Ma seule expérience en animation, c’était un workshop à la HEAR il y a quelques années. On devait créer un GIF, j’avais dessiné un toast au fromage qui avançait. Six ans plus tard, me voilà à faire marcher une baignoire. Je n’avais jamais fait de projet d’animation dessinée avant les trois clips pour Tioklu. Il doit encore y avoir quelques onglets de tutos « animation for beginners » ouverts sur mon ordinateur. Finalement je n’ai jamais eu la patience de les regarder, alors je me forme seule. Je trouve ça assez intuitif et très stimulant de faire bouger mes dessins. Ça me pousse à être plus précise et à les affirmer. Si je dessine un pied bizarre, il devra bouger bizarrement. J’ai beaucoup essayé, raté, pris le temps de comprendre mes erreurs, tout effacé, recommencé. J’ai énormément appris en me jetant à l’eau avec ces clips !

Tioklu dit avoir pensé cet album comme un dessin animé. C’est comme ça aussi que tu as envisagé les clips « Straight Line, Big Days », « Let them go » et le dernier de cette trilogie ? 

Oui, Tioklu a construit son album The Electric Soup avec une narration qui se suit au fil des morceaux. C’est l’histoire de Moosh, un personnage venu d’ailleurs qui s’est donné pour mission de transporter les enfants terriens vers un nouvel endroit où tout est à reconstruire. Elle constate le « fruit pourri » qu’est devenue la Terre, observe les « crazy ants » qui la peuple, et se confronte aux réalités actuelles. Dans « Let Them Go », Moosh se fait séquestrer et malmener par une mère effrayée. Avant de s’échapper, elle s’amuse des absurdités d’un intérieur moderne : les animaux domestiques, le mobilier du salon, la boisson noire sur la table de la cuisine…  Le récit est précis et très imagé, la musique est expressive et comprend beaucoup de dialogues. Ça paraissait évident de trouver une continuité graphique entre les clips, dans les couleurs mais aussi dans certains personnages. J’ai trouvé ça confortable pour débuter dans cette pratique d’avoir une trame déjà instaurée et de pouvoir broder autour.

Tu as donné une véritable esthétique visuelle au projet de Tioklu. Quelles sont les parts de chacun·e dans tout ça ?

On a passé du temps à se parler de cet album et de ce qu’il nous évoquait. Lui avait déjà beaucoup d’images en tête, des références visuelles qu’il m’a partagées. Il m’a notamment parlé de The Point de Harry Nilsson & Fred Wolf, un très beau projet d’album et de dessin animé justement. J’ai eu beaucoup de liberté pour interpréter son histoire. Au début j’étais un peu limitée par ma non-expérience en animation et ma redécouverte du dessin, ce qui a évolué au fil du projet. Je cherchais des astuces pour illustrer ses idées avec des moyens graphiques assez simples et expressifs. Le personnage de Moosh incarne tout à fait mon nouveau départ dans le dessin : elle est floue, elle a une forme bizarre, pas trop de détails, mais une bonne tête et des grands pieds pour avancer. 

Tu as choisi d’utiliser une palette de couleurs restreinte dans ces trois clips. Comment l’as-tu choisi et pourquoi ? 

Maintenant que j’y pense c’est vrai que je me suis efforcée de piocher dans une palette que j’avais rigoureusement choisie, sûrement à la manière d’une charte graphique. Je trouvais que la continuité dans l’histoire pouvait aussi s’incarner dans une cohérence chromatique. De manière générale, je me sens plus libre avec ce genre de contraintes (sans doute une grosse influence du design graphique). Parfois, c’était très précis dans la tête de Théo : pour lui, « Let Them Go » est vert, « Straight Line Big Days » plutôt rouge, un peu comme ces couleurs qu’on associe aux jours de la semaine. On se partageait aussi beaucoup de références issues d’images imprimées en risographie, ce qui a très probablement influencé mes choix.

Peux-tu nous parler des différentes étapes par lesquelles tu as du passer pour réaliser le clip de « Let Them Go » ?

J’ai d’abord écouté l’album en entier pour comprendre le ton et l’histoire. On a décortiqué le morceau, j’ai repris les paroles ligne par ligne en annotant les images qui me venaient en tête. J’ai passé beaucoup de temps à dessiner sans animer, pour avoir une idée des personnages, de l’atmosphère générale. Au feutre puis numériquement. Souvent, je murmurais la chanson de différentes manières en réfléchissant au mouvement des personnages. Après avoir illustré chaque scène, j’ai commencé à animer. C’est très chronophage mais aussi exécutif et j’aime bien ces moments intenses à redessiner et colorer 15 fois la même chose. Une fois les animations terminées, il y a une dernière étape de montage, où je peux ajouter des superpositions, des effets visuels, des recadrages… Cette étape finale était un réel échange avec Théo, ce qui m’a permis de prendre du recul sur ce travail très immersif. J’ai eu l’impression de redécouvrir les images au dernier moment, c’était super plaisant ! 

STRFKR – Armatron

ILLUSTRATION / ANIMATION : Edward Carvalho-Monaghan

Salut Edward ! Comment as-tu appris l’animation ?

Hello Kiblind ! Je me suis tout simplement jeté à l’eau ! Au cours des deux dernières années, j’ai appris à utiliser des logiciels 3D pour créer un monde texturé plus réaliste, distinct de mon travail linéaire. Cela m’a conduit à des expériences géométriques et à des animations, et l’idée était de travailler sous pseudonyme pour distinguer ces projets de mes autres travaux. Après un certain temps, j’ai trouvé un moyen de relier les expériences 3D à mon travail linéaire et finalement, tout a fini par exister en symbiose dans le même univers.

