Bibliothèque : notre sélection de livres du 28 avril

Tous les quinze jours, on vous recommande cinq livres dessinés qu’on aime fort. Voici ceux de cette quinzaine, en espérant que ça vous plaise aussi.

C’est la vie qui va, c’est la vie qui vient. Et s’amoncellent les passages à la librairie, le nez ouvert aux odeurs fraîches du 9e art et les yeux fermés sur le compte en banque. Voilà le résultat : des livres, des beaux, des tous neufs. C’est reparti pour une nouvelle sélection de jolies choses, entre pure BD, fanzine, fiction et réalisme ou tout simplement recueil d’illustration.

La Forêt des araignées de Sascha Hommer

Dans un monde lointain, dans une époque lointaine, bref, complètement ailleurs, Dan et Albi, adolescents du type humain, s’entraînent chaque jour pour la grande chasse. Il faut dire que dans ce monde là, la nourriture est plutôt rare et pas facile-facile d’accès. Ces hominidés ne trouvent leur force que dans les punkis, des sortes de petits parasites qu’on dégotte sur les sylvestres, des petits animaux qui ont la capacité d’être invisibles. Une galère. Galère d’autant plus forte que les sylvestres sauvages ne se trouvent que dans la forêt des araignées, une zone interdite gardée par les mystérieux et féroces yeux. Le jour de la chasse approche, la peur monte mais un espoir est permis : la venue du messie est pour bientôt.

Désolé pour ce résumé un peu fourni, mais il n’est pas facile de poser un monde en quelques lignes. Il n’est pas facile, non plus, de le faire en quelques cases. Pourtant, Sascha Hommer ne cille pas au moment de se lancer dans ce pur objet de science-fiction. Loin des grandes épopées musclées et chevaleresques, nous voici devant une forme hybride et bienvenue. À ce monde hostile, violent même, l’auteur allemand oppose un dessin rondelet, aux limites du mignon, et des personnages qui n’hésitent pas à s’en sortir par l’humour, dédramatisant la situation pénible dans laquelle il se trouve. Une lecture très agréable, donc, que vient doubler une jolie réflexion sur la superstition, la connaissance et les conséquences d’une ignorance partagée.

La Forêt des araignées de Sascha Hommer, Atrabile, 152 pages, 16€

Coco club #1, collectif

La maison d’éditions L’Articho revient en trombe dans les rayons de nos librairies avec une double sortie de type mini-pouce pour inaugurer leur nouvelle collection : Coco Comics. À côté du Jean-Shrek d’Émilie Gleason, nous trouvons ce Coco club #1, revue collective qui s’amuse à parodier les héros préférés des gros vendeurs de BD. Iconoclaste, l’équipe réunie par la maison parisienne ne se prive pas pour déboulonner les statues et prendre ce qu’il reste de Boule et Bill, Astérix, Titeuf ou même Le Petit Ours Brun pour jouer avec très fort.

Avec ça, le lecteur est libre d’en penser ce qu’il veut. À l’instar de l’édito où il suffit de rayer les mentions inutiles afin d’obtenir un message rigolo, intello ou triste, on y voit que ce qu’on veut bien y voir. Un coup de griffe, un hommage, un terrain de jeux, peu importe finalement car ce Coco club #1 est avant tout là pour la jouissance pure et le rire éclatant. Car si la petitesse de l’objet pourrait faire penser à de l’anecdotique, L’Articho rassemble pourtant la crème des auteurs BD actuels. On y oberve ainsi avec le plus grand plaisir Anouk Ricard, Baptiste Virot, Lionel Serre et Leomie Sadler manipuler ces intouchables et les faire entrer dans les cases de leur humour imparable. Un bon délire.

Coco club #1, ouvrage collectif, éditions L’Articho, 52 pages, 6€

Abattre les arbres de Pia-Mélissa Roche

La voilà, la petite douceur de la quinzaine. Le voilou, celui qu’on attendait pas et qu’on s’est empressé d’acheter alors que nous déroulions notre mur Instagram à la recherche d’euros à dépenser bêtement. Et bien, il faut bien le dire, cette fois notre soif de consommation a trouvé de quoi s’étancher dans une mare belle et poétique. Abattre les arbres est un tout petit fanzine et apparemment le livre premier d’une aventure qui ne demande qu’à s’étendre. Car si les premières pages nous compte la joyeuse activité du bûcheronnage, la fin vient soulever ces certitudes et pose quelques questions métaphysiques auxquelles il est bien difficile de répondre.

