Fin février, David Ivar aka Black Yaya de Herman Düne jouait quelques morceaux et montrait 2-3 dessins à la librairie-galerie d’0fr. Il venait de sortir l’album le moins promu de l’année, Rattlesnake, en autoproduction. Un silence mystérieux qu’on a souhaité rompre, en toute cordialité : on était curieux de savoir ce qu’il avait à dire sur l’inhabituelle spontanéité du projet. Alors nous sommes allés lui poser quelques questions auxquelles, affable, David Ivar a répondu avec gentillesse. Et puis on a dérivé, comme de bien entendu. Art, religion, dessin, label, Los Angeles… nous nous sommes laissés embarquer avec plaisir dans la tête du Black Yaya de Herman Düne.
« Je sors en catimini et un peu sur un coup de tête mon sixième album solo intitulé Rattlesnake, sans attendre que mon label soit disponible. Il est pour l’instant en écoutegratuite, puis sera téléchargeable. Pas de promotion, pas de tournée. Mais je répondrai àtes questions avec plaisir. » Voilà comment l’artiste David Ivar aka Black Yaya de Herman Düne accepte ma demande d’interview.
Kiblind : Pourquoi cette démarche ?
David Ivar : Je me rends compte que j’aime de plus en plus bosser indépendamment du fait d’avoir unalbum à enregistrer ou à promouvoir. Pour Rattlesnake, l’histoire des gangsters Bonnie & Clyde m’a beaucoup inspiré. J’avais une quinzaine de chansons assez fortes que j’ai enregistrées dans ma chambre en quelques mois. J’avais envie de les assembler, de faire une pochette, de les mettre sur mon site et de voir ce que ça donnerait.
Kiblind : Quelle relation entretiens-tu avec le label City Slang ?
David Ivar : Je m’entends très bien avec les personnes qui y travaillent. Après, quand tu as beaucoup de succès, les labels te courent après et tu peux sortir 10 albums par an si tu veux. Ce n’est pas mon cas et les labels avec lesquels j’ai travaillé ont un fonctionnement assez lent. Je me suis souvent retrouvé en retard par rapport à ce que j’avais envie de faire. Pour Rattlesnake, je sentais que ça allait se passer de la même manière, même si le label a l’intention de le publier dans les mois à venir. Mais j’ai envie de passer à autre chose.
Kiblind : Est-ce que le succès rencontré avec Herman Dune a changé ta vie ?
David Ivar : C’est un modeste succès comparé à la plupart des musiciens professionnels. Ça n’a pas changé ma vie, dans la mesure où ça n’est pas arrivé par surprise, puisque c’est quelque chose que je voulais faire depuis toujours. Je suis professionnel depuis 2000, date de mon premier album. C’est vrai que je m’étonne et je suis reconnaissant, je me rends compte que j’ai eu la chance de faire ce que je voulais, même si c’était la seule option quej’avais en tête.
Mais je veux toujours bosser plus : j’adorerais être en train de préparer un immense studio avec un orchestre symphonique ou enregistrer aux Bahamas ! J’ai toujours un grand besoin de partir en tournée pendant des mois. J’aime bien jouer avec des gens, mais je ne cours pas après le concept de groupe, puisque j’ai été dans un groupe pendant longtemps. Et je sais ce que c’est de jouer avec un batteur. Donc j’apprécie plutôt le fait d’être tout seul. C’est agréable, mais ça peut être très épuisant. D’autant que je n’ai plus envie d’être un guerrier. Je l’ai fait pendant des années et il y a encore plein de musiciens de ma génération qui le font. Ils en tirent une certaine fierté, mais ne prennent plus aucun plaisir. Dans tous les cas, en tournée, mon corps tient le coup jusqu’au dernier concert et quand je rentre chez moi, je tombe malade immédiatement.
Kiblind : Qu’apprécies-tu le plus en tournée ?
David Ivar : J’aime rencontrer le public. C’est toujours surprenant. J’aime beaucoup jouer aux Etats-Unis, parce qu’il y a un rapport direct entre la musique que je fais et les gens ; ils ont entendu leur père chanter ce genre de trucs ou ils jouent dans ce genre de groupes. Ça place le niveau de dialogue ailleurs. Le fait que tu joues de la folk, de la country ou du blues, c’est la base commune. L’échange se fait dans les subtilités que tu apportes à un truc que tout le monde connaît déjà. En Europe, le fait de chanter juste avec une guitare, c’est encore assez original pour que les gens viennent te voir uniquement pour l’image du folk singer.
Kiblind : Depuis combien de temps dessines-tu ?
David Ivar : Depuis toujours. Souvent à l’encre de Chine, à l’aquarelle, au crayon ou à la gouache, très simplement, à la main. Quand je pense un album, j’ai envie de faire une pochette. Dans Herman Düne, j’étais le seul à dessiner. Au début, j’illustrais les pochettes sur des bouts de bois, des cartons. Je n’avais pas de scanner à l’époque, donc j’envoyais mes dessins au label par la Poste. Puis, au fur et à mesure, j’ai fait des expositions. J’adore voir mon travail imprimé, même en petites sculptures, en jouets ou sur des t-shirts. On a d’ailleurs sorti un livre pour enfants chez Gallimard avec ma compagne Marion Hanania, qui est illustratrice.
Kiblind : Les illustrations te viennent-elles aussi facilement qu’une chanson ?
David Ivar : De l’extérieur, les gens disent que je suis très productif. Je suis tenté de les croire, mais je ne trouve pas. Ecrire une chanson ou faire un dessin, ce n’est pas le même mécanisme. Il n’y a pas vraiment de but dans un dessin, tu te laisses aller complètement, alors que, pour une chanson, tu as envie d’avoir une mélodie originale, des paroles fortes. Ça prend plus detemps.
