Décryptage : nos clips préférés de la rentrée 2023

Chaque mois, Kiblind donne la parole à l’artiste derrière l’artiste : l’illustrateur.rice chargé.e de retranscrire la musique en images. Retrouvez nos clips musicaux animés préférés des mois de septembre et d’octobre décryptés par ceux qui les ont fabriqués.

On ne vous l’apprendra pas : l’illustration est partout. Elle a envahi nos murs, nos comptes Instagram (bon, on y est peut-être pour quelque chose), nos objets, nos vêtements, nos pochettes de disques, notre page Youtube… Et c’est bien normal, il faut dire que c’est elle la meilleure toutes catégories pour faire joliment passer des messages et provoquer des émotions. Les artistes là dessous l’ont bien compris et l’ont utilisé au service d’un autre art capital : la musique.

Voici donc la sélection de nos clips animés et illustrés chouchous sortis durant les mois de septembre et octobre 2023, décortiqués par leurs créateur.rice.s qui ont gentiment répondu à nos questions.

TIMBER TIMBRE – SUGAR LAND

ANIMATION / ILLUSTRATION : ELENOR KOPKA

Hello Elenor ! Ton identité visuelle est très reconnaissable grâce à la texture granuleuse qui t’es chère, à tes personnages et à ton usage du noir et blanc. Comment as-tu construit ce style ?

Initialement, je suis allée à l’école d’édition d’art et de graphisme de Leipzig où j’ai obtenu un diplôme en illustration. Pendant mes études, j’étais très intéressée par l’impression, et en particulier par la gravure sur bois et la lithographie. Ça a tout de suite impacté la façon dont je dessinais et j’ai essayé de transposer ce que je trouvais intéressant dans l’impression dans mes dessins au crayon. Tout s’est mis en place naturellement quand j’ai commencé à travailler de manière digitale, et c’est de là qu’est né mon amour pour les textures granuleuses et pour le noir et blanc. J’ai aussi toujours été fascinée par le fait de construire un univers and les personnages jouent un grand rôle pour moi là dedans.

Qu’as-tu appris sur la création de personnages depuis que tu as commencé l’animation ?

Quand je créé un personnage, j cherche toujours à ressentir une connexion émotionnelle avec lui, ça peut passer par de l’amour aussi bien que de la haine ou de la pitié. Il faut que je ressente quelque chose quand je le regarde dans les yeux. L’animation ajoute évidemment une autre couche de complexité et est extrêmement efficace pour créer un sentiment de vie. La façon dont un personnage bouge en dit beaucoup sur sa personnalité. Ce n’est pas toujours de taper dans le mille, mais cette personnalité ajoute beaucoup de profondeur, ce qui est très cool.

Peux-tu nous parler de ce qui t’as inspiré pour le clip de « Sugar Land » ?

J’ai une addiction secrète pour la pâtisserie et pour les concours de pâtisseries (je dois avouer que la plupart des mots français que j’ai appris viennent des émissions françaises de pâtisserie) – les formes, les couleurs, la façon dont est travaillée la pâte, le glaçage des gâteaux et le remplissage avec l’isomalt sont des choses que je ne peux plus m’arrêter de regarder. C’était donc ma première inspiration quand j’ai travaillé sur le concept de « Sugar Land ». J’ai commencé tout doucement à utiliser des couleurs ces dernières années, et je voulais donc en intégrer en plus du noir et blanc pour ce projet. À la fin de la vidéo, je fais une comparaison entre la pâtisserie et un spectacle de magie, de la perspective d’une dent qui s’enfonce lentement mais sûrement vers la mort.

Tu as déjà animé beaucoup de clips musicaux. Qu’est-ce que tu préfères dans cet exercice ?

Je pense qu’il serait juste de dire que j’aime absolument tout dans cet exercice. Je fais de la musique moi-même et ce qui m’a initialement mené à l’animation était mon désir de combiner mes dessins et la musique. Je n’ai jamais été très intéressée par l’écriture d’histoires, et ce que j’adore quand je travaille sur une musique, c’est que j’ai déjà une base de récit sur laquelle m’appuyer. J’adore interpréter et disséquer un morceau de musique pour structurer ma vidéo et il n’y a rien de plus satisfaisant pour moi que d’animer sur un rythme. Aussi, je dois dire que j’adore échanger avec les musiciens, c’est toujours très fun et gratifiant.

Tu travailles également sur des jeux vidéos. Peux-tu nous en dire plus ?

