Pour la 7e année, le Mirage Festival revient s’occuper des nouvelles technologies créatives en terres lyonnaise. Cette édition confrontera artistes et chercheurs au doux mots de « Turbulences », mot bien choisi pour décrire la période. Du 3 au 7 avril à Lyon.
Pour qui a ouvert les yeux ces quarante dernières années, il semble évident que quelque chose a changé dans les machines qui nous entourent. Celles-ci n’épaulent plus simplement le corps dans le travail, mais viennent également s’adresser la tête. Et ça change beaucoup de choses. À la fois échelles pour grimper jusqu’au sommet et potentielles aliénatrices de l’esprit, les « nouvelles technologies » sont un tournant majeur dans notre façon d’être au monde. Dans les diverses crises qui traversent l’humanité ces derniers temps, elle jouent ou vont jouer un rôle capital : prothèse émancipatrice ou bâton dans les roues.
Le Mirage Festival s’intéresse depuis toujours aux possibilités offertes par les technologies numériques. En prenant comme point de départ les créations artistiques, ils cheminent depuis là sur les territoires aussi bien scientifiques, politiques que sociaux. Cette année, la manifestation lyonnaise a choisi le thème « Turbulences » pour précisément poser la question de la place de ces technologies dans les moments troubles que nous traversons. Comme à son habitude, il fonctionnera en trident avec une partie performances, une partie expositions et une partie plus réflexive. Nous avons demandé à Jean-Emmanuel Rosnet, directeur artistique et co-fondateur du Mirage de nous expliquer de quoi sa boum sera le nom.
Kiblind : En quelques mots, peux-tu nous présenter la philosophie du Mirage Festival ?
Jean-Emmanuel Rosnet : La philosophie du festival repose sur l’envie de faire découvrir au public la diversité de la sphère numérico-créative et ses nombreuses ramifications. Et pour se faire, nous essayons de suivre au plus près les tendances et courants liés à cet écosystème au sein duquel artistes, designers, scientifiques, ingénieurs et jeunes créatifs coopèrent et innovent avec les technologies comme outil de prédilection. Au delà de mettre en avant des œuvres, prototypes et projets singuliers, nous nous efforçons depuis la genèse du projet, de faire du festival une véritable plateforme d’échange et de réflexion sur les enjeux et problématiques liés à l’utilisation des technologies dans le monde de la création.
Kiblind : Quelle définition peut-on donner des arts numériques aujourd’hui ?
Jean-Emmanuel Rosnet : Pour faire simple, je dirais que les « arts numériques » englobent toutes les activités et productions artistiques qui nécessitent l’apport du langage numérique. Mais le numérique ayant infiltré notre vie de tous les jours tout comme les différentes sphères artistiques, cette définition est aujourd’hui de moins en moins pertinente. En fait, le terme « arts numériques » est de plus en plus délaissé par les acteurs de notre secteur. Pas assez représentatif et parfois trop réducteur par rapport à nos champs d’investigation, nous privilégions le terme de création liée aux technologies si il faut donner une étiquette à ce qu’on fait. Notre champ d’expertise est en effet vaste mais il est évident que nous avons des facilités à dialoguer avec le milieu de l’art contemporain, du design de l’ingénierie ou encore de la recherche. C’est pourquoi il est difficile de trouver un terme englobant les nombreux courants auxquels nous sommes sensibles. Pour ma part, si on faisait ça de manière précise mais un peu pompeuse, je dirais que le Mirage Festival est une manifestation à la fois éveillée et vigilante aux mutations de notre société, spécialisé dans les formes artistiques innovantes nourries par les technologies.
Kiblind : Les artistes ont-ils une responsabilité à assumer ? Un rôle à jouer ?
