Hugo Le Fur aime raconter des histoires, souvent sans un mot. En ce qui concerne l’illustration originale qu’il a réalisée pour le numéro Bla Bla Bla, on peut dire que le message est clair comme de l’eau de roche. Pour en apprendre davantage sur celui qui souhaite « couper le robinet à conneries », on est allé à la source.
Les lignes qu’Hugo Le Fur transpose de sa main au papier ont toutes en elles cette impression d’impulsivité, comme poussées par un élan de vie. Cette fougue n’est cependant pas anodine. De son propre aveu, la spontanéité est un panneau directionnel, la petite marque sur le sentier, qui lui rappelle quelle voie suivre.
Dessinateur, graphiste et VJ, ce collectionneur d’images d’archives partage son temps entre Rennes et Paris mais aussi entre papiers et écrans. Hugo Le Fur mélange les inspirations, les influences, les médiums et les lignes, pour donner à vie à l’essence de son ressenti.
Inspiré par les détails de son quotidien, il coupe et assemble les images, révise les proportions et modifie les échelles pour surprendre la vision et troubler la réception, dans l’illustration comme dans l’animation. Si, aux premiers abords, nous ne sommes pas toujours cetain·es de ce que l’on regarde, ses traits pourtant explicites finissent inévitablement par atteindre leur propre sens. Comme une direction à suivre, vers le plaisir du dessin.
Salut Hugo ! Ton illustration sur le thème “Bla Bla Bla” ne fait pas de cadeau au thème. La discussion, c’est plus ce que c’était ?
Coucou ! La discussion c’est très bien, sauf quand elle est à sens unique… Avec cette illustration je m’attaque plutôt aux monologues, aux crises de diarhées verbales. Quand le dialogue est rompu, il est parfois préférable de couper « le robinet à conneries ».
Et toi, quel est le sujet sur lequel on ne peut pas te la faire à l’envers ?
À vrai dire je suis un bon client sur pas mal de sujets. Je me fais avoir assez souvent. Un ton assuré, deux trois mots techniques, l’air de savoir de quoi on me parle et hop, je marche à 1000%. C’est peut-être pour ça que j’ai voulu dessiner ce robinet magique… Pour couper court aux baratineurs en tous genres. Pour répondre plus sérieusement, j’adore le krautrock et la science-fiction, je crois que sont des sujets que je commence à maîtriser. N’essayez-pas de m’avoir !
Lorsqu’on regarde plus en détail ton travail, on s’aperçoit que ton style varie selon les périodes, pour un rendu plus ou moins vaporeux, abstrait. C’est une volonté de ta part ou le fruit du hasard ?
J’essaye de suivre la gestuelle que me propose ma main naturellement. Pendant longtemps j’ai essayé de contrôler ça, en préparant mes illustrations au millimètre pendant des heures mais j’y perdais pas mal en plaisir et en spontanéité. « Un trait vif et spontané » c’est un mémo que je me répète souvent quand je bloque sur une illustration : si c’est trop réfléchi ça perd de sa fraîcheur. Par conséquent, je crois qu’aujourd’hui je cherche moins à figurer des situations concrètes qu’à laisser danser les lignes sur le papier quitte à m’affranchir du figuratif. Le meilleur guide c’est le plaisir.
Quel est ton rituel inspirant pour créer un dessin ?
je filme beaucoup dans la vie de tous les jours ; dans la rue, à la campagne ou avec mes potes en soirée. Quand l’inspiration vient à manquer je regarde mes dernières vidéos je mets pause à un endroit qui m’intéresse. J’aime bien zoomer sur des détails insignifiants : une poubelle qui déborde, une plante, une barrière, que je redessine ou décalque même, je suis fan de rotoscopie ( ndlr : il s’agit du processus de création de séquences animées en dessinant image par image sur des prises de vue en direct.)
Parfois je mets ma feuille directement sur mon écran d’ordinateur, l’opacité de la feuille ne me permet pas de voir précisément les détails de l’image par derrière. Ce qui est génial car ma main trace toute seule et fait des liens entre des lignes qui ne sont pas sur le même plan, ça crée des images abstraites, des objets qu’on n’est plus tout à fait en mesure d’identifier.
Quel matériel t’es indispensable pour travailler ?
Des feutres en tous genres (posca, stabilo, promarkers …). Ils ont tous des comportements différents en fonction du support et de la façon dont je les colorise, à l’encre, à la gouache ou avec d’autres feutres. Et bien sûr : ciseaux et scotch ! On ne le voit pas forcément mais mes illus sont très recomposées, redécoupées. Je fais rarement un dessin proprement sur une seule feuille, c’est toujours un peu cracra. De plus en plus souvent, je laisse des indices de cette matérialité dans mes réalisations finales. J’aime aussi sentir l’odeur de l’encre ou le grain du papier dans les illustrations des autres.
Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?
Moments 1 à 5, c’est ma première vraie BD. Un petit pavé de 260 pages en noir et blanc. C’est un projet important pour moi car ça a été mon passeport pour mon premier Angoulême, à la table des éditions Mökki au Spin Off en 2018. Exécuté en deux semaines top chrono avec l’aide précieuse de Thibault Arnoul pour la confection du livre. C’est là que j’ai trouvé ma devise « vif et spontané » je crois. J’ai vraiment dû mettre mon cerveau de côté pour tracer aussi vite que possible, et ça a été très formateur.
En parallèle je fais également du VJing. C’est la pratique qui consiste à vidéo-projeter des visuels en direct sur un écran, en accord et en rythme avec la musique. Pour moi ça fait partie intégrante de mon travail d’illustrateur. Je fais ça avec mes ami.es du label OYE qu’on a fondé en sortant d’école. Cet été j’ai été amené à jouer au festival de Dour en Belgique, sur les écrans les plus gigantesques sur lesquels j’ai jamais joué.
C’était incroyable ! Et c’était une sorte de consécration pour moi car le VJing est aujourd’hui très associé à des visuels très darks, en 3D. En particulier dans le milieu de l’electro. Il y a une esthétique très marquée et c’est devenu difficile d’imposer autre chose en soirées ou en festivals. Du coup, avoir eu la possibilité de faire danser 15 000 personnes devant mes petits Mickeys et mes animations aux couleurs pétantes ça a été une petite revanche !
Enfin, le live audiovisuel L’été Dernier avec mon ami et musicien Benoit Giffard qui fait la musique sur ce projet. C’est un peu la synthèse de mes deux activités : il s’agit en quelque sorte d’une BD mais vidéo-projetée et jouée en direct.
Il y a une trame narrative : on suit un personnage qui déambule dans un parc en été. Se succèdent différents chapitres : le bosquet, le potager, la rivière… Puis, en fonction des envies sur le moment, de l’ambiance dans le public ou autre, on se réserve toujours une part de freestyle. Benoit peut partir en impro de trombone ou de clavier et moi me lancer dans une session de live painting à la tablette. Chaque spectacle est unique et c’est ça qui est génial !