Interview The Hill-Side

Emil Corsillo est un homme simple et discret. Il a grandi dans le Connecticut et travaillé comme DA chez Puma USA avant de fonder en 2009, en compagnie de son frère Sandy et d’un compère nippon du nom d’Hisashi Oguchi, The Hill-Side, délicieuse marque de vêtements et d’accessoires (pour hommes et femmes) basée à Brooklyn.

Nous l’avons rencontré lors du dernier salon MAN à Paris où il venait présenter la collection automne-hiver 2015 de la marque du coté de la colline… Nous sommes bien entendus. Ça faisait longtemps que je voulais tailler la bavette avec cet homme là qui fait des choses bien et le fait bien depuis un certain temps… Il ne m’a pas dit d’aller siffler là haut sur la colline et de l’attendre avec un petit bouquet d’églantines, nous avons au contraire beaucoup discuté de chiffons, de leurs confections, d’open source, du Japon… Interview fleuve donc : zaï zaï zaï… zaï zaï zaï… Kiblind: Ma première question est somme toute assez simple, pourquoi fais-tu ce que tu fais ?…

Emil Corsillo: … Difficile question… Je crois que je n’en ai pas la moindre idée… Dans un certain sens, en regardant derrière moi, je me demande ce que j’aurais pu faire d’autre en fait… Mon frère (Sandy Corsillo) et moi avons fondé cette marque en 2009 avec Hisashi (Hisashi Oguchi) notre partenaire au Japon. Je pense que tout cela vient au départ d’une idée et d’une envie de créer quelque chose de tangible, quelque chose que des gens pouvait toucher, trouver précieux et spécial. Depuis 2009, on continue de faire ça tout en essayant d’articuler cette envie avec celle de vouloir être nos propres patrons, faire ce que l’on souhaite et avoir notre indépendance. C’est comme un moyen d’expression pour moi aussi peut être…  

Kiblind: … Et pourquoi les tissus et les vêtements comme moyens d’expression? 

Emil Corsillo: « Pourquoi » est une question compliquée et elle nécessiterait plus de temps de réflexion je pense… Puis il est trop tôt pour penser à cela ce matin (rires)… Mais au départ, je crois que notre intérêt pour les tissus pour mon frère et moi, provient d’une admiration pour les marques de vêtements japonaises, ou plutôt dans cette idée qu’ont eu les japonais de répliquer des vieilles pièces américaines ou bien de les utiliser comme des points de départs, des prototypes que l’on va réinterpréter. Cet intérêt a commencé en 1998 quand Hisashi et moi même nous sommes rencontrés à la faculté. C’est lui qui a commencé à m’expliquer le type de vêtements qu’il portait, pourquoi il les appréciait, pourquoi il pensait que le rapport aux vêtement et à leur confection était à la fois très intéressant et précieux au Japon. 

Dix ans plus tard, lorsque l’on a commencé à créer notre marque, j’avais toujours cet amour pour les vieilles pièces américaines réinterprétées par les japonais et pour leur confection emblématique de beaucoup de choses, d’un rapport aux objets de consommation notamment. L’idée d’inscrire notre marque dans cette idée de réinterprétation comme le faisaient et le font toujours les japonais, me plaisait beaucoup. C’est ce que l’on essaie de faire avec The Hill-Side, aller vers d’autres inspirations, pas seulement puiser dans les éléments de la culture américaine, mais ailleurs dans le Monde. Dans cette recherche, on s’est vite rendu compte que les marques japonaises utilisaient les plus beaux tissus que nous avions jamais vu, et pourtant, on les connaissait d’une certaine manière chez nous… Des choses comme le selvedge et le chambray, des choses contemporaines mais réalisées à l’ancienne, des choses qui n’étaient plus vraiment produites aux Etats Unis mais en quelque part au Japon de manière assez confidentielle. Ma fascination s’est transformée en curiosité et nous avons voulu nous rendre au Japon comprendre les ressorts de ces productions de tissus, puis partir à leur recherche, les trouver, les comprendre et comprendre leurs processus de fabrication. C’est à ce moment qu’Hisashi s’est retrouvé embarqué dans notre projet The Hill-Side.  Notre marque se base depuis le départ sur un amour profond des tissus japonais mais on se dirige aujourd’hui vers d’autres lieux. Par exemple, nous aimerions pouvoir produire plus aux Etats-Unis, remonter des filatures, se faire tisser les tissus que l’on souhaite. Mais l’industrie textile américaine est aujourd’hui décimée et totalement fragmentée, il est vraiment compliqué d’arriver à produire en petites quantités ici mais c’est toujours un challenge intéressant et motivant que de s’atteler à ça!

Kiblind: C’est ce que vous avez fait avec le Old Virgina Modified Herringbone non?  

