On aurait dû se douter qu’offrir une thématique Bla Bla Bla à Ruan Van Vliet, c’était une main tendue vers la vanne. Peut-être parce qu’il semble être expert en contre pied : une expo ? Oui, mais pour les chiens. Une jolie illustration ? Oui, mais attention au sous-entendu. Maître en pirouettes acrobatiques illustrées et retombées spectaculaires au sens caché, il maîtrise l’art de la chute à haut niveau et retombe toujours en plein dans le mille.
Si vous cherchez l’illustrateur Ruan Van Vliet, vous le trouverez très certainement quelque part à la frontière entre la mignonnerie et le cynisme. Bon, vous pourriez aussi le croiser dans les rues de Dublin, où il est installé. Et si vous prêtez attention à ce qui vous entoure, vous apercevrez aussi son talent sur des affiches, des vêtements, des sites web… Enfin un peu partout où vos yeux amateurs de belles choses pourraient se poser. Il faut dire que son style – cuisiné à chaud dès qu’une idée se pointe, thermostat second degré – mêle bon goût et acidité. Une audace à la Top Chef, recette de son succès auprès de grandes marques, du public averti, des petites gens… Et oui, quand c’est bon, ça se propage. Faites tourner, y’en aura pour tout le monde.
Hello Ruan ! Pour le numéro Bla Bla Bla, tu nous offres une interprétation de l’appel de rançon. Et toi, tu es plutôt à l’aise dans la discussion téléphonique ou tu bloques les appels entrants ?
Je pense que je suis plutôt à l’aise au téléphone. J’ai adopté tardivement les réseaux sociaux et j’ai grandi en parlant au téléphone pendant des heures. Le problème, c’est qu’il faut bloquer la plupart des appels de nos jours. Personne ne reçoit jamais d’appel de quelqu’un à qui il veut vraiment parler – ce sont seulement des robots et des escrocs.
Dans ton travail, tu produis des visuels avec et sans texte. Comment est-ce que tu choisis d’en ajouter ou non ?
Cela dépend de la façon dont l’idée me vient à l’esprit. Parfois, je vois d’abord l’image finie et j’essaie de la dessiner du mieux que je peux. Parfois, j’ai une phrase en tête, comme une chanson, et j’attends jusqu’à ce que je trouve l’image qui va avec, ce qui peut prendre des jours, voire des années dans certains cas.
Crayon, numérique, couleurs, noir et blanc… Tu alternes souvent les techniques d’illustration, comment choisis-tu ton médium ?
Tout commence de la même manière : un crayon sur du papier, et ma façon de travailler change rarement : je dessine, je scanne, je colorie. Mais tu as raison de dire que j’ai souvent des styles différents pour des projets différents, je suppose que c’est le designer qui est en moi. Je pense également que l’on insiste un peu trop sur le fait que les illustrateur·ices doivent trouver un style et s’y tenir, alors que ce qui importe le plus, c’est d’avoir une forte personnalité qui transparaît dans tout ce que l’on fait.
Si tu ne pouvais t’exprimer que d’une seule manière, tu garderais la parole ou le dessin ?
Je suppose qu’il faudrait dessiner, une image vaut mille mots, on connait l’expression. Ou mieux encore… chanter ! La musique est mon premier amour, c’est ce qui se rapproche le plus de la magie. Si j’arrivais à faire ça bien, je serais un homme très heureux.
Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?
D’abord les bandes dessinées : J’ai commencé à faire des bandes dessinées par accident en 2021. J’essayais d’écrire un livre pour enfants. J’ai trouvé des exercices d’écriture de Lynda Barry sur YouTube, et les bandes dessinées sont nées de ces exercices. Il est plus facile d’écrire une courte bande dessinée qu’un livre entier, surtout quand on manque de temps dans la vie de tous les jours.
Elles me viennent généralement pendant que je promène mon chien, normalement par trois ou quatre. Il m’arrive de passer des mois sans en trouver, puis d’en écrire plusieurs en une semaine. En général je ne suis jamais vraiment satisfait de ce que je fais, mais avec les bandes dessinées c’est différent, je suis même assez fier d’elles, ce qui est nouveau pour moi. Jumbo Press a publié une collection, Gas Comics Vol.I, en août 2022 et je peux encore la regarder et sourire. Le volume II est en cours de réalisation à l’heure où j’écris ces lignes et devrait sortir avant la fin de l’année.
Ensuite, Exhibition for Dogs : En 2022, j’ai eu ma première (et unique) exposition solo, une exposition pour les chiens. J’ai travaillé avec la galerie Hen’s Teeth à Dublin pour créer une série d’illustrations qui plairaient aux chiens – des choses comme des chats et des écureuils avec des pattes cassées, des facteurs avec leur pantalon baissé, mangeant de la merde sur le sol – tout ce que les chiens aiment. Nous avons exposé les affiches à hauteur des genoux et construit une aire de jeu de type Crufts avec des bascules et des cerceaux à franchir. Le soir de l’ouverture, l’espace était rempli de chiens.
Enfin, You Are In Your Hole – Pour moi, c’était le travail parfait. Ce n’était même pas un travail, mais il représente tout ce que j’aime dans mon métier. Le contexte est tellement alambiqué ; j’ai essayé de l’expliquer ici, mais je dois sans cesse effacer ce que je tape, en fait, ça gâche presque tout de lui donner un contexte. Je pense que c’est ce qui fait sa particularité : c’est un non-sens, il a été conçu et dessiné en un clin d’œil, je n’y ai pas réfléchi une seconde et, d’une manière ou d’une autre, il a touché les gens. Parfois, je passe des jours ou des semaines sur un projet, persuadé qu’il sera un grand succès et… non. Comme le dit Neil Young, « the more you think, the more you stink » (ndlr : « plus tu penses, plus tu pues »).