Les Gens du Mag : Janne Marie Dauer

Il se dégage un douce impression de réconfort des illustrations de Janne Marie Dauer. Soucieuse de vanter le charme de la vraie vie, l’illustratrice allemande sublime le quotidien, son aérographe coincé dans la poche. On a discuté avec elle suite à son illustration pour Kiblind « Monstres » et on a bien fait.

Les moments d’errance solitaire dans la rue, les longues minutes d’autocritique devant le miroir, les heures à observer la pluie tomber à travers la fenêtre… C’est à ces moments quotidiens au charme ordinaire que Janne Marie Dauer rend hommage grâce à ses peintures. Jusqu’au-boutiste, l’illustratrice allemande les subliment grâce à un outil qui sait, à lui seul, amplifier tout sentiment nostalgique : l’aérographe. Grâce à sa maitrise parfaite du dit instrument, Janne Marie Dauer dessine les émotions comme on pourrait les ressentir.

Chaque illustration devient ainsi l’écrin qui renferme une histoire. Histoire qui se raconte au sein d’une seule et même image, tant les compositions multi-formats de l’artiste sont riches et narratives. Cette formule magique, Janne Marie Dauer l’a appliqué également dans de nombreux fanzines comme Cleo & Louise, ou encore Urgewalt der Giganten dessiné à quatre mains avec Marco Quadri. Nouveau challenge et pas des moindres : c’est sur son premier roman graphique que travaille actuellement l’Autrichienne d’adoption : une adaptation illustrée du roman Auerhaus de Bov Bjerg (publié par Blumenbar Berlin) qui verra le jour en octobre prochain.

Avant cette date fatidique et suite à son illustration réalisée pour notre numéro « Monstres », nous avons posé quelques questions à Janne Marie Dauer.

« Mais qui sont les monstres ? » – Création originale de Janne-Marie Dauer pour Kiblind « Monstres »

Hello Janne Marie. On aperçoit des parties de corps semblant appartenir à un humain mais aussi à un animal dans ton illustration réalisée pour Kiblind « Monstres ». Peux-tu nous en dire plus sur ton intention et sur ce monstre qui se cache dans l’obscurité ?

Je pense que les monstres sont généralement plus effrayants lorsque nous ne les voyons pas en entier. De cette façon, nos esprits comblent les lacunes. Biologiquement, nous sommes programmés pour craindre les choses inconnues qui se cachent dans l’obscurité. Les monstres peuvent devenir normalisés ou banals, voire ridicules quand on les voit clairement en plein jour. J’ai également été inspiré par The Thing de John Carpenter. J’ai trouvé très fascinant la façon dont le monstre, cet extraterrestre dans le film, infecte les humains et les animaux comme un virus et les transforme de cette manière troublante qui semble presque imparable. Je me suis également inspiré d’une paire de gants blancs que j’ai trouvé dans les rues de Vienne, les gants semblent être l’un de ces objets que beaucoup de gens perdent (surtout les gants seuls).

Princess Diana in White Bike Shorts and Harvard Sweatshirt After Her Workout – Illustration personnelle

Peux-tu nous donner ta propre définition du monstre ?

Un monstre peut être une manifestation de nos propres peurs et pathologies subconscientes. Peur de « l’Autre » inconnu. Soit extraterrestre, mythique ou quelque chose de primitif, animal, incontrôlable. Il représente des choses qui ne correspondent pas aux normes de la société, des choses que nous aimerions réprimer.

Untitled – Illustration personnelle

Tu sembles apprécier particulièrement utiliser l’aérographe dans tes illustrations. Peux-tu nous parler de cet outil et de ce qu’il te permet de faire ?

J’adore cet outil car j’aime jouer avec le flou et en contraste avec la netteté. Il y a un certain onirisme amené par l’aérographe, une irréalité. C’est en re regardant de vieux films et des photographies argentiques que l’envie de travailler avec l’aérographe m’est venue. En particulier la façon dont les appareils photos floutent les arrière-plans des décors. L’aérographe permet aussi de restituer des souvenirs flous, une certaine douceur. On retrouve ce sentiment de flou également lorsque l’on ressent des émotions fortes comme la tristesse, la colère ou les orgasmes. Je travaille à la main, car j’aime aussi les petites erreurs qui se produisent, les petites taches, les coulures de peinture, les éclaboussures accidentelles, etc. J’ai aussi commencé à travailler sur des formats plus grands. Il m’a fallu un certain temps pour comprendre comment utiliser cet outil, mais maintenant je ne peux plus m’en passer.