Je peux ! J’ai commencé à créer des jeux vidéos avec mon frère qui est développeur alors que j’étais encore étudiante. On a commencé par faire des hackatons puis les années passant, tout ça s’est complexifié. Il y a peu de temps, on a réalisé notre plus gros projet à date, un jeu nommé Penko Park (qui est sorti sur Steam et Nintendo Switch). Pour les jeux, j’ai l’habitude de m’occuper de la direction artistique et de l’illustration (je fais donc tous les éléments, les objets, les textures etc) et parfois, j’anime aussi. On s’apprête à sortir un nouveau petit jeu très bientôt où j’ai tout animé plan par plan (ce qui n’est pas très commun, mais très fun), alors restez à l’affût!

Quel serait ton projet rêvé en tant qu’animatrice ?

En ce moment, je rêve d’enregistrer ma propre musique et d’en faire un petit EP accompagné de vidéos animées pour chaque morceau. J’aimerais aussi beaucoup faire des animations pour des performances en live dans des opéras, des théâtres ou des clubs.

VINCENT KHOUNI – LA MÊME HISTOIRE

ANIMATION / ILLUSTRATION : PHILIPPE BEAUSÉJOUR

Hello Philippe ! Tu travailles très souvent avec Vincent Khouni. Comment votre collaboration est-elle née ?

La scène musicale de Montréal nʼest pas très grande et jʼai fait des clips pour plusieurs groupes. Jʼai également fait partie de cette scène avec le groupe, IDALG et Phil Console. Vincent a vu mon travail sur internet et mʼa contacté pour un clip. On sʼest tout de suite bien entendu sur la direction artistique, probablement du à son expérience et amour pour le collage papier.

Tu pratiques régulièrement le pixel art, le glitch art, le collage… Pour « La même histoire », il semblerait que tu aies utilisé le collage mais aussi le dessin traditionnel. Peux-tu nous en dire plus ?

Pour ce clip, jʼai utilisé beaucoup dʼextraits dʼun livre sur la construction. Jʼaimais les dessins des personnages, alors jʼai dessiné Vincent avec le même style. Souvent, quand je ne trouve pas ce quʼil me faut, je le dessine.

Comment as-tu travaillé le storyboard de ce clip ?

Pour les vidéos en collage animé, je fais rarement un storyboard. Je me laisse influencer par ce que je trouve dans mes livres ou magazines. Ensuite, je divise mes découpages en sections: décors, personnages et objets. Je savais que je voulais faire une séquence continue, et le reste mʼest venu tout seul.

Tʼes-tu basé sur des éléments concrets et des prises de vue réelles pour ce clip, où sont-ils tous sortis de ton imagination ?

Les personnages viennent dʼun photo-roman des années 60. Je les ai arrangé à ma façon par contre.

Tu as réalisé beaucoup de clips notamment pour Lisa Leblanc, Hippie Hourrah ou encore Chose Sauvages. Pour quel artiste rêverais-tu de réaliser un clip ?

Je nʼai pas dʼartistes précis en tête mais, jʼaimerais beaucoup travailler avec des artistes hip-hop ou jazz.

Est-ce que réaliser un court ou long métrage animé fait partie de ta liste dʼenvies ?

Cʼest drôle, parce que je viens de finir mon premier court. Ça sʼappelle Slurpy Slurp Slurp et cʼest à propos des médias populaires et leur impact sur la pensée commune, surtout par rapport à la déshumanisation du peuple palestinien. Jʼai lʼintention dʼen faire plusieurs autres mais, ça me prendrait du financement. Jʼai produit celui-ci seul parce que je nʼavais pas dʼautres contrats et jʼavais envie de mʼamuser.

ALLAH-LAS – DUST

ANIMATION / ILLUSTRATION – BAILEY ELDER

Hello Bailey ! Tu as déjà travaillé sur plusieurs clips musicaux animés. Comment as-tu appris l’animation ?

Mon premier grand projet d’animation a été pour Mexican Summer et Pilgrim Surf Supply‘s Self Discovery For Social Survival. Je travaillais à l’époque pour le label (Mexican Summer) et ils m’ont fait confiance pour réaliser une partie animée du film, même si je n’avais jamais vraiment animé quoi que ce soit auparavant. J’ai passé une soirée à KY avec Robert Beatty, qui travaillait également sur la direction artistique et l’animation du film. Il m’a montré ce qu’il était possible de faire avec Photoshop. Je me suis inspirée de ses enseignements et j’ai commencé à découvrir ma propre voie. Aujourd’hui, je travaille principalement avec Photoshop pour toutes mes animations, en pratiquant image par image. C’est très fastidieux et désuet, mais c’est comme ça que j’arrive à faire des animations authentiques.

Quelles sont les choses qui t’inspires lorsque tu travailles sur de nouveaux motifs ?

