[Interview]. JB Hanak / Expo Rock’n’Roll’s Not Dead

L’association Rock’n’Roll’s Not Dead aime à faire de la nuit des Parisiens des foutoirs pas croyables où musiques, poils et bières forment une triforce surpuissante. Mais le regard acéré de cette bande peut également s’émouvoir de compositions picturales. Ainsi, l’exposition qu’il monte au Point Éphémère rassemble les oeuvres graphiques de trois artistes qui n’ont d’autres ambitions que de créer, avec leurs propres codes et leurs propres intentions. JB Hanak, Stigmate Noir et Greg M exposent leurs récents travaux au Point Éphémère du 23.02 au au 1.03, et nous avons pu interviewer le dit JB Hanak, sur sa vision des choses de son art et comment il se raccroche à ses activités musicales (dDamage, Cobra, dDash). Vernissage le 23.02 au Point Éphémère, à Paris.

Jean-Baptiste Hanak est jeune homme qui parcourt le XXIe siècle artistique avec l’aisance d’un capucin. À la fois membre de dDamageSleaze Art et Cobra, agissant en solo sous le nom de (BoulderdDash et à présent partie prenante du domaine des arts visuels, JB Hanak est là, partout, tout le temps et depuis près de 15 ans. Qui s’en plaindra, pourtant, tant son parcours est jalonné de mues, de peaux qu’il laisse là sur son passage pour mieux renaître. Le voici qui, depuis deux ans maintenant, ajoute à sa fibre musicale une vocation pour l’embellissement des choses avec le projet Hyperactive Jerk. Il nous le présente ici, en interview, avant de le montrer en vrai aux côtés des travaux de Stigmate Noir et Greg M, pour l’exposition Rock’n’Roll Is Not Dead, du 23.02 au 1.03, avec Vernissage le 23.02.

 

© JB Hanak

Kiblind : Comment t’en es venu à l’art plastique ?

JB Hanak : C’était aux alentours de 1992. Je dessinais depuis toujours et puis j’ai découvert les travaux de Jackson PollockRobert Motherwell et Joan Mitchell. Et par la suite je me suis intéressé de manière plus approfondie au mouvement américain « Action Painting » qui fut pour moi une énorme claque. C’était à l’époque l’explosion du tag et du graff en France, qui ne m’intéressait que de loin ; et qui finalement était plus l’affaire de mon frère Fred (avec qui je forme dDamage). Il était membre des VEP et avait quelques années plus tôt défoncé la station Louvre avec ses comparses Oeno, Colorz, Omega, Arnak, Spyt, Poser (et j’en oublie). Bon, bref, chaque chose à sa place, mon frère était dans le tag et moi j’ai choisi de me plonger dans la peinture abstraite ; sans savoir que quelques années plus tard nous allions nous retrouver avec la musique.

Kiblind : Quelles sont les techniques utilisées ?

JB Hanak : Tout part du dessin. Mes premières planches sont effectuées sur carnet Moleskine en monochrome à l’aide d’un stylo Uniball à encre gel. Il s’agit des premiers originaux. Par la suite, je travaille avec l’atelier de L’insolante à Paris, avec qui je porte en agrandissements sérigraphiques monochromes à plusieurs exemplaires. La troisième étape est celle du rehaut : je prends une sérigraphie que je repeint intégralement à la main à l’aide de marqueurs Posca. L’idée est de partir d’une œuvre unique, pour ensuite la porter en multiple et – en dernier lieu – lui rendre un nouveau statut d’œuvre unique. Il s’agit des œuvres que j’expose actuellement. Ensuite, pour un futur très proche, je compte également effectuer des multiples de rehaut (correspondants à mes couleurs Posca) sur du rhodoïd translucide afin de les superposer aux sérigraphies vierges. Cela afin de créer des multiples couleurs et de les vendre moins cher que les œuvres uniques. Simplement parce que j’ai envie de vendre à des personnes n’ayant pas les moyens de s’acheter une pièce à 1500 euros. Sinon, je fais aussi des vêtements en collaboration avec Agnès b. J’en suis très fier car il s’agit là d’une personne extrêmement généreuse par amour de l’Art. Chose infiniment rare aujourd’hui.

© JB Hanak

Kiblind : Vois-tu un rapport avec la musique que tu fais (Cobra, dDamage, dDash) ?

JB Hanak : Tout est saturé, porté à l’excès, sans un instant de respiration, étouffant, agressif et angoissant. 

Kiblind : Dans l’avenir, comment penses-tu concilier musique et art plastique ?