Emil Corsillo : Oui tout à fait, et plus récemment, c’est ce que nous avons fait avec ces tissus là (il me montre des tissus en coton qu’ils ont dessiné et qui ont été tissé aux USA, différentes pièces de la collection A/W 2015 sont conçues dans ces matières). Voilà, ça c’est la direction vers laquelle nous allons. Nous avons dessiné ces tissus, ils ont été tissés et teints aux Etats-Unis, la matière première est bien souvent américaine. C’est produit en Pennsylvanie, patronné et confectionné à Brooklyn… Et nous sommes présents de A à Z sur ces produits. 

Kiblind : Mais la fabrication de tissus aux USA n’est pas complètement décimée comme tu disais, aujourd’hui il y a encore une grosse production de denim selvage par exemple en Caroline du Nord, chez Cone Mills… 

Emil Corsillo : Oui, oui, il y a toujours Cone Mills et quelques autres. Il y a également une production assez importante de canvas super lourds, de tissus « utilitaires »,  pour l’industrie (workwear). Des matières simples mais avec un grammage très important, des tissus très robustes. Mais des choses plus légères, plus fines, franchement, il n’y a pas vraiment… Du moins ce n’est plus produit aux Etats-Unis. Il y a vraiment très peu de personnes qui ont les ressources pour faire ça et ce n’est pas seulement à cause du manque de métiers à tisser ou d’ouvriers qualifiés mais surtout à cause des autres process dans la production. Produire une bobine de coton en filature, mettre cette bobine sur un métier à tisser, tisser, découper, assembler, etc. Tout est trop fragmenté sur notre territoire, on ne trouve pas des ateliers capables de faire tous les process à la fois: produire le coton, composer la bobine, l’enrouler, la plier, tisser avec, assembler, teindre, etc. Tout cela auparavant était très présent aux US, et pas seulement pour le tissu. Toutes ces étapes pouvaient se faire sous un même toit, intégrée verticalement mais ce n’est plus le cas. 

Kiblind : Et comment tu expliques cela ? On avait à peu près la même situation en France avec des usines qui produisaient du denim, du chambray, de la moleskine, etc.  Puis tout s’est cassé la figure… Aujourd’hui pourtant, on assiste à une sorte de retour en force, en France et ailleurs dans le mode, du « produit ici », du « made in » (dans lequel se cache beaucoup de bêtises dont le BBR) et du « made by »… 

Emil Corsillo : Honnêtement, je ne suis pas super patriote, c’est pas vraiment important pour nous le « made in ». Ce qui me plait en revanche c’est d’aller dans un atelier, voir un tissu être conçu, voir naitre une pièce. Derrière ça il y’a  l’idée que j’abordais précédemment: construire des objets tangibles et comprendre toutes leurs étapes de fabrication. Personnifier ces étapes en connaissant leurs responsables, en pouvant leur parler en face à face ;  c’est la chose excitante pour nous! La connexion humaine, l’histoire et les détails qui se cachent derrière un objet physique !  Essayer de redynamiser en partie une industrie mourante ou déclinante n’est pas dans la même veine que celle de ramener des personnes à faire ce qu’elle savaient faire auparavant, on ne veut pas relancer l’industrie vestimentaire américaine (rires)… Non, nous trouvons juste triste de ne pas pouvoir avoir les connexions que nous aimerions avoir en terme de tissus, je veux dire, à coté de chez nous, avoir toutes les pièces du puzzle à disposition sur notre territoire. Mais en même temps, et ça contredit un peu ce que je disais avant, essayer de recomposer ce puzzle est peut être la chose la plus intéressante et excitante que nous faisons! Par exemple, les personnes avec qui nous travaillons en Pennsylvanie, et bien on connait le père, le grand père, le fils, les couturières, les soeurs, etc. on peut mettre des visages et des histoires sur toutes les personnes impliquées dans la fabrication de nos vêtements. Ça c’est excitant, c’est fun et c’est surtout gratifiant pour nous et nos produits.

Kiblind : J’ai eu une sorte de discussion similaire tout à l’heure avec le responsable de la marque Vétra. Il me racontait l’histoire de son grand père qui, avant la guerre faisait des bleus de travail sur l’île Saint Louis à Paris puis, après la guerre, du côté de Lyon… L’histoire des personnes qui font des objets textiles est toujours super intéressante…

Emil Corsillo : Oui, puis la ligne de Vétra est hyper simple et humble. Ils font vraiment des choses cool et ils le font bien.  

Kiblind : Dans le marché de la mode actuel, quelle place il y a, selon toi, pour des personnes qui s’intéressent vraiment à cela, qui porte autant de soin à ces histoires, à ce patrimoine, à ces gestes, à ces arts de faire? C’est assez étrange de voir qu’il y a chez The Hill-Side cette volonté d’appuyer votre identité sur le fait de montrer d’où ça vient, ce n’est vraiment pas le cas pour la majorité des marques qui gardent secret leurs ateliers, leurs producteurs, etc. 

