Interview : Jisu Choi

Jisu Choi joue de son imagination pour créer des constructions foisonnantes aux détails incroyables. Pour nous, elle a accepté de réaliser une couverture à la « Où est Charlie » pour notre numéro À quoi tu joues ?. On a sauté sur l’occasion pour lui poser quelques petites questions sur son incroyable travail.

Jisu Choi a ce super-pouvoir d’illustrer la réalité avec une incroyable minutie, en particulier en ce qui concerne l’architecture et les environnements urbains, tout en restant dans son monde à elle. Un peu comme si l’illustratrice coréenne, croisée une première fois sur la toile pour son travail pour l’agence OMA, pouvait à l’envi créer des univers parallèles. Les producteurs du génial Parasite, Palme d’or 2019 du festival de Cannes, l’ont bien compris en lui confiant la réalisation de la sublime jaquette de leur DVD (que nous ne pourrons pas montrer ici pour des questions de droits…). Son projet personnel, Corner for Rent, témoigne de cette fabuleuse faculté à sublimer le réel en se donnant elle-même un maximum de contraintes. C’est sans doute pour elle un moyen d’assouvir à sa façon sa boulimie de voyages et sa soif de découvertes, en passant des heures à imaginer et reconstruire avec talent le monde dans lequel on vit.

Couverture Kiblind 76 – À quoi tu joues ?

 À quoi tu joues ?

Je suis assez compétitrice mais absolument pas douée pour les jeux compliqués. Quand on m’embarque dans des parties de jeux à plusieurs, en général, je perds… Vu que ça me met en colère, je préfère généralement les jeux de puzzle auxquels je peux jouer seule, comme le solitaire classique ou 2048 en jeux vidéo.

The course, Personal work, 2020

Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours ?

Je viens de Corée où j’ai passé des diplômes en graphisme et en animation. J’ai une vraie passion pour le voyage. Je suis donc allée dans de nombreuses villes au cours des dix dernières années pour découvrir le monde qui m’entoure et, sur la base de cette expérience très enrichissante, je me suis concentrée dans mon travail sur des architectures ou des espaces singuliers, hors norme. Le véritable commencement de ma carrière professionnelle en tant qu’illustratrice est aussi en lien avec le voyage. J’ai réalisé une première bande dessinée un peu expérimentale sur le voyage, éditée par une maison indépendante. Les premières années, je vivais surtout de la vente de livres et d’affiches autoproduits sur des festivals ou des foires d’illustration. Aujourd’hui, la grande majorité de mon travail est consacrée à des commandes pour des entreprises.

A motel Personal work, 2016
A gas station Personal work, 2016

Quels sont les projets importants à tes yeux ?

Le premier projet qui me vient en tête est justement la bande dessinée expérimentale de voyage que j’ai faite à mes tout débuts. Après avoir terminé environ 200 pages de dessins avec l’envie un peu compulsive de dessiner par moi-même (sans avoir aucune arrière-pensée sur ce que cela pouvait m’apporter par la suite), cela m’a fait prendre conscience que j’aimais beaucoup dessiner d’une part, et que je pouvais le faire pendant longtemps sans souci.

Spain in my 30 Travel drawing book, 2020

Le second projet est une illustration architecturale en collaboration avec OMA, une agence spécialisée dans l’architecture et l’urbanisme. C’était ma première opportunité de réaliser une illustration d’architecture pour des professionnels. Par la suite, c’est, je pense, sur la base de cette réalisation que j’ai pu faire beaucoup de travaux commerciaux liés à ce domaine, qui me passionne.

 Joongang Ilbo – An article illustration on the history of urban development in Seoul, 2020 Joongang Ilbo.

Pour terminer, je citerai un travail personnel que je fais chaque mois, appelé Corner for Rent. Il s’agit d’un projet personnel de construction d’un coin de pièce imaginaire différent chaque mois. Les images sont ensuite imprimées au format carte postale et distribuées gratuitement aux librairies ou cafés indépendants locaux. Au début, j’ai commencé avec de très petites quantités (environ 50 exemplaires), mais le mois dernier par exemple, plus de 500 exemplaires ont été distribués en raison de nombreuses demandes. C’est un projet qui m’apporte une bouffée d’air frais quand je me perds dans les méandres des commandes commerciales.

Comment construis-tu tes illustrations à la fois très ancrées dans le réel et parfois complètement fantasmagoriques ?

Je me plonge complètement dans une illustration en imaginant une scène, une disposition spatiale déjà dessinée dans mon esprit. C’est un peu comme jouer aux Sims dans un univers que j’aurais moi-même créé. En fait, je crois que d’une certaine façon, mes dessins témoignent d’une envie débordante de faire plein de choses. Il y a tellement de choses que je ne peux pas faire ou avoir, à cause des contraintes spatiales ou économiques, que j’utilise l’illustration pour soulager ce désir en dessinant des trucs, plein de trucs.

The course, Personal work, 2020

Que penses-tu du web et des outils comme Instagram permettant de diffuser les images à travers le monde ?

Grâce à ces outils, on peut être « connue » et communiquer auprès de nombreuses personnes sans contraintes d’espace mais aussi parfois sans réel fondement. C’est quand même étrange de se dire que des gens qui sont censés ne jamais m’avoir rencontrée puissent finir par avoir un avis sur moi ou mon travail. Parfois je me dis que c’est même triste de faire partie des nombreuses images qui se déversent et circulent sur le web. Ces images peuvent se déplacer rapidement et loin grâce à Internet, mais en même temps, elles sont aussi rapidement oubliées. Pour être honnête, je préfère me concentrer sur des travaux, des sujets, un environnement avec lequel je suis familière, dans lequel j’ai grandi. Mais je suis encore jeune et je dois sans doute m’adapter à ces nouveaux outils et leurs conséquences sur le monde de l’illustration.

Gender Equality Library poster commission work, Client: Scenery of Today, 2019

Si tu devais choisir cinq personnages de l’univers du jeu, de l’illustration pour faire une super colocation, qui choisiras-tu ?

À vrai dire, il faut envisager de nombreuses options pour constituer une belle équipe !

Mais je crois que je préfère les gens qui sont sympa avec les autres… Je mettrais bien la coopération et la capacité d’adaptation comme traits de caractère principaux.

Je choisis donc le génie d’Aladdin, Peter de Antman, Madeleine cookie de Cookie run Kingdom, Dragonite de Pokémon et évidemment Kirby de Kirby’s Dream Land.

Seoul museum of art

Qu’est-ce qui t’attend dans les semaines et mois à venir ?

Je termine actuellement les illustrations d’un livre sur lesquels je travaille depuis un an. Et je prépare aussi une série personnelle de grands formats pour la Biennale d’architecture et d’urbanisme de Séoul qui aura lieu en septembre. J’ai eu la chance d’être pas mal occupée cette année avec de nombreux projets super excitants. Lorsqu’ils seront terminés, je crois que je vais prendre quelques jours pour ne rien faire et me reposer dans la villa familiale en bord de mer (c’est l’un de mes endroits préférés).

Namsangol Hanok Village – Project detail: 2020 Chuseok festival poster illustration, 2020 Namsangol Hanok Village.

JISU CHOI

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