JB Hanak : Je travaille en ce moment sur une nouvelle pièce. En collaboration avec l’atelier de gravure « Le Shape » (qui fait principalement du skateboard) et un pote luthier, Yvan Oiry. Nous sommes actuellement sur la customisation intégrale d’une guitare électrique. Retouche intégrale, ponçage, peinture, gravure sur bois, rehaut Posca, vernis, assemblage. C’est là un instrument de musique qui sera exposé en galerie en tant qu’œuvre plastique. Et puis, sinon, pour les liens entre musique et arts plastiques, je fais mes artworks de disques ; qui – outre les exemplaires fabriqués à l’usine de pressage – comportent une série de 36 disques en tirage unique, pochettes sérigraphiées intégralement peintes à la main. 

Kiblind : Sur les travaux que tu présentes, il y a une grosse prépondérance du bleu, du blanc et du jaune. Quelles en sont les raisons ?

JB Hanak : Le bleu est la couleur monochrome que j’utilise pour mes premières épreuves. J’ai tenté de me rapprocher au maximum du bleu Klein, qui m’obsède depuis plus de vingt ans. Mon jaune est une complémentaire primaire. Le blanc, c’est simplement ce qui reste, là où je ne dessine pas : le vide. J’aimerais qu’il y en ait de moins en moins, je veux l’annihiler progressivement. J’ai peur du vide, je veux tout saturer pour oublier le vide. Comme en musique d’ailleurs.

Kiblind : Quel est ton processus de création ? À quoi tu penses quand tu commences une nouvelle œuvre ?

JB Hanak : Au début j’étais dans l’idée d’encastrer violemment un esprit très pop au sein d’une composition ultra saturée. Un peu comme si tu voulais incruster de force deux litres de Keith Harring et de Basquiat dans une bouteille d’un litre de Pollock. On peut voir ici un autre lien avec la musique dans le sens où j’emprunte à mort, comme avec les samples. Je fais cohabiter plein de sources différentes pour arriver à un point de concassage faisant qu’on ne reconnaît quasiment plus les éléments de base : le but étant de trouver l’harmonie en composant avec 100% de chaos total. Oui, donc, définitivement comme la manière que j’ai de sampler en musique pour dDamage avec mon frère. Ensuite, une nouvelle étape est apparue en terminant ma première série. Lorsque je suis passé à l’étape sérigraphie/rehaut, l’apport de couleur fut un enseignement qui me fait aujourd’hui dessiner mes nouvelles épreuves monochromes différemment. Disons que, maintenant, je réfléchis à la couleur de dernière étape dès le début du process, alors que celle-ci n’arrivera qu’à la fin. Donc, aujourd’hui, je suis beaucoup plus dans un délire de formes brutes. Je laisse tomber les petits personnages pour faire de l’abstrait total, c’est encore plus angoissant, ça me plait. Pour continuer le parallèle avec la musique, disons que j’ai arrêté de sampler de la pop et que je pratique aujourd’hui du sample de musique bruitiste. Par exemple emprunter aux scènes de tauromachie de Picasso, dans lesquelles il fait sortir en 6 traits un mouvement super complexe de violence chorégraphiée. Ce truc de l’obsession de la forme, l’obsession du mouvement de la main lorsque je dessine. Essayer que chaque trait soit autant maitrisé que lorsqu’on signe un document. J’adore ce mouvement que tout le monde fait pour poser sa signature manuscrite. C’est rapide, super maitrisé ; et très difficile à imiter. Tout le monde possède ce talent. Et c’est pas pour rien qu’en français le mot « signature » est à double sens. Un bon peintre réussit à créer la confusion entre le sens propre et le sens figuré du mot « signature ». C’est ce que j’essaie de faire.

© JB Hanak

Kiblind : Tes créations sont foisonnantes, bourrées de détails, mêlant symboles, typographies, motifs, dessins qui s’enchaînent à la manière d’un cadavre exquis ou des peintures rupestres. Peux-tu nous expliquer cette façon de faire ?

