Les Gens du Mag : Sarah Böttcher

Sarah Böttcher est une artiste de talent pour tout un tas de bonnes raisons. Grâce à son style faussement épuré reconnaissable en un battement de cil, elle met en image – et parfois en mots – des ressentis humains universels qui semblent pourtant naître et mourir en nous seulement. Ces moments parfaitement indescriptibles et tout autant évidents qui nous font nous sentir vivant et un peu unique, le temps qu’ils durent.

Sarah Böttcher illustre ces instants mystérieux de connexion entre individus ou avec soi-même : les rencontres, l’amour naissant, la solitude, le doute ou encore l’ennui. Quelque part entre l’illustration et la bande dessinée, des bulles de quelques mots parsèment ses tracés, parfois découpés en cases, pour tenter de capturer l’indicible, cette pensée brève qui peut devenir une émotion marquante en un rien de temps.

Ces scènes sont alors bercées dans une gamme de couleurs singulières, attirantes sans jamais être tape-à-l’oeil. D’autres fois, le choix du noir et blanc l’emporte, et le dessin prend alors une tournure narrative légèrement différente : à nous de convoquer nos expériences vécues et celles fantasmées, pour se perdre dans les nombreux details de ces moments.

Un certain sens du rythme se dégage des aplats de l’illustratrice allemande, comme l’on suivrait un rêve. On se laisse guider par un chemin de lecture intelligemment suggéré. On n’est pas tout à fait sûr d’interpréter correctement la fugacité du moment proposé, et en même temps, le ressenti n’est jamais faux. Parsemé d’un humour quelque peu cynique, elle touche dans le mille. Un sentiment éphémère figé sur le papier : ces excitations de premières fois et de renouveaux que l’on croit durer pour toujours mais qui restent passagers, peuvent alors vivre à l’infini. Comme un mémo sensoriel à décrypter, pour nous rappeler ces micro instants qui nous rendent vivants. Dans l’intimité d’une chambre, au contact de la nature ou – pour la sortie de Kiblind Discothèque – dans le club, ses impressions sont touchantes et délicates.

Pour nous, elle a interprété sa vision de la fête, nous offrant une retranscription d’un moment vécu, un moment festif et nouveau, une communion attachante. C’est avec autant de bienveillance et de justesse qu’elle s’est prêtée au jeu de l’interview. Si vous ouvrez bien les yeux, il y a fort à parier que le coeur suive.

Mobel Olfe Berlin - Illustration Sarah Böttcher - création originale pour Kiblind Discothèque
Möbel Olfe, Berlin – Création originale pour Kiblind Discothèque

Hello Sarah. Ton illustration pour le Kiblind Discothèque met en scène une certaine effervescence tout en inspirant la tranquillité, avec ces personnages aux pieds nus dans l’herbe, assis ou non. Danser, c’est surcoté ? Quelle était ton intention ici ?

Je ne dirais pas que la danse est surestimée, je voulais simplement montrer un autre aspect de la connexion avec les gens dans un club. Dans ce dessin, je me réfère à une période spécifique de la pandémie, où sortir était à nouveau possible, mais avec certaines restrictions. C’était la première fois que je plongeais vraiment dans la vie nocturne berlinoise queer et surtout lesbienne, et je me sentais vraiment à l’aise tout en étant extrêmement excitée. Les gens semblaient avoir envie de se connecter les uns aux autres, j’ai fait beaucoup de belles rencontres qui m’ont semblé calmes et intimes alors que la salle entière était littéralement en train de trembler.

Willst du nachher noch mit zu mir ? - ne, kein bock // Tu veux venir chez moi plus tard ? Non, je n'ai pas envie. - illustration Sarah Böttcher
« Tu veux venir chez moi plus tard ? – Non, je n’ai pas envie. »

Si tu pouvais être membre d’un club, réel ou fictif, ce serait lequel ?

Difficile, j’ai l’impression qu’il y a une ambivalence en moi par rapport au fait d’être membre d’un club. Je pense qu’il me faudrait être membre de plusieurs clubs pour ne pas me sentir limité par l’un d’entre eux. Mais ce que j’aime certainement, c’est être membre du collectif dont je fais partie, avec d’autres grands dessinateurs de BD, nous travaillons ensemble de manière créative, nous faisons des Zines, etc. et nous organisons le Snail Eye Comic Festival à Leipzig.

"I don't like Mondays" - Illustration Sarah Böttcher
« I don’t like Mondays »

Dans tes dessins, les personnages possèdent de toutes petites bouches, pourtant la parole est très présente. Qu’est-ce que le texte ajoute dans la narration de tes images ?

