Bibliothèque : Sélection du 12 juin 2021

Toutes les deux semaines, on sélectionne cinq livres illustrés qui nous ont bien plu. Cette fois-ci, on navigue entre les bibliothèques hong-kongaises, les 60’s japonaises et des clowneries bien françaises.

Une fois encore, les dieux de l’édition nous ont bénis. Mais pas d’inquiétude, ici on ne s’embête pas avec les rituels et autres bouts de phrases répétés à l’infini – et trop souvent à des heures indues. Ces dieux-là nous bénissent, voilà tout. À peine quelques sacrifices financiers sont-ils demandé en échange mais rien de bien méchant. Enfin, moins méchant que ceux qui nous sont demandé par les démons de l’immobilier. Mais sommes-nous vraiment là pour parler foncier ? Non.

Ce qui nous rassemble ici est la production actuelle de livres illustrés, une production riche et superbement créative comme en témoigne une nouvelle fois notre sélection de la quinzaine. De la méconnue pionnière Kuniko Tsurita à l’espiègle Renata, de la bibliothèque municipale de Chihoi aux plaques d’égout de Thomas Couderc, et en allant même jusqu’aux clowneries de Victor Hussenot, notre recension se veut multiple et ouverte à tous les publics, à tous les goûts. Mais le point commun à tous ses livres existe : il réside dans cette envie de plonger le lecteur dans d’autres mondes, lui faire emprunter de nouveaux chemins, lui donner le goût du possible.

L’Envol de Kuniko Tsurita

Retour au manga de goût pour les éditions Atrabile qui n’y étaient pas revenues depuis le bien-aimé L’Homme sans talent de Yoshiharu Tsuge en 2018. Il s’agit cette fois d’un recueil de nouvelles de l’autrice Kuniko Tsurita, l’une des rares femmes – la première – à s’être fait une place dans la revue Garo, laboratoire légendaire du Gekiga, ce manga introspectif cher à Mizuki et Tsuge, tiens donc. Son statut de femme dans ce milieu très masculin et son décès à 37 ans expliquent sans doute le peu de paillettes accolées au nom de Kuniko Tsurita. Pourtant, c’est bel et bien cette qualité de battante qui fait d’elle une artiste à part entière dans le paysage japonais des années 60-70. Prenant ce manga d’auteur dans tous les sens, de la science-fiction à la banalité du quotidien, elle le manipule, le malmène même pour en faire ressortir une œuvre unique. Avec près de 500 pages pour ce recueil, les éditions Atrabile remettent sur le devant de la scène cette autrice unique, protéiforme et incroyablement touchante.

L’Envol de Kuniko Tsurita, éditions Atrabile, 496 pages, 30€

Renata, petite aventurière de Mélanie Delloye et Pierre-Emmanuel Lyet

On ne sort pas tout à fait des clous avec ce Renata, petite aventurière. Nous en sommes en pleine littérature jeunesse classique, avec une héroïne qui se rêve des vies alternatives quand le quotidien se fait compliqué ou simplement ennuyeux. Oui, c’est classique, mais c’est très bien fait. Et c’est toujours un plaisir de parler des choses bien faites. Si le travail est ici remarquable, c’est en grande partie du au dessin de Pierre-Emmanuel Lyet qui est toujours l’un des plus remarquables dessinateurs jeunesse. Précisément parce qu’il s’appuie sur des codes bien connus, notamment au niveau des personnages, il peut à son aise laisser ses crayons de couleurs dériver jusqu’à en devenir quasiment hypnotiques. Car il est possible de se laisser submerger par ses dessins, où les paysages confinent à l’abstraction, où les couleurs jaillissent, vibrantes, du livre. Du classique comme vous ne l’avez jamais vu.

Renata, petite aventurière de Mélanie Delloye et Pierre-Emmanuel Lyet, Gallimard Jeunesse, 56 pages, 13,90€

La Bibliothèque de Chihoi

Atrabile, deuxième. Désolé pour le doublon, mais nous ne pouvions passer à côté de ce nouveau Chihoi paru le 4 juin dernier. Les éditions suisses continuent donc de suivre le travail du hongkongais et ils font bien car cette Bibliothèque est d’une puissance assez remarquable. Les cinq histoires de ce recueil tournent toutes autour d’une bibliothèque municipale sise à Hong-Kong. Mais nous sommes loin d’une révérence à un lieu de culture. Chihoi voit double. Certes, il y a bien cet hommage au livre en tant que moyen de transport indépassable, véhicule d’évasion au pouvoir immense. Mais il y a aussi la critique l’objet bibliothèque en tant qu’espace où l’administration est toute puissante. Alors que Hong-Kong est en proie à une prise de pouvoir par la Chine, l’auteur prend la bibliothèque comme métaphore d’une société qui voit ses droits et libertés de plus en plus restreints, de plus en plus impossibles à faire valoir. Chihoi enfile ces deux paires de lunettes différentes et fait entrer tout ça dans des récits fantastiques dans un affrontement entre le pouvoir des mots et celui de l’autorité. Brillant.

La Bibliothèque de Chihoi, éditions Atrabile, 120 pages, 16€

Manhoru de Studio Helmo

Coutumier des balades japonaises, Thomas Couderc du Studio Helmo s’est bien souvent arrêté sur les plaques d’égout. Jusqu’à développer une passion aussi étonnante que fascinante pour ces petits moments de pause au milieu du béton, sentant aussi bien la fonte que révélant tout l’univers du graphisme japonais. Car là où, chez nous, l’esthétique de ces plaques se limite au nom de la ville de leur conception et au quadrillage anti-dérapant, elle a, là-bas, l’art de mettre en valeur ces objets pour le moins peu ragoutants. Manhoru est donc un parcours graphique d’un genre nouveau, nous baladant dans les divers villes et provinces du pays, au travers de ses plaques d’égout qui affichent fièrement les fiertés de leur territoire, leurs rêves et leurs légendes. La méthode de retranscription utilisée par le studio Helmo, des empreintes qui marchent comme des gravures, oublient la matérialité de l’objet pour se concentrer sur le dessin qui les orne, faisant la part belle au talent des concepteurs qui ont fait de cet installation fonctionnelle, un espace où l’on rencontre le pays. Ce petit livre jouissif fait l’objet d’une réédition, c’est pourquoi nous nous permettons d’en parler aujourd’hui.

Manhoru de Studio Helmo, éditions FP&CF, 128 pages, 10€

Clown de Victor Hussenot

Non, nous non plus, n’avons pas forcément les clowns dans notre cœur. Oui, ils nous font peur. Mais rassurez-vous, depuis Ça, ils se sont franchement rangé des voitures. Ils peuvent même faire l’objet d’un livre jeunesse aussi délicat que malin, sous la plume toujours aussi subtile de Victor Hussenot. Le personnage du clown est ici utilisé car il est une de ces images de la liberté, osant là où l’on coince, franchissant les barrières là où l’on refuse l’obstacle. L’auteur s’en sert ici comme d’un pantin désarticulable à l’infini, lui faisant faire l’impossible pour mieux exploser les codes du dessin et de la narration. Avec un trait simple et vif, Victor Hussenot introduit avec malice l’enfant à l’art de la mise en page et aux possibilités multiples de l’objet livre. La page devient alors un terrain de jeux, entrant pleinement dans la narration de ces histoires courtes où l’étonnement le cède bientôt à la tendresse puis à l’admiration. Un livre pour apprendre que tout est permis.

Clown de Victor Hussenot, éditions La Joie de Lire, 120 pages, 19,90€

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