Les monstres d’Alberto Vazquez

Une plongée dans l’univers monstrueusement beau d’Alberto Vazquez, sombre prodige de l’animation.

Alberto Vazquez est un monstre de l’animation. « Pourquoi suis-je un monstre ? », pleure un de ces personnages torturés de Decorado. Parce qu’un monstre n’est pas forcément quelque chose de répugnant ou de hideux, que l’on rejette ou l’on fuit. Un monstre est littéralement « ce que l’on montre ». La boue et l’or, l’horreur comme le génie, mis à l’index ou pointé du doigt de l’exemplarité. C’est pourquoi les films d’Alberto Vazquez sont monstrueux.



Né en 1980 à La Corogne, pas très loin de l’endroit où la pointe de la Galice tombe dans l’Atlantique, longtemps prise comme la fin des terres, à l’extrême-occident du monde, Alberto Vazquez a sans doute subi l’influence des marées et des lunes d’automne. Passionné de dessin et d’illustration, il se dirige d’abord vers l’Académie des Beaux-Arts, à Valence, où il poursuit des études d’art appliqué, avant de pousser les portes de la prestigieuse école Massana de Barcelone.

« María chérie, tu n’as pas l’impression parfois que tout ce qui nous entoure ressemble à un décor ? »


Au début des année 2000, il s’investit véritablement dans la bande-dessinée, participant à plusieurs projets éditoriaux comme ceux du collectif Polaquia, dont il est membre-fondateur, ou encore en s’engageant dans le fanzine Enfermo. C’est à cette période qu’il signe ses premières bédés : Freda (2003), Psichonautas (2006), qui reçoit le Prix du meilleur dessin au Salon international de la Bande-dessinée de Barcelone, et L’Évangile selon Judas (2007). Parallèlement, il réalise des illustrations de presse, notamment pour des quotidiens comme El País ou La Voz de Galicia, puis pour le magazine Vanity Fair. Il illustre également les œuvres de Poe et de Lovecraft, ce qui éclaire encore davantage sur ses orientations littéraires profondes, et en fait définitivement une personne qu’on aimerait avoir comme amie.



« Le sommeil de la raison engendre des monstres », écrivait Goya. Derrière ces mots, griffonnés sur une gravure en 1799, le peintre espagnol a livré l’origine de la puissance expressive de ses œuvres et la fulgurance de ses visions morbides : une sorte de cauchemar lucide, pas complétement fou car la folie totale empêche de produire, mais une petite ouverture sur l’inconscient, un entrebâillement qui laisse sortir juste ce qu’il faut de monstruosité esthétique, tant qu’on la contrôle, tant qu’il ne s’agit que d’une mise en sommeil raisonnable.
Des « Goya », l’équivalent des César et des Oscar en Espagne, Alberto Vazquez en a déjà remporté trois. Lentement, comme un poison fait insidieusement son effet, il se rapproche de l’animation au début des années 2010. Il commence par une courte adaptation de sa bédé primée en 2006, Psiconautas, qu’il réalise avec Pedro Rivera : Birdboy, un film d’une douzaine de minutes, sombre, dur, graphiquement superbe comme l’était déjà son livre, avec cette particularité propre à toutes ses œuvres de se situer précisément entre le monde de l’enfance et celui des adultes, entre un candide album jeunesse et une gravure infernale de Gustave Doré. Un mariage monstrueux, et d’une intensité redoutable, qui se reproduit dans toutes ses créations.



Birdboy reçoit le Goya du Meilleur court-métrage d’animation en 2012, en plus d’un inventaire indécent de prix à travers le monde. L’année suivante sort Le Sang de la Licorne, un nouveau court-métrage dans lequel s’affrontent sans pitié des oursons et des licornes, dans une ambiance de boucherie chevaline, avec à nouveau ce douloureux d’univers, qui vise surtout à caricaturer l’Homme, « le plus hideux des démons ».


Puis vint 2017, la grande année, marquée par deux événements. Le public découvre Decorado, un décor sans âme, comme un show qui grince et donne mal au ventre : « Le monde est un merveilleux théâtre, mais le casting est déplorable », accuse une voix off d’outre-tombe tandis qu’un noir travelling démonte les rêves d’espoir. On songe à Calderón, au gran teatro del mundo, qui assimile le monde et la vie à la scène d’un théâtre sur laquelle nous jouons, comme des acteurs ou des figurants inconscients, marionnettes de l’illusion. C’est le premier événement. Le second, c’est la présentation de la version longue de Psiconautas, sous-titrée Les Enfants oubliés, déployés en 76 minutes sur grand écran : un grand coup de couteau dans la toile duveteuse de la douceur du monde. Au finale, Decorado reçoit le Goya du Meilleur court-métrage d’animation, et Psiconautas le Goya du Meilleur long-métrage d’animation.


Comme un air de violoncelle lent et sombre qui s’installe tristement dans la tête, Homeless Home fit son apparition en 2020. C’est un film sur la nostalgie des monstres, sur leur grandeur passée et leur retraite banale, leur solitude cruelle et leur sentiments inconsolables ; l’envers du décor de la noirceur du conte, en quelque sorte. « J’imagine qu’on n’échappe pas à ses racines. Même si elles sont complétement pourries », confesse un passeur à tête de minotaure à un orque dépressif. « Parce qu’ici, on est tous un peu morts », retentit la morale de ce chef-d’œuvre en noir, blanc et rouge, accompagné par un chœur de sorcières tambourinant.

À l’heure actuelle, Alberto Vazquez fait le tour du monde des festival avec un nouveau long-métrage animé, présenté en première en juin dernier au Festival d’Annecy : Unicorn Wars. Cette fois encore, le film développe une histoire initiée quelques années plus tôt, dans le terrible Sang de la Licorne. Gageons qu’une nouvelle étoile noire sera accrochée au palmarès de ce réalisateur si obscurément brillant.



Crédits images : Autour de Minuit

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