JB Hanak : Il y a parfois un motif principal, assez grand, par lequel je commence pour ensuite habiller le reste. Naviguer entre du figuratif pas très clair ou de l’abstrait qui fait apparaître une image bien posée. C’est parfois pensé, parfois du remplissage. Même si le mot « remplissage » peut paraitre péjoratif, j’adore remplir. Je hais le vide. Même lorsque je parle, j’en ai rien à foutre de passer pour un idiot, je préfère parler tout le temps j’ai peur du silence. J’aime la saturation d’information, que celle-ci ait un signifiant ou non. Ensuite, j’ai des thématiques de travail, beaucoup de symboles ésotériques ou religieux ; qui m’obsèdent littéralement parce que je vois ça comme de la BD de très haut niveau. Beaucoup d’emprunts à l’art, plein de références très différentes que j’essaie de concasser de manière ultra bordélique. Parfois aussi des trucs Mayas dont je m’inspire de manière totalement profane ; simplement parce que j’adore depuis toujours la vision paranoïaque des codex indéchiffrables exposée par William S. Burroughs dans ses écrits des années 60. Le fantasme du truc qu’on ne comprendra jamais, donc qui devient forcément le truc qu’on veut absolument comprendre ; mais comme c’est impossible, alors ça signifie que le salut de l’âme humaine est définitivement foutu parce que les réponses essentielles resteront à jamais inaccessibles. Ce vide, ce manque qui obsède l’être humain parce qu’il y cherche les clés de la compréhension absolue. La notion de Blaise Pascal : aspirer à l’équilibre en cherchant un point d’appui sur le néant. C’est pas pour rien qu’on a foutu Pascal sur le plus gros billet de banque français : c’est pour cette notion du truc le plus difficile à atteindre. Alors que ce mec se branlait sur du vide, le paradoxe exposé au travers de toutes les pensées religieuses : le rien pour arriver à tout, cohabitant avec ce désir du tout qui te fera sombrer dans le rien. Mais bon, c’est du vide, après tout, c’est peut être pas la peine de trop s’attarder dessus… Moi je désire l’évacuer, inviter à abandonner toute envie de réflexion à son propos. Surcharger d’info sans me soucier du sens de celle-ci. De fait, j’adore ce principe de langage indéchiffrable – de manière graphique, je désire le porter à l’excès pour détruire toute espérance de compréhension de lecture. Ça me fait marrer, ça rend les gens curieux, ça donne envie de se noyer en abandonnant tout espoir de déchiffrer. Relax. Juste éteindre l’intelligence, un court moment. Tu as déjà entendu quelqu’un dire à propos d’une œuvre d’art : « Y’a rien à comprendre là dedans ». Bah, moi, je veux être rangé là dedans. Comme une Pierre de Rosette totalement impénétrable, qui aurait finalement fait dire aux Grec Anciens : « Bon, les gars, on laisse tomber. On comprendra jamais rien à ce machin, on va juste l’exposer parce que ça a de la gueule et puis c’est tout. » Mais bon, là, je glisse dans le fantasme. Tu me demandes de t’expliquer ma façon de faire : bah voilà, je fantasme tout le temps. Ça m’évite de trop réfléchir.

© JB Hanak

 

Kiblind : Quels sont tes influences, tes inspirations ?

JB Hanak : Tous les artistes que j’ai cité précédemment, auxquels j’ajouterais : Savage Pencil (dont je me suis inspiré vraiment à mort pour mes premières épreuves) ; Andy Warhol (pour toute mon obsession liée au principe de multiple retrouvant un statut d’œuvre unique). Et puis y’a Shoboshobo en France ou Tetsunori Tawaraya au Japon, qui sont des potes avec qui j’adore boire des coups ; mais dont le travail, les conseils et l’amitié m’ont aussi encouragé pour me lancer. Mais vraiment, si je devais n’en citer qu’un, définitivement, ça serait Jackson Pollock. Quand je suis face à un tableau de Pollock, je suis obsédé par l’envie de mourir dedans.

 

Kiblind : Comment as-tu pensé l’exposition ?

 

JB Hanak: Contrairement à ma précédente expo, je vais uniquement exposer du rehaut grand format. Je laisse derrière moi tout le process de dessin, de sérigraphies brutes. J’expose uniquement du produit fini, sans montrer les étapes précédentes. Je pouvais me le permettre sur mon expo de décembre/janvier car j’avais à ma disposition une grande galerie avec deux étages juste pour moi pendant huit semaines. Ici, nous avons une grande galerie, à partager pour trois artistes. Juste pour une semaine. Donc, maintenant, je vais droit au but. Zéro narration, juste du « Bam dans la gueule ». Pas de temps à perdre.

 

Kiblind : Tu peux nous donner ta vision du travail de Stigmate Noir et de Greg M, les deux artistes qui t’accompagnent sur l’expo ?

 

JB Hanak : Je connaissais déjà leur travaux car nous étions sensés exposer il y a peu dans une autre galerie. Mais le projet est malheureusement tombé à l’eau. Nous nous retrouvons aujourd’hui de nouveau ensemble pour ce projet monté par Rock’n’Roll’s NOT DEAD (que je remercie sincèrement au passage) et j’en suis très heureux. Vu mon aspiration pour l’iconologie ésotérique et les choses sombres, tu pourras en déduire que je suis très fan de leurs travaux respectifs. Et puis voilà, ça draine de la culture métal, des têtes de loups, des pentacles, du tatouage, des couteaux et des têtes de morts… Bien sur que ça me plait : je fais partie de Cobra.

© JB Hanak

 

Expo Rock’n’Roll’s Not Dead au Point FMR. Vernissage le 23.02 à 18h30.

JB Hanak

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