J’aime la façon dont le texte ouvre une autre couche et donne un tour différent à l’image. Je m’intéresse aux choses qui ne peuvent pas être dites aussi facilement, de sorte que l’image et le texte travaillent ensemble pour créer une idée de ce qui se passe.

Frisky - illustration Sarah Böttcher
Frisky

Quelles techniques de création utilises-tu ?

Je dessine de manière analogique avec un crayon, de l’encre ou un fineliner. Pour les travaux éditoriaux ou autres, j’utilise principalement la coloration numérique. Dans mon travail personnel, j’essaie d’être plus intuitive, en utilisant différents matériaux ou méthodes d’impression comme la risographie.

Pour faire passer quel message ?

Je dessine souvent ce qui me semble urgent ou proche de moi et ces sujets changent avec le temps. Ce qui m’intéresse le plus, ce sont les formes de connexion ou de solitude, la queerness bien sûr, les êtres mythologiques… Mais le message ? C’est peut-être plus un sentiment que je veux faire passer, une forme d’intimité peut-être avec ces personnages mélancoliques mais pleins d’espoir.

Illustration Sarah Böttcher
Illustration personnelle

Tes réalisations sont souvent découpées en cases et ton style pourrait presque s’apparenter à la bande dessinée. Quelle est la frontière entre l’illustration et la BD à tes yeux ?

Je pense que, pour moi, la ligne de démarcation est très fluide. Dès le début de mes études d’illustration, j’ai voulu dessiner des bandes dessinées et des romans graphiques et j’ai surtout regardé le travail d’autres dessinateurs. Il m’a toutefois fallu un certain temps avant de me sentir capable de réaliser un livre entier. Avant cela, j’ai essayé de transformer un grand nombre de dessins en une sorte de bande dessinée très courte, d’une page ou autre. J’aime toujours travailler de cette manière, car ce qui m’amuse le plus, c’est d’imaginer ces petits récits et de créer un sentiment de continuité entre eux ou d’assister à une petite scène devenant quelque chose de plus grand.

Colorado Clubhouse - illustration Sarah Böttcher
Colorama Clubhouse

Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?

Ce qui a été vraiment important pour moi et pour mon processus, c’est ma première longue bande dessinée. Elle s’intitule A Realness et traite de l’idée et de l’espoir du personnage de se connecter amoureusement à une autre personne en essayant de la comprendre, tout en étant en fait assez éloigné d’elle. J’ai l’impression que c’était la première fois que je me faisais vraiment confiance avec un projet de cette envergure, que je le faisais seule et que je voyais mes dessins s’améliorer de plus en plus au fil du temps. La confiance que j’ai en mon travail s’est beaucoup développée au cours de ce projet.

A Realness - illustration Sarah Böttcher
A Realness

J’ai récemment réalisé une bande dessinée pour le prochain numéro de Strapazin, dont je suis fan depuis longtemps. J’ai eu l’occasion de créer une histoire en dehors des cadres que je choisis habituellement. C’est une histoire de science-fiction avec des éléments apocalyptiques, et j’ai vraiment aimé explorer ces autres mondes sous forme de dessin.

Extrait de la revue Strapazin - illustration Sarah Böttcher
Extrait de bande-dessinée pour la revue Strapazin

Mon dernier zine Prickly, Thorny – I am piercing a body est une bande dessinée plus fragmentaire, un mélange de narration et d’éléments ressemblant à des poèmes. Il était intéressant pour moi d’abandonner un peu la forme plus classique du dessin de bande dessinée et d’expérimenter différentes formes de narration. J’ai essayé beaucoup de nouvelles choses avec cette bande dessinée, en dessinant plus rapidement et en donnant plus de mouvement aux personnages, ce qui m’a permis d’apprendre beaucoup de choses.

"Prickly, Thorny - I am piercing a body" - illustration Sarah Böttcher
Prickly, Thorny – I am piercing a body #1
"Prickly, Thorny - I am piercing a body" #2 - illustration Sarah Böttcher
Prickly, Thorny – I am piercing a body #2
"Prickly, Thorny - I am piercing a body" #3 - illustration Sarah Böttcher
Prickly, Thorny – I am piercing a body #3

𝗦𝗔𝗥𝗔𝗛 𝗕𝗢̈𝗧𝗧𝗖𝗛𝗘𝗥 // 𝗞𝗜𝗕𝗟𝗜𝗡𝗗 « 𝗗𝗜𝗦𝗖𝗢𝗧𝗛𝗘̀𝗤𝗨𝗘 »

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