Emil Corsillo : Oui, et encore une fois, je pense qu’il est facile de se gargariser de produire américain, de produire et vendre de manière « patriote », mais nous ne sommes pas comme cela. Je pense que les produits et les marques que l’on aime ne vont pas dans ce sens, les japonais ne vont pas dans ce sens, ils ont un respect de l’artisanat bien trop important pour oser cacher et s’attribuer la paternité de pièces vestimentaires… Une des raisons principales pour lesquelles j’aime certaines marques c’est parce qu’elle propose quelque chose que je peux apprendre sur elle, elle m’offrent un récit, une histoire de ceux qui sont derrière ce produit fini ou cette marque. Et ça, cette envie d’apprendre, ça me fait acheter des habits!…  Je pense qu’il n’y a pas de coïncidences derrière le fait que de plus en plus de personnes ont envie de savoir les histoires des fringues qu’ils portent, des outils et des objets qu’ils utilisent au moment où l’accès à l’information en ligne est de plus en plus présent, à un moment donné où l’accès au savoir et de plus en plus simple, du moins différent d’avant.  Avec The Hill-Side, nous voulons donner tous les détails de notre histoire, livrer à nos clients toutes les facettes de nos objets et nous nous sentirions irresponsables si les détails de ces histoires et de ces objets étaient flous. Donc encore une fois, nous ne sommes pas intéressés par faire des choses aux États-Unis comme un fin en soi, parce que les américains sont les meilleurs au monde, ou parce que nous voulons créer des emplois la bas, non. Nous voulons offrir à nos client des informations sur ce qu’ils achètent, les histoires de ces objets, leur apprendre des choses, leur faire se poser des questions. Et des « histoires américaines » sont un bon moyen de se poser des questions! (rires)…

Kiblind : Vous avez même ouvert récemment un magasin online où vous vendez les tissus avec lesquels vous produisez vos pièces. C’est étrange, on dirait presque que vous pensez les choses en « open source »: voici la matière, faites en ce que vous voulez! Ça s’oppose un peu à ce que je disais précédemment où certains producteurs français, refusent de dire d’où viennent leurs tissus, où sont leurs ateliers, comment ils fabriquent… Ils vendent seulement le produit fini, très peu les histoires qui vont avec…  

Emil Corsillo : L’open source est une philosophie très intéressante et ce n’est pas quelque chose d’étranger à mon frère (Sandy Corsillo, co-fondateur de The Hill-Side et du magasin Hickoree’s) qui est informaticien et qui s’occupe de tous ces aspects pour notre compagnie. Sandy est très intéressé par ces communautés à la fois au niveau du software, ceux qui codent mais aussi du point de vue software as a service où des petites entreprises peuvent avoir un accès à un logiciel ou à une base de données qui va leur permettre de développer leurs activités. Ce type de services gène aujourd’hui peut être un peu de grandes compagnies. Il y a peu de temps, ce n’était pas possible de penser l’informatique de cette manière un peu DIY (Do It Yourself). Nous pensons d’ailleurs que les communautés de développeurs, leurs philosophies peuvent avoir une influence sur nos cultures d’aujourd’hui, et pas seulement nos cultures numériques. Offrir la possibilité de créer ses propres pièces avec nos tissus nous semblait donc naturel, ça faisait vraiment sens car nous souhaitons à l’avenir faire comprendre à nos clients que les tissus sont l’âme de nos produits, et non pas le marketing qui les entoure. Ça fait donc vraiment sens de donner accès autant que l’on peut à cette source, à ce qui nous constitue. Oui, on est vraiment mordus des tissus je crois, des geeks des matières… (rires)… On a pas mal discuté récemment de ce que l’on pouvait vendre et mettre en ligne: nos patrons, nos mesures, etc. On aimerait peut être faire une sorte de forum sur le DIY qui peut surgir des tissus que l’on développe. Mais on aimerait aussi vendre nos tissus à d’autres marques donc ça reste compliqué…

 

Kiblind : Vous voulez donner des stylos à vos clients pour qu’ils écrivent à leurs tours leurs propres histoires avec vos vêtements et vos tissus en quelque sortes?  

Emil Corsillo : Oui c’est ça, repenser les choses, créer des histoires, faire en sorte que les gens se créent leurs histoires…

Kiblind : Mais d’où ça vient cette volonté? Quel est ton parcours pour avoir de telles envies?  

Emil Corsillo : J’ai fait des études d’arts appliqués et de graphisme. Avant de lancer The Hill-Side, je travaillais pour Puma, j’étais directeur artistique là bas. Je ne sais pas de quelle manière cette expérience à un rapport avec The Hill-Side mais je n’ai jamais été vraiment bridé la bas, ils me laissaient à peu près faire ce que je voulais, mais cette créativité, j’ai voulu la mettre autour de notre projet, celui de mon frère, de Hisashi et de moi, celui de The Hill-Side et de Hickoree’s (magasin situé à Brooklyn), que nous avons monté en 2009, parallèlement à notre marque.  

Kiblind : Merci 1000 fois Emil.  

Emil Corsillo : De rien, avec plaisir, c’est toujours un plaisir de partager son histoire.

+ d’informations :    

www.thehill-side.com


www.hickorees.com

 

Credits images:

Portrait Emil Corsillo : Michael A. Muller (www.michael-muller.com)

The Hill-Side

François Huguet (2015).

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