J’ai l’impression que mon art vient d’un endroit tellement intérieur et spirituel. Je ne suis qu’un vaisseau qui fonctionne au feeling. La nature éveille toujours ces sentiments. Les artistes du passé sont toujours une source d’inspiration. Je suis nostalgique d’une période de l’histoire dans laquelle je n’ai pas vécu et je pense que cela transparaît dans mon travail.

Comment décrirais-tu ton approche des couleurs ?

La couleur traduit les sentiments, il s’agit vraiment de savoir quel ton je veux représenter. J’ai également l’impression de pratiquer la synesthésie son-couleur, ce qui signifie que j’associe la couleur à certains sons. La couleur me vient très intuitivement.

Peux-tu décrire les différentes étapes de fabrication du clip d’Allah-Las ?

Matt et Miles du groupe m’ont donné une direction artistique précieuse pour la vidéo avant que je ne commence. Concrètement, j’ai placé la piste dans Photoshop en utilisant la timeline de la vidéo et j’ai commencé à esquisser quelques idées pour le début. Pour cette vidéo en particulier, je me suis retrouvée à faire un mouvement animé, comme une forme qui grandit, et je l’ai répété plusieurs fois et transformé en différentes formes, en expérimentant jusqu’à ce que je trouve quelque chose d’intéressant. Je me suis inspirée du travail de Robert Breer et d’Oskar Fischinger. J’aime la simplicité et la poésie de leurs animations. En général, je ne planifie rien lorsque je réalise une vidéo, laissant la musique me guider. J’aime flouter mon travail et placer une superposition de super 8 sur mes animations avec un mode de fusion pour obtenir une sensation plus chaleureuse. Souvent, je dois travailler en segments d’une minute pour les vidéos dans Photoshop, car le logiciel devient très lent lorsque vous le poussez à animer. Je prends ensuite toutes les parties dans Adobe Premiere et j’ajoute la piste pour l’exportation finale.

As-tu l’habitude d’écouter de la musique lorsque tu crées ? Si oui, laquelle ?

Quand je travaille sur un projet pour un artiste en particulier, j’ai l’habitude d’écouter ses albums en boucle pour me plonger dans son univers. Si ce n’est pas leur musique, j’écoute alors une musique qui va bien avec ou certaines de leurs inspirations. Lorsque je travaille sur mon propre travail, cela dépend vraiment ! J’aime écouter beaucoup de podcasts différents, principalement sur la spiritualité ou des interviews d’artistes et de personnes que j’admire. Depuis que je suis devenue mère, je ne suis plus en mesure d’explorer de nouveaux artistes comme je le faisais auparavant, car je travaille surtout par à-coups. Le temps est une chose précieuse de nos jours.

Tu réalises de nombreux artworks pour des musiciens. Quels groupes de ta scène locale recommanderais-tu ?

Je ne suis à Denver, Colorado, que depuis un an et demi… Pour être honnête, je n’ai pas eu la chance de beaucoup participer à la scène musicale locale… avec un enfant en bas âge, c’est difficile de sortir de chez soi. Je sais que M. Sage est un artiste de Fort Collins, Colorado, et j’adore son travail. Mon ami Saapato vient de sortir un magnifique album intitulé Somewhere Else, il vit dans le nord de l’État de New York. Je pense aussi à Diatom Deli qui est originaire de Taos, NM, pas très loin de Denver.

B.MICHAAEL – 001MEL

ANIMATION / ILLUSTRATION : BABAK AHTESHAMIPOUR

Hello Babak ! Tu utilises l’art pour faire passer des messages politiques et pour parler de problèmes sociaux et environnementaux. Quel message veux-tu délivrer avec ce clip de B.MICHAAEL ?

Salut KIBLIND Magazine ! Merci de m’avoir invité. Oui, une des raisons principales qui m’a amené à faire de l’art comme je le fais est parce que je voulais exprimer certaines de mes préoccupations d’une manière qui ait du sens et qui fonctionne le mieux pour moi. Ce clip de B.MICHAAEL pour le morceau « 001mel » fait suite à une conversation que nous avons eue avec Branton sur l’empreinte écologique et la matérialité de l’électronique numérique, le consumérisme, le cyber espace, et les relations entre le non-humain et le géo-organique avec les médias numériques dans le contexte de la coexistence géologique. L’album de B.MICHAAEL parle de l’extinction de l’humanité, un moment où la nature et les êtres non-humains ne font plus qu’un avec les déchets électroniques restants et les appareils électroniques et algorithmes encore fonctionnels. Il a été inspiré par In the Dust of this Planet d’Eugene Thacker, – qui explore l’extinction, les catastrophes environnementales, le clouding et ses horreurs, en tant que conséquences de l’ère contemporaine à travers des théories occultes – et par A Geology of Media de Jussi Parikka, qui examine la matérialité de l’électronique numérique, son avenir, son passé et son présent à travers le temps profond, les strates et les matériaux extraits du sol qui finissent dans le ciel sous forme d’ondes de fréquence, de poussière dans l’air et dans l’espace sous forme de déchets spatiaux provenant des satellites ou qui se fossilisent. Dans l’ensemble, les êtres et les terrains représentés dans les vidéos se chargent et évoluent vers de nouveaux êtres hybrides affectés par les appareils numériques et les débris dans un monde post-humain.