Jean-Emmanuel Rosnet : Les artistes sont de plus en plus nombreux dans l’écosystème des arts dits « numériques » à penser qu’ils se doivent d’illustrer, commenter et questionner les inéluctables mutations du monde à venir. Un monde qui évolue de plus en plus vite, au rythme où se succèdent les multiples révolutions techniques et dont les transformations demandent parfois une analyse complexe et des réponses qui le sont tout autant. Les questions de transition écologique, l’impact des technologies sur le vivant et l’environnement (anthropocène), les problématiques de la bio-diversité (bio-art, principes du développement durable appliqués à l’art, obsolescence programmée), mais aussi l’apparition d’une autre façon d’envisager le monde et notre rapport aux autres lié à l’hyperconnectivité ou encore l’émergence grand public de technologies de pointe (intelligence artificielle, robotique) suscitent espoirs et inquiétudes dans le champ social et artistique, et sont des thèmes dont s’emparent évidemment les créatifs aujourd’hui.
Kiblind : En quoi les 3 volets (performances, expositions et réflexions) se nourrissent-ils les uns les autres ?
Jean-Emmanuel Rosnet : Face à l’intérêt grandissant du grand public pour les œuvres numériques, interactives ou encore immersives, nous avons fait de notre programme d’exposition la pierre angulaire du festival. C’est les œuvres présentées dans ces expositions, sélectionnées en adéquation avec la thématique du festival, qui donnent à voir un large panorama de la création numérique. Le pôle réflexif du festival, le Mirage Creative+, offre des programmes dédiés aux professionnels et au grand public au cours desquels ces derniers peuvent, au côtés de nos invités, échanger et mener une réflexion croisée sur les enjeux de l’écosystème artistique numérique. Nous avons pensé ces deux pôles comme indissociable et c’est pourquoi nous essayons le plus souvent possible que les artistes et studios invités puissent présenter leur démarche au grand public ou encore animer des workshops dédiés à des experts. Quant aux performances, c’est un programme un peu à part. C’est avant tout une sélection de projets à la croisée du son et de l’image où le public découvre des formats hybrides. Bien que ces soirées soient moins « connectées » aux programmes précédemment évoqués, ça reste un temps vraiment unique qui rassemble un public hétéroclite qui rassemble des amateurs de musiques expérimentales, de live audiovisuelles, ou encore d’expérience sonores.
Kiblind : De quoi êtes-vous particulièrement fiers cette année ?
Jean-Emmanuel Rosnet : Avec près de 100 invités cette année (pros, artistes, studios, étudiants) nous sommes, cette année encore, contents de constater une parité femme-homme dans notre programmation. Pour un festival « numérique », ça reste encore trop rare…nous sommes très heureux de compter parmi nos invités des artistes prestigieuses comme AnneMarie Maes (chercheuse artiste belge), Robertina Šebjanič (artiste transmédia spécialisée dans le bio-art), ou encore Veronika Liebl qui représente le festival Ars Eletronica. La liste est longue, je vous laisse la découvrir sur notre site…- le programme d’exposition s’est densifié de manière significative. On y trouve l’exposition « Turbulences » dont j’ai assuré le commissariat avec 13 œuvres d’artistes du monde entier ainsi qu’un programme VR. Cette année, une commissaire invitée québécoise, Nathalie Bachand, présente une seconde exposition autour de la fin d’internet « Dead Web – La fin ». Enfin, un exposition dédiée à la création émergente donnera à voir des rendus de workshops menés par les étudiants du DSAA Design – La Martinière ainsi que de la section Media Design de la Haute École d’Art et Design de Genève.- une collaboration inédite avec Lyon Parc Auto qui nous a proposé de produire une oeuvre interactive qui sera installée dans le parking République. Après le MAC ou encore le musée des Beaux-Arts, LPA a choisi de s’associer à notre manifestation. Le projet, baptisé « Géologie des flux » et imaginé par le studio Chevalvert, Martial Geoffre-Rouland et Antoine Vanel, propose une approche sensible des données liées à l’activité du parking, tout en captant le flux des mouvements des passants.