Kiblind : D’où vient le Bigfoot, ton personnage bleu fétiche ?
David Ivar : Quand on dessine à l’encre, on trouve vite son coup de pinceau. C’est en dessinant le Bigfoot que j’ai trouvé le mien. Je l’ai dessiné des millions de fois. J’adore la répétition, comme dans la bande dessinée. Plus le mec dessine un motif, plus cela devient beau. Mes deux auteurs préférés de BD sont Daniel Clowes et Gilbert Hernandez. J’adore aussi Joan Sfar. Et je viens d’acheter une BD de Riad Sattouf.
Kiblind : Prends-tu en compte les avis des autres ?
David Ivar : Je m’en fous. Surtout quand les critiques sont faites de clichés ou de préjugés. Je n’ai pas une confiance absolue en l’opinion des gens, c’est peut-être un défaut. La plupart du temps, j’ai l’impression que les gens ne savent pas ce qu’ils disent, ils peuvent parler d’une chanson avant même de l’avoir écoutée.
Kiblind : Quel est ton quotidien ?
David Ivar : Marion et moi aimons bien la routine, même si notre vie est tout l’inverse. En fait, depuis 10 ans, on a deux vies. On passe 6 mois de l’année dans une grande ville, à Paris, où l’on travaille du matin au soir et l’on a besoin de s’entourer de tableaux ; on va tout le temps dans des galeries, comme la Galerie Martel ou celle de Sempé , puis au musée d’Orsay. On adore aller nager tous les jours à la piscine Georges Hermant, vers Botzaris ou à Georges Vallerey, Porte des Lilas. Puis, on passe les 6 autres mois de l’année dans la nature, à Los Angeles, où la beauté de l’Océan Pacifique est presque indescriptible. Regarder les vagues, c’est une espèce de vérité absolue dont on a besoin. Là-bas,on vit dans une tout petit endroit et on est dehors tout le temps. On abandonne tous nos repères. Si on a notre Visa, on essaiera de rester en Californie quelques années.
Kiblind : Pourquoi la Californie ?
David Ivar : Pour construire notre propre histoire. Il y a beaucoup de gens qui partent dans l’Ouest dans ce but et je ressens vraiment ça. Repartir sur les bases de mes ancêtres, ça ne me dit rien. Se construire de rien, c’est autre chose. Et j’adore parler anglais.
Kiblind : C’est comment là-bas ?
David Ivar : La ville de Los Angeles est 10 fois moins dense que Paris, mais il faut prendre la voiture tout le temps, sauf à Marina Del Rey, Venice et Santa Monica, où tu peux tout faire à pied. C’est pro-végétariens et éco-friendly. Ils sont tellement en avance par rapport à ça : à Los Angeles ou à Portland, tu peux manger vegan partout. Les gens recyclent leurs épluchures, n’utilisent jamais de sac en plastique, font du bénévolat pour des associations le samedi et sont tristes lorsqu’un dauphin s’échoue à cause de la pollution.
Sauf que quand tu vois les chiffres qui disent que c’est le pays le plus polluant et le plus gros producteur de viande, c’est indéniable. C’est vraiment paradoxal et très intéressant. Je suis en train de lire un bouquin de Joan Didion, qui a écrit sur l’histoire de sa famille vivant en Californie depuis le 18 ème siècle. Elle dit que la Californie a toujours eu une fausse image d’ellemême. Les gens pensaient vivre l’aventure, partir à la conquête de la nature,mais ils ont toujours été aidés par le gouvernement fédéral. La Californie n’a jamais étécultivable, elle a été irriguée et a bénéficié de grands travaux. C’est à se demander si cette jeunesse qui vit dans le sacrifice pour l’environnement ne se fait pas avoir par le système. Il y a plein d’usines au bord de la Californie, et dès qu’il pleut, des fosses septiques débordent, il y a des fuites de gaz, et les gens évitent de se baigner dans l’Océan pendant 2 jours…
Kiblind : Quelle place prend la religion dans ta vie ?
David Ivar : On est toujours le religieux de quelqu’un et l’impie d’un autre. J’ai connu des gens extrêmement religieux et je ne me permettrai pas de dire que je le suis. J’aime mettre les téphillins tous les matins, mais je ne vais jamais à la synagogue pour le shabbat.
La spiritualité que je trouve dans le judaïsme, c’est mon inspiration. Pour moi, c’est primordial. Et ce n’est vraiment pas agréable de sentir qu’être juif en France est dangereux. Cela me brise le coeur. De me dire que je ne vais pas sortir avec une kippa dans la rue ou de penser que les petits gamins qui vont à l’école juive avec les papillottes peuvent être en danger, ça m’est totalement insupportable. Mais c’est une réalité de notre peuple depuistoujours, qui est infernale, injuste et qui n’a pas lieu d’être. En même temps, il y a eu de sconditions vraiment atroces dont on s’est toujours sorti, il ne faut pas dramatiser non plus. Néanmoins, pour le moment vu que dans l’histoire du peuple juif, on ne peut pas parler pour toujours quand tu sors avec un talit dans la rue aux États-Unis, tu n’as pas de souci. Là-bas, le samedi, les citoyens non juifs nous disent « Shabbat Shalom ». C’est tout ce que je peux dire.
Kiblind : Où trouves-tu la Beauté ?
David Ivar : J’ai toujours eu l’impression que ce que j’appelle la beauté, pour moi, c’est la vérité. Depuis que je suis enfant, je crois qu’il y a une vérité, et j’ai l’impression que, quand on trouve quelque chose beau, il y a une vraie vérité, qu’on touche. Je ne sais pas si c’est vrai.
Propos recueillis par Séphora Talmud
Rattlesnake disponible sur Itunes . Plus d’infos sur www.davidivar.com