Lorsque les membres du groupe STRFKR ont discuté de la réalisation de la pochette de leur nouvel album, je leur ai montré quelques expériences d’animation géométrique que j’avais déjà réalisé pour des pochettes de disques. Ils ont été satisfaits de la direction et m’ont fait confiance pour travailler sur quelques clips pour eux et tout ce qui s’est passé depuis a été appris sur le tas. Youtube a été indispensable pour les tutos, ainsi que le site Domestika. Une fois que vous vous êtes familiarisé avec les rouages du logiciel par le biais de petits projets, vous pouvez commencer à acquérir des compétences en peu de temps.

Ton clip est aussi psychédélique que ton style graphique. Quelles ont été tes inspirations pour cette vidéo en particulier ?

C’est un peu difficile de répondre à cette question et je vais m’efforcer d’expliquer ce que je veux dire. Le groupe voulait utiliser plusieurs des boucles géométriques sur lesquelles j’avais travaillé pour la pochette du single. Celles-ci ont été influencées par les peintures de Victor Vasarely et existent dans un environnement très particulier d’abstractions géométriques. Je pensais qu’elles ne se prêteraient pas au style narratif que j’ai l’habitude d’adopter mais l’élément narratif a fini par être le voyage de la caméra à travers des éléments figuratifs, puis dans des motifs géométriques, et enfin dans les deux sens.

Ainsi, bien que l’influence initiale ait été Vasarely, l’inspiration a été de travailler à travers Vasarely plutôt que de considérer son influence comme un point final. Cela peut sembler assez désorientant, mais j’espère que ce sera aussi utile.

Comment les paroles de la chanson ont-elles influencé ton travail ?

Pour cette vidéo, le ton de la musique a été beaucoup plus influent que les paroles. Au début, l’instru donne l’impression d’une mission, puis tout commence à s’éparpiller et à s’éloigner. À mesure que l’instru de la musique dérive, l’animation fait de même et on dégringole au fur et à mesure dans un monde moins humain et plus géométrique.

Tu utilises beaucoup de boucles dans ton travail. Est-ce un moyen d’apporter une autre dimension à tes animations ?

J’espère que les boucles ajoutent une autre dimension à mon travail ! La plupart du temps, j’ai tendance à compliquer les choses à l’extrême. Je pense que les boucles m’aident à explorer des idées isolées, à distance. Comme une chambre d’essai pour les concepts.

Peux-tu décrire les différentes étapes du travail nécessaire à cette vidéo, des premières idées à la vidéo finale ?

Je commence toujours par des dessins. Pour les animations récentes, j’avais mis en place des rectangles de 3×3, aux proportions approximatives d’un écran chacun. Ces rectangles ont été dessinés en orientation paysage dans mon carnet de croquis, puis je commence à dessiner dans les cadres, en composant des croquis d’association libre d’un carreau à l’autre.

Ensuite, je rassemble tous les éléments nécessaires à la mise en place de la scène à partir du dessin et je positionne tout ça sur la trajectoire d’une caméra en mouvement, à peu près dans le même ordre que celui des dessins.

Comme pour mes œuvres d’art statiques, une fois que l’arrangement de base est mis en place, je regarde mes travaux récents et je trouve des éléments à ajouter à l’animation. Par exemple, dans la deuxième scène, il y a des machines fabriquées à partir des systèmes de pompes et de roues développés pour certaines boucles d’animation. Ces éléments peuvent être réorganisés de multiples façons, de sorte que ce qui était une sculpture post-moderne « pirouettante » peut être reconstitué comme une soucoupe volante en chute libre.

Quels sont tes projets du moment ?

Je suis actuellement en train de travailler sur un autre clip animé pour STRFKR qui va sortir très bientôt!

GARANCE MIDI – Rêves / Cauchemars



ILLUSTRATION / ANIMATION : Garance Midi

Salut Garance ! Tu es l’artiste derrière ce morceau mais aussi derrière la réalisation de ce clip. Quel a été ton premier amour, la musique ou le dessin ?

Mon premier amour a été le dessin. Petite, je me rêvais dessinatrice de mangas ou peintre. Finalement, il s’est avéré que j’étais une piètre dessinatrice de BD et pas vraiment meilleure en peinture.

Tu as choisi un dessin joliment naïf cohérent avec ton style musical pour le morceau « Rêves / cauchemars ». As-tu déjà imaginé ces dessins sur papier ou directement de façon numérique ?

Un mélange des deux ! Certains dessins sont inspirés de petits gribouillis dans un vieux carnet, d’autres ont été dessinés directement dans mon logiciel numérique.

Comment as-tu travaillé les textures qu’on voit sur ce clip ?

Il s’agit d’un faux-fixe peint avec un mélange d’aquarelle et de gouache. Je dessine d’abord le contour et les formes générales d’un paysage abstrait trois fois au crayon à papier, puis je les remplis trois fois avec de la peinture, en essayant de rester la plus régulière possible.

As-tu d’autres projets d’animation en tête ?

J’aimerais bien réaliser d’autres clips d’animation pour des ami·es musicien·nes, mais on sait bien comme l’animation est chronophage, donc cela dépendra de si j’arrive à dégager plus de temps pour cela dans le futur !

Quel est ton TOP 3 films d’animation ?

Night is short, walk on girl de Masaaki Yuasa, Si tu tends l’oreille de Mimi Wo Sumaseba et le court-métrage World of tomorrow de Don Hertzfeld !

Le clip de quel.le artiste rêverais-tu de réaliser ?

Si je m’autorise à rêver très grand, alors je dirai Taylor Swift ou Adrianne Lenker, parce que leur musique me fait pleurer !

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