Kamin4KUltraHD – Illustration personnelle

Tes illustrations sont souvent composées de plusieurs images. Comment travailles-tu la composition et la narration de tes créations ?

Je me souviens d’avoir lu Scott McCloud quand j’étais enfant et d’avoir adoré les espaces entre les cases et l’importance de cet écart. Ce genre de magie qui se produit en mettant simplement des images les unes à côté des autres dans une séquence. Automatiquement, nos esprits cherchent à combler à nouveau un vide. En tout cas, c’est l’effet que ça provoque chez moi, même si ces deux images n’ont apparemment aucun rapport. Quand je travaille sur des peintures, les fonds arrivent en premier, les séquences viennent librement. Leur composition se fait de manière très intuitive. Le contenu des séquences peut être lié aux arrière-plans, ou ne pas l’être à première vue. J’aime que différents spectateurs puissent interpréter différentes choses et récits. Si je travaille sur un projet de bande dessinée avec cette technique, je dois planifier davantage, comme les séquences et le fond sont sur des papiers différents, il faut que je puisse les déplacer et modifier la composition si je le souhaite.

Parking Lot Fist Fight – Illustration personnelle

Tu as déjà publié plusieurs comics. Quels sont tes prochains projets d’édition ?

Je vais sortir mon premier roman graphique cet automne, une adaptation du roman Auerhaus de Bov Bjerg, publié par Blumenbar Berlin. Six adolescents décident de vivre ensemble dans une ancienne ferme après que l’un d’entre eux ait tenté de se suicider, pour tenter de vivre une sorte de vie meilleure et le sauver mais aussi pour échapper à leurs propres problèmes. Il se déroule dans les années 80 en Allemagne de l’Ouest. Il devrait sortir en octobre.

Page from Mirrorscare (for Snail Eye Festival 2022)

Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?

Cleo & Luise est une série de zines que j’ai faites pendant mes études à Kassel, sur des meilleurs amis perdus d’une vingtaine d’années qui ont en quelque sorte trébuché dans la vie (bien sûr inspirés par mes propres expériences de vie). À travers ces œuvres, j’ai pu trouver mon style de narration, qui ressemble plus à une tranche de vie, parfois plus expérimentale. Mon projet de diplôme était un livre de 100 pages avec une histoire plus longue, une sorte de road movie où ils se perdent lors d’un voyage en train.

Cleo & Luise
Page from Cleo & Luise

J’ai aussi travaillé sur une série de peintures à l’aérographe portant sur des propriétés en succession, le genre de logement rempli à ras bord qui a été laissé en l’état suite à un décès, et au fait que les proches n’aient pas les moyens de s’occuper de son entretien. Grâce à une connexion personnelle, j’ai pu entrer en contact avec les travailleurs qui sont chargés de nettoyer ces propriétés et de vendre les objets qui se trouvent à l’intérieur, et tout ça m’a fasciné. J’ai pu montrer certains d’entre eux l’année dernière à l’occasion d’une exposition collective avec Jesaja Trummer et Leo Hasslinger intitulée « La douleur est un animal qui se cache dans tous les coins d’une pièce ». Il s’agit d’une série de peintures sur lesquelles j’aimerais continuer à travailler et pourquoi pas en faire une exposition personnelle.

Pilgerimgasse/ Yellow Pages (Estates Series)
Pilgerimgasse / Crutches (Estates Series)

Et le troisième doit être Auerhaus, sur lequel je travaille à fond depuis plus d’un an et demi. C’était une expérience vraiment nouvelle et intéressante pour moi, avoir un texte qui est déjà existant, et à partir duquel je peux travailler. J’ai lu le livre et je pouvais déjà imaginer le roman graphique. La technique que j’ai choisie est assez laborieuse : un crayon mécanique pour les traits et une seconde couche de gouache pour la mise en couleur, en les associant sur Photoshop. C’était vraiment agréable de pouvoir avoir la confiance de l’écrivain Bov et de la maison d’édition, ils m’ont laissé la liberté de le faire à ma manière. Je n’ai jamais travaillé sur ce genre de production longue et c’est une énorme expérience d’apprentissage. J’ai super hâte qu’il sorte !

Page from graphic novel Auerhaus

JANNE MARIE DAUER // KIBLIND « MONSTRES »

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