On vous en parlait dans le dernier Kiblind Magazine : les films de Bastien Dubois sont extraordinaires. Quatre d’entre eux sont à regarder juste en dessous.
Bastien Dubois est né en 1983 à Lille, ce qui explique son tempérament extrêmement sympathique. Il fait sa formation à la renommée Supinfocom de Valenciennes et réalise AH, un court-métrage de fin d’études mettant en scène une petite fille devant sa soupe à l’alphabet, qui plonge dans un univers surréaliste de lettres étranges. À la sortie de l’école, il accumule les expériences dans l’infographie et l’animation de jeux vidéo.
Passionné de voyage, et après avoir fait du stop du nord de la France à Istanbul, il imagine la création d’un carnet de voyage animé.
Le carnet de voyage, en tant que support d’expression artistique, est une forme qui lui correspond bien. Il a grandi dans une famille où beaucoup de gens dessinent, bercé d’aventures graphiques, comme celles de Corto Maltese, Gauguin ou de Titouan Lamazou. « Le carnet de voyage représentait un idéal, le point de rencontre parfait de mes deux passions : le voyage et le dessin. »
De cette idée naîtra son premier film indépendant, Madagascar, qu’il réalise au terme d’une année passée sur la grande île rouge, court-métrage qui reçut immédiatement un succès colossal en étant projeté dans plus de 200 festivals internationaux et, cerise sur le gâteau, en rentrant dans le club très fermés des nominés aux Oscars en 2011.
Pourtant, au moment où il embarque pour Antananarivo, il n’imagine rien de tout ça : il part, c’est tout, avec ce projet personnel qui l’emballe depuis un moment et quelques économies, sans trop savoir combien de temps ça va lui prendre exactement ni s’il va pouvoir le mener à bout.
« Je ne connaissais rien au parcours dans l’animation, aux festivals, aux marchés de films, etc. J’avais vaguement entendu parler d’Annecy… Et surtout, je n’avais aucune ambition particulière : je faisais ce que j’avais envie de faire, sans prétention, avec une sorte de naïveté adolescente. Bref, je pensais qu’après ce voyage je retournerais à la vie normale. »
Une fois sur place, il alterne des séquences de voyage et de travail : 10 jours « voyage d’observation », à se balader sur l’île un carnet de dessin dans la poche, un appareil photo et une caméra ; puis 3 semaines de « travail » installé dans la petite chambre qu’il loue dans un orphelinat de la capitale, sélectionnant les images qu’il venait de récolter, posant au crayon l’idée sur papier, retouchant le dessin,esquissant un layout 3D assez grossier, qui allait servir de base pour peindre à la gouache ou à l’aquarelle, crayonnant encore, collant parfois, composant entre le manuel et le digital. Il se fabrique même une table lumineuse avec un vieux tiroir et une lampe. Ces cycles durent une année au terme de laquelle il rentre en France, pour finir son film.
Le succès est au rendez-vous. Les récompenses et les gratifications se succèdent, si bien que Bastien Dubois entre dans le milieu de l’animation par la grande porte. Dans la lignée de Madagascar, Arte lui commande une série de 20 Portraits : d’autres voyages, d’autres destinations, vus cette fois-ci au travers des yeux des gens qu’il interroge en Métropole. Et si tout est réalisé depuis Paris, il s’entoure d’une équipe d’une quinzaine de personnes pour achever cette œuvre ambitieuse en seulement 8 mois.
Portraits de Voyages – Cote d’Ivoire VOSTFR from bastiendubois on Vimeo.
Mais le carnet commence à lui glisser des mains. Il se questionne sur le sens du message, sur ce que signifie cet objet aujourd’hui, philosophiquement, dans une époque où la notion de voyage n’a plus le même sens :
« Le carnet de voyage est un descendant lointain de la peinture orientaliste, qui laissait voir des pays fantasmés. Dans quelle mesure l’art a servi l’entreprise coloniale et le commerce ? L’acculturation et la mondialisation ? Titouan Lamazou, Paul Gauguin, Hugo Pratt… Le mythe de l’aventurier berce le développement des petits garçons depuis des générations. Quels messages, quels symboles véhiculent-ils et d’où vient cette injonction au voyage ? Je pense qu’il y a urgence à changer nos regards et à nous questionner. Pourquoi voyageons-nous ? Comment construisons-nous nos désirs et quelles forces sous-jacentes nous animent ? »
Rompant une première fois avec ce style, il réalise en 2012 Cargo Cult, fiction qui se déroule en Papouasie-Nouvelle-Guinée durant la Seconde Guerre mondiale. « Au départ je voulais faire un documentaire en animation. Mais le sujet était tellement dense, large à explorer, que j’ai préféré faire une fable pour montrer ce qui se passe dans ce « culte du cargo ». La fin est d’ailleurs ouverte, pour que chacun soit libre d’interpréter à sa guise.
Souvenir Souvenir, son tout dernier court-métrage, confirme cette sortie du cadre du carnet, qui collait tant à son esthétique et à son histoire de réalisateur, du moins qui l’avait fait émerger et identifier comme tel. Pourtant, ce dernier projet est le plus ancien : il l’a commencé et abandonné cent fois, tellement le sujet le fascine autant qu’il le dévore : savoir ce que son grand-père a fait durant la guerre d’Algérie.
« C’était un carnet de vie plutôt qu’un carnet de voyage, parti en réalité du déni de vouloir savoir ce qu’avait fait mon grand-père pendant cette guerre. J’avais envie mais je n’y arrivais pas. C’était trop dur. C’est seulement quand j’ai compris que le vrai sujet du film n’était pas mon grand-père, mais moi-même en train de faire un film que je ne voulais pas faire, que j’ai réussi à le terminer. » Ça tombe bien : le 10 novembre dernier le film a permis à Bastien Dubois de remporterle Prix Émile-Reynaud, remis par les adhérents de l’Association française du cinéma d’animation (AFCA).
Souvenir Souvenir est également en sélection officielle au Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand et au festival du Film de Sundance.
> Tout sur Bastien Dubois ici : www.bastiendubois.com
Filmographie :
– Madagascar, Sacrebleu Production, 2009
– Portraits de Voyage, Sacrebleu Production, 20 x 3’, 2013
– Cargo Cult, Sacrebleu Production, 2013
– Souvenir Souvenir, Blast Production / Arte France, 2020