De quelle manière t’es-tu imprégné de la musique de B.MICHAAEL pour réaliser cette vidéo ?

La musique de MICHAAEL m’était vraiment familière puisque j’adore sa précédente sortie sur Orange Milk Records, Built2Crawl, et que nous avons beaucoup de similitudes en tant que musiciens, mais « 001mel »- et GORE en général – sonnait plus doux, abstrait et méticuleux avec de minuscules détails tonaux et structurels qui, lorsqu’ils sont remarqués, changent la façon dont on expérimente la musique. Finalement, j’ai écouté le morceau plusieurs fois et j’en ai saisi l’âme, les changements et la structure. Nous avions une idée claire du concept et la musique était très cohérente pour moi, j’ai donc immédiatement commencé à travailler dessus.

Quel degré de liberté as-tu eu pour travailler sur ce clip ?

Je pense qu’on m’a accordé une totale liberté et confiance dans la création de ce clip puisque les concepts que Branton m’a présenté étaient des thèmes que j’avais déjà exploré à travers ma pratique artistique. J’avais déjà fait par exemple un machinima réalisé via Les Sims 4 dans lequel des êtres humains disparaissent soudainement, laissant derrière eux des avatars numériques qui prennent conscience d’eux-mêmes et tentent de comprendre leur raison d’être. Mon deuxième album Mind Flaying Flavored Flails sorti chez Jollies – pour lequel j’ai fait un show virtuel à New Art City en collaboration avec Nathan Harper – traite également de l’extinction, de l’autonomie algorithmique, de l’I.A. et des discours catastrophistes que l’on trouve dans le discours dominant et dans les titres d’articles. Nous avions donc un terrain d’entente, une compréhension et une vision communes qui ont créé un lien fort entre nous.

Peux-tu décrire ton processus créatif pour cette vidéo ?

Après nos premières discussions, j’ai présenté à Branton quelques mondes possibles qui mélangeraient des éléments de médias numériques tels que des ordinateurs portables, des câbles et des cartes mères avec des paysages géo-organiques. Les idées nous ont plu et j’ai commencé à créer ces paysages en 3D en faisant des allers-retours entre nous, en envoyant des images des paysages et en procédant à des ajustements. Après quelques modifications mineures, j’ai commencé à rendre les animations 3D et j’ai entamé le processus de post-production qui comprenait l’assemblage des images rendues, leur montage et l’ajout des textes finaux.

Tu as beaucoup étudié le cyber espace. Quelles ont été tes découvertes sur ce sujet ?

En effet, le cyber espace est l’un de mes principaux centres d’intérêt et j’y ai passé beaucoup de temps. J’ai tiré de nombreuses leçons, mais je pense que la plus importante est qu’il est vaste, compliqué, avec beaucoup de surprises, de coins et de chemins. C’est un multivers. J’ai écrit un essai sur la façon dont nous entrons dans le cyber espace au quotidien, comme nous entrons dans les portails de la science-fiction qui, dans notre cas, sont des écrans noirs – téléphones, tablettes, ordinateurs. J’y ai résumé mon expérience et mes observations, que j’ai exprimées par des comparaisons avec les fonctionnalités, la nature et les sons des portails. L’essai s’intitule Misplaced and Displaced, But Never Out of Place et a été écrit pour le magazine 2023 du festival CTM.

Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?

En ce moment, je travaille sur mon troisième album, qui comprend de nouveaux clips et de la 3D. Je développe en parallèle d’autres idées sur lesquelles je travaille lentement en fonction de mon temps et de mon état d’esprit. Globalement, les nouveaux projets que je développe sont liés à la vitesse, à la violence, à l’occulte, à l’automatisation et au glitch, des sujets que j’ai envie d’explorer depuis un moment, alors que dans le passé, mon travail allait plutôt vers des choses plus ludiques, naïves, vibrantes, linéaires et plus lentes.

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