Les Gens du Mag : Richard T. Short

La palette du cartoonist Richard T. Short semble grandir de jour en jour. Fiers témoins de cette croissance sans fin, nous admirons chacun des super pouvoirs que cet enfant génial de la bande dessinée britannique acquiert et perfectionne au gré de ses connections visuelles. Pour notre numéro « Minuscule », le voilà qui joint son amour de l’organisation apidée à la mode vestimentaire du 14e siècle. Il faut l’admettre, c’est intrigant.

Richard T. Short pour Kiblind « Minuscule »

Nous sommes donc allés lui poser quelques questions sur ce milliard de choses qui le font vibrer et la façon dont il réussit à les concasser en un seul et même dessin. Car loin de brouiller le résultat, la richesse de ses influences prend naturellement dans ses œuvres l’autoroute de la simplification. Et c’est cela qui impressionne en premier lieu dans le travail du dessinateur londonien : sa capacité de synthèse, la réalisation d’images profondes, en quelques traits, tout en restant d’une lisibilité confondante.

Autant dans son travail au long court sur Klaus, strips classiques en quatre cases, que dans ses nouvelles envies de mouvement, visibles dans ses projets de bandes dessinées sportives dont une publiée dans la revue Lagon, l’efficacité règne en maîtresse. Prenant le meilleur de tous les mondes, du graphisme des années 60 au manga déviant de Mizamaru Anzai, en passant par l’imagerie populaire et éphémère, il construit grâce à eux des visuels qui touchent au but sans parasite. Pourtant, c’est bien grâce à son talent qu’il arrive à aller au-delà d’un devoir de bon élève : la fluidité de son trait, l’incongruité de ses idées et la tendresse qu’il leur influe en font des œuvres singulières et touchantes.

Pour notre dernier numéro « Minuscule« , tu as dessiné – et nous te citons – « une ruche inspirée par l’art du XIVe siècle ». Est-ce que ton travail a toujours pour ambition de relier des choses qui n’ont rien à voir ?

Je ne l’avais pas pensé comme ça ! Je suppose que ces connections sont naturelles pour moi, et pas contradictoires. Pour cette image, les dessins du XIVe siècle existaient déjà à l’état de sketches, parce que j’adore les costumes du XIVe et j’ai pensé que les rôles distincts qui existent à l’intérieur d’un château médiéval se superposaient bien avec les différents types d’abeilles qui sont dans une ruche (servantes, soldates, nourrices, gardes, etc.) Parfois, c’est vrai que j’ai des idées dont les éléments paraissent très éloignés les uns des autres (cette idée d’un crocodile lassé du parti communiste et qui se met au cricket) mais d’autres sont bien plus linéaires et “pures” (une représentation visuelle d’une course de motos speedway, par exemple).

Richard Short – Extrait de la bande dessinée pour Lagon Revue

Au-delà des abeilles et du XIVe siècle, ton travail semble influencé par beaucoup de choses très différentes, du Tour de France 1989 jusqu’aux peintures de la Renaissance, en passant par le pin’s vintage d’une obscure équipe de football drômoise et la ligne claire d’Alain Saint-Ogan (oui, on a stalké ton compte Instagram). Qu’est-ce que ces influences très variées apportent à ton travail ? Que recherches-tu à travers ces images ?

Je suis simplement intéressé par beaucoup de choses dans l’art, le sport et la culture éphémère et je choisis de ne rien filtrer mais plutôt de construire mes bandes dessinées autour de ces différents intérêts, faire de la bande dessinée une sorte de collage. Là, la bande dessinée sur laquelle je travaille actuellement, qui parle de différents sports britanniques à moitié morts, comme les courses de motos speedway, de lévriers et de pigeons, vient piocher dans des références très variées comme les peintures Renaissance, les magazines de sport et de loisirs des années 60, les jouets et les bandes dessinées européens de l’entre deux-guerres, le manga des années 70, etc. Je ne suis pas sûr de ce que je cherche dans toutes ces images, mais ça suggère quand même une certaine nostalgie.

À côté de cette prolifération de références, ton dessin est plutôt minimaliste, avec pas tant de lignes pour exprimer ce que tu as à dire. Est-ce que l’art de la synthèse est une partie importante de ton travail ?

Mon dessin est habituellement assez clean et minimal et je suppose qu’il y a beaucoup de place laissée au blanc. C’est le résultat à la fois de mes limites de dessinateur (je ne suis pas aussi expressif que j’aimerais l’être) et aussi une manière d’inclure plusieurs langages visuels que j’aime dans une seule image. Si c’est de cette synthèse dont tu parles, alors oui.

Richard Short – Extrait du projet Traps

On a aussi remarqué que, dans tes derniers dessins postés sur Instagram au sujet des courses de lévriers ou de vélos, tu montrais un certain amour du mouvement. Est-ce un nouveau défi pour toi de nous faire ressentir le dynamisme de ces scènes ? Comment le gères-tu ?

Oui, j’ai commencé à dessiner des bandes dessinées sur le sport il y a seulement quelques années. Parce que j’adore le sport mais aussi comme un défi que je me lançais à moi-même comme j’étais assez peu enthousiaste à l’idée de continuer à faire mes strips à la Klaus [sa bande dessinée sortie chez Breakdown Press au Royaume-Uni et chez Warum en France, ndlr], qui sont assez statiques et avec beaucoup de textes, et peut-être un peu cucul. Je voulais faire quelque chose de complètement différent – quelque chose de muet et dynamique et à moitié réaliste, et peut-être même un peu “cool”. Il y a beaucoup de mouvement dans ces bandes dessinées sportives, avec des éléments de dessin venus du manga, comme l’usage de très nombreux traits de vitesse, beaucoup d’espaces vides pour se concentrer sur le mouvement et l’attitude du joueur de cricket/cycliste/lévrier, plutôt que sur n’importe quel élément du décor. Il y a beaucoup de références photos, mais exagérées, dans le choix de l’image la façon dont je peux la retranscrire en un dessin plus simple.

Richard Short – Extrait du projet Traps

Les couleurs ne sont pas toujours présentes dans ton travail. Mais quand elles sont là, elles sont bien là, puissantes et franches. Pourquoi et comment les utilises-tu et pourquoi sont-elles si puissantes quand tu les utilises ?

J’ai tendance à n’utiliser la couleur que dans les travaux promotionnels, comme les flyers que j’ai dessiné pour le bar d’un copain ou la bande dessinée en couleur que j’ai faite récemment pour le MoMa. La colorisation ici était basée sur les couleurs d’un vieux puzzle en bois. J’ai vraiment des compétences assez limitées en colorisation, je colorise avec les outils les plus basiques de PhotoShop, souvent en me basant sur de vieilles couvertures de magazines, mais aussi maintenant grâce à ces si beaux petits livres de color matching japonais. La palette pour Klaus était faite presque uniquement de couleurs primaires et vives. Je pense que là aussi ça venait des magazines ou du graphisme des années 60.

Richard Short – Différentes couvertures de Klaus

Peux-tu nous parler de trois projets qui te tiennent à cœur ?

Pendant à peu près 12 ans, je n’ai eu qu’un seul réel projet – Klaus – et j’étais très fier quand celui-ci a été traduit en italien pour le magazine Linus, entre 2016 et 2019. J’aime toujours beaucoup le dernier livre Klaus (Haway Man, Klaus !, Breakdown Press, 2021).

J’aime la bande dessinée sur le speedway que j’ai faite pour la revue Lagon “Pluie”, qui est sans doute la première bande dessinée réussie que j’ai faite sur le sport (dans le sens où je l’aime toujours aujourd’hui). Je l’utilise d’ailleurs pour le livre sur le speedway/lévriers/pigeons que je suis en train de dessiner, avec les mêmes personnages.

J’aime beaucoup des pages de la bande dessinée sur le Tour de France/le cyclisme que je suis en train de faire aussi et qui me semble interminable. Je me suis promis à moi-même de finir les deux en 2025.

Richard Short – Haway Man, Klaus !
Richard Short – Extrait de la bande dessinée pour Lagon Revue
Richard Short – Projet en cours

Kiblind Magazine
Richard Short

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