Partenariat : Les Rencontres de l’illustration 2023

Jusqu’au 2 avril, Strasbourg a la chance de vivre au rythme des Rencontres de l’illustration. Réjouissance supplémentaire : la huitième édition de l’évènement orchestré par la Ville de Strasbourg a été construite autour de la thématique suivante : « Femmes, identités, visibilité ». On a demandé aux programmateur.rice.s de nous en dire plus.

Devenues aussi incontournables à Strasbourg que cette invention divine qu’on appelle plus communément « le bretzel », les Rencontres de l’Illustration rassemblent chaque année la crème des illustrateur.rice.s émergent.e.s et confirmé.e.s dans la ville alsacienne.

Pour cette huitième édition et dans le cadre du projet « Lire notre monde » de Strasbourg Capitale mondiale du livre 24 / label UNESCO, c’est sur la thématique « Femmes, identités, visibilité » que Les Rencontres de l’illustration et le festival associatif Central Vapeur (dont la programmation est totalement imbriquée dans les Rencontres) ont choisi de jeter leur dévolu. Une décision sacrément judicieuse lorsque l’on sait les difficultés que peuvent avoir à surmonter les femmes artistes, autrices et illustratrices dans un milieu déjà bien connu pour sa précarité.

Affiche par Dominique Goblet

Pour l’occasion, expositions, rencontres, spectacles, concerts, ateliers, batailles de dessins, dédicaces et salon des indépendants s’étaleront partout dans la ville jusqu’au 2 avril. On notera notamment parmi les joyeuses nouvelles une exposition dédiée à l’oeuvre de Catherine Meurisse au musée Tomi Ungerer, une exposition dédiée à la BD primée au festival d’Angoulême Le Grand Vide de Léa Murawiec à la médiathèque André Malraux, une exposition collaborative sur la bande dessinée du réel à la BNU, le parcours d’affiches « La légende des champs de feu » de Joseph Levacher, l’installation « demi pensionnaires » de Mona Granjon à l’atelier demi-douzaine..

Mais trêve d’énumération, on a demandé à ceux qui sauraient le mieux en parler de s’étendre sur la programmation et sur le choix de la thématique de cette année : Madeline Dupuy, chargée de la coordination des Rencontres de l’Illustration pour la Direction de la Culture de la Ville de Strasbourg, et Fabien Texier, directeur de Central Vapeur et coordinateur du festival du même nom.

Cette année, les Rencontres de l’illustration sont axées sur la thématique suivante : « Femmes, identités, visibilités ». De quel constat est né cette volonté ?

Madeline Dupuy : Cette volonté d’interroger la place des créatrices dans l’illustration et la bande dessinée a toujours été présente dans les échanges et les discussions entre les différents partenaires, ainsi que dans les précédentes éditions des Rencontres de l’Illustration, sans en être forcément encore le cœur. Cette question de l’égalité des genres est une question forte et transversale à toute notre société. Le milieu artistique en est le miroir, parfois grossissant. 

Par exemple, les illustratrices sont largement majoritaires dans les formations d’enseignement supérieur artistique dédiées aux arts visuels, alors que leur visibilité reste moindre, malgré les efforts de reconnaissance entrepris récemment. D’un autre côté, l’association strasbourgeoise Central Vapeur, soutenue par la Ville de Strasbourg et dont le Festival est intégré aux Rencontres de l’Illustration, a toujours été consciente de l’importance de la représentation dans ce milieu : bureau paritaire, recherche de l’égalité salariale, et tout récemment mise en place d’un congé menstruel pour les membres de son équipe.

Aussi, les crises successives – sanitaires, guerre, papier, retraites, viennent sans cesse perturber les fragiles équilibres gagnés. La précarité concerne tout le monde, mais on voit facilement que les créatrices sont les premières touchées : difficile reconnaissance du statut d’artiste-auteurs, difficulté des rapports avec les grands organismes, charge mentale, accès aux congés maternité, parental, décompte retraite, etc. C’est ce constat-là, fait par les créatrices elles-mêmes et qu’elles partagent avec nous, qui est au cœur de ce projet. Ce sont leurs expériences qui font vérité.

Cette huitième édition des Rencontres de l’illustration a donc pour ambition de rendre visible les créatrices, en tant qu’artistes professionnelles mais aussi plus largement en tant que femmes dans notre société. À la fois par une exploration plastique, par un engagement plus fondamental envers elles, à ce qu’elles portent et supportent en tant que femmes et en tant qu’artistes, dans une visée de rééquilibrage plus équitable de leur situation économique.

C’est une problématique forte, brûlante que la Ville de Strasbourg avait déjà traitée à l’été 2021, en « sortie » de crise Covid. Après discussion avec des illustratrices sur leurs situations dans un paysage culturel qui avait du mal à redémarrer, la Ville leur avait offert la possibilité d’une exposition de leurs œuvres à ciel ouvert, dans l’espace public, au plus près des habitant.es, afin de les soutenir, les rendre visibles et rappeler à toutes et tous le rôle fondamental des artistes dans une société en tension. Un projet qui sera reconduit à l’été 2024, dans le cadre de l’année de labélisation de Strasbourg en tant que Capitale mondiale du Livre par l’UNESCO. Au-delà des Rencontres de l’Illustration, cette labélisation se fera, nous l’espérons, levier du changement et chambre d’écho des revendications des créatrices et des créateurs.

Quel est le fil rouge qui vous a servi à façonner cette programmation ?  

Madeline Dupuy : Cette programmation s’est construite autour de deux figures fortes de l’illustration et de la bande-dessinée, Catherine Meurisse, pour une exposition au Musée Tomi Ungerer-Centre international de l’illustration et Dominique Goblet, sur proposition de l’association Central Vapeur. Celle-ci a d’ailleurs réalisé la retentissante affiche de l’édition 2023. Dominique Goblet revenait régulièrement dans nos discussions depuis plusieurs années et quand le projet d’exposition consacré à Catherine Meurisse est arrivé, nous nous sommes toutes et tