De drôles d’êtres qui semblent s’être mangé toute la pénibilité du monde le quart d’heure précédent, des décors aux looks surannés qui donnent envie de revivre l’époque bénie des papiers peints à motifs et un trait fluide et joyeux pour affirmer que rien n’est jamais noir ou blanc. Voilà le topo des dessins de Jamiyla Lowe qui nous a gratifié d’un superbe dessin pour notre dernier numéro « Minuscule ».
Un individu à la belle coiffe en filet se regarde dans le miroir comme un lundi matin. Dans son cou, une petite excroissance à l’allure peu jouasse semble murmurer à sa propriétaire toute les phrases assassines nécessaires à une déprime routinière. Pourtant, autour de ce couple mutant, le décor de la pièce apporte l’espoir qu’une existence attrayante est possible, entre cadre ornementé et mur aux reliefs psychédéliques. Ce dessin contient une bonne partie des ambiguïtés de la vie dont le travail de la Canadienne Jamiyla Lowe est un reflet constant.
En mixant une ligne sinueuse et cartoonesque avec les parures de l’angoisse et du désœuvrement, en croisant les figures du fantastique avec celles de l’intime, en choisissant un huis clos aux décors hypnotiques, Jamiyla Lowe tente de marier les contraires, de rassembler des sentiments antinomiques, d’illustrer une complexité émotionnelle dans des images à l’accessibilité pourtant immédiate. C’est là la modernité de son travail, puisant dans un look intemporel pour interroger notre état d’esprit d’aujourd’hui. Un art dont on épuise difficilement la bluffante clairvoyance.
Pour notre dernier numéro, tu as fait un dessin sur la petite voix qui murmure dans notre tête. Qu’est-ce que cette petite voix te dit lorsque tu dessines ?
Toutes sortes de choses. Ça a souvent à voir avec mes inquiétudes sur la façon dont je vais vieillir. Ou sur les doutes que je peux avoir sur moi-même. Quelqu’un a-t-il vraiment besoin de ce dessin ? Est-ce que je ne l’ai pas déjà fait ? Est-ce qu’il peut avoir du sens pour quelqu’un d’autre que moi ? Si on me demande, comment je vais expliquer ce que je fais ? Mais habituellement, j’écoute un podcast ou de la musique, donc je ne l’entends pas.
Au premier regard, tes illustrations sont gaies avec plein de couleurs et un trait cartoonesque. Mais si on regarde plus attentivement, on ressent une puissante mélancolie qui se dégage des scènes. Comment gères-tu ce paradoxe ?
Je pense que c’est proche de la façon dont je me représente mon existence. C’est plein de couleurs vives et de folies avec en dessous une peur profonde. Quand tout ça commence à se fissurer, la mélancolie affleure. Donc pour moi, ça a du sens que ces deux aspects coexistent.
Les intérieurs sont souvent les toiles de fond de tes dessins. Est-ce que ces environnement du quotidien t’inspirent particulièrement ? Est-ce qu’il y aussi un plaisir de placer dans cette normalité tes personnages fantastiques ?
J’ai vécu dans un tas d’endroits différents. Je pense que mes dessins sont des exagérations de ces environnements que je me suis créée. Certains sont très bien décorés, d’autres sont voyants ou hypnotiques : généralement, ils reflètent les sentiments du personnages qui se trouve dans la pièce. Le fantastique prend la forme des peurs et des désirs qui peuvent se matérialiser dans nos rêveries.
En lien avec la question précédente, tu sembles avoir un certain amour pour les papiers peints à motifs, le linge de lit, etc. Pourquoi leur apporter cette attention : est-ce que c’est un pur plaisir de dessin ou ont-ils une fonction dans la façon dont tu composes la page ?
Peut-être les deux ? J’ai grandi dans les années 80, quand les papiers peints et les linges à motifs étaient très populaires. Ça rend les intérieurs moins neutres qu’ils ne sont aujourd’hui. Donc j’utilise ces motifs et ornements pour refléter ou à l’inverse faire contraste avec les émotions présentes dans la pièce.
Sculpture, animation et illustration : tu utilises différents médiums dans ton art. Pourquoi cet éclectisme ? Est-ce que les médiums se nourrissent les uns, les autres ?
La sculpture et l’animation sont assez nouveaux pour moi. Je voulais voir comment mon travail pouvait être traduit dans ces différentes versions. Et je voulais aussi voir la façon dont elles pouvaient se répondre. Si je transforme une image en un objet physique ou quelque chose qui bouge, qu’est-ce que ça transmet d’autres, de plus. Et aussi, je m’amuse !
Est-ce que tu peux nous citer trois projets qui te tiennent à cœur ?
Heartache Inn : c’est un livre imprimé en sérigraphie pendant une résidence à L’Appât de Bruxelles.
As You Wish : un livre d’images imprimé en risographie sur le sujet des souhaits.
Exposition Living Room : une installation de mes dessins, animations et sérigraphies présentée à la Onsite Gallery de Toronto.