Quelques pages, seulement, en effet, mais quel délice de retrouver le dessin de Pia-Mélissa Laroche et la narration qui s’y raccroche. Mouvant, évolutif, instinctif mais d’une élégance absolue, l’art de la parisienne est un régal pour les yeux et la comprenette. On le croirait avoir son propre libre-arbitre tant on a l’impression que c’est le trait qui décide de là où il veut aller et embarque du même coup l’histoire qui ne fait que suivre ses humeurs. C’est ainsi que de cette paisible histoire de bûcherons, nous débouchons sur la construction d’une mythologie dans laquelle la terre est une personne et qu’elle semble bien avoir son mot à dire sur la suite des évènements.

Abattre les arbres, de Pia-Mélissa Laroche, autoédition, 28 pages, 7€

Tout est vrai de Giacomo Nanni

Après Acte de Dieu, qui donnait la parole même à ceux qui ne l’ont pas (animaux et objets) et qui avait ébahi jusqu’au jury d’Angoulême emportant le Fauve de l’audace en 2020, l’auteur italien revient avec Tout est vrai, toujours chez Ici Même. Tenons-nous là l’un des artistes les plus fascinants du 9e art actuel ? Assurément. Dans ce récit étrange, où l’on voit l’ornithologie se mêler des passions tristes de l’humanité, l’Italien résidant à Paris fait un nouvelle fois preuve d’une créativité graphique et d’un intelligence narrative extraordinaire. Prenant le point de vue d’une corneille, il observe sans s’émouvoir les vilains tiques de l’être humain, ceux qui le soumettent à la haine, la violence et la folie criminelle. Cette longue chute se termine par les attentats du 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo et l’assassinat du fonctionnaire de police qui avait poursuivi les terroristes.

Avant cela, la narration prend des tours et des détours – jamais gratuits -, nous promenant du tournage des Oiseaux d’Hitchcock aux sombres locaux de la police française des années 60, en passant par le chemin de l’école d’une fillette que la corneille effraye. À la force du récit s’ajoute la force des images dont Giacomo Nanni est coutumier. Son style singulier, fait de trame envahissantes et de traits, est poussé jusqu’à la perfection. Délaissant son habituel Photoshop, il a ici recréé à la main les trames et combiné à l’aide de transparents type rétroprojecteur les seules quatre couleurs primaires. Un travail d’horloger qui vaut sincèrement l’investissement tant le résultat est bluffant de beauté et de justesse. Un des grands livres de ce début d’année.

Tout est vrai de Giacomo Nanni, éditions Ici Même, 184 pages, 26€

Recueil #2 de Jérémie Fischer

Jérémie Fischer est un illustrateur que nous aimons beaucoup, depuis longtemps et pour l’éternité. Alors, nous voilà ravis que sortent coup sur coup deux livres de son fait : Emplettes (qui avait déjà paru en autoédition) chez Les Grandes Personnes et Recueil #2 chez Magnani. Le premier est super, avec ses jeux graphiques tout en transparence et son absurdité assumée. Mais nous nous pencherons ici sur le second, car nous sommes faibles et que nous aimons voir les illustrations du Lyonnais en très grand. Et ça tombe bien puisque c’est ce que nous offre ce Recueil #2, un carnet de route réalisé alors qu’il était en résidence dans le pays de Comminge, dans les Pyrénées.

Au cœur des montagnes géantes, Jérémie Fischer peut se donner à cœur joie à son activité préférée : regarder les paysages, les aimer, les manger et les retranscrire sur la feuille blanche dans son style bien à lui. Avec le souci de transmettre sa vérité sur ce qu’il a vu, il fait des Pyrénées d’impressionnantes mosaïques de couleurs dans lesquels les contrastes font exploser la feuille et les formes mangent tout l’espace disponible. Maîtrisant parfaitement la technique du collage, qu’il pratique à qui mieux mieux, il délivre ici une masterclass dans le domaine, se promenant tel l’équilibriste sur le mince filin qui sépare la figuration de l’abstraction. Devant ce spectacle, le lecteur pourrait se sentir impuissant si ce n’était les quelques petites notes, tracées au crayon, qui accompagnent les œuvres. Celles-ci, relatant de menus détails de terrain, viennent faire frétiller l’imagination et faire vivre les compositions grandioses de l’illustrateur. L’émotion, alors, se transmet de lui à nous et on lui souhaite d’avoir été aussi heureux durant cette résidence que nous en voyant ce à quoi elle a abouti.

Recueils #2 de Jérémie Fischer, éditions Magnani, 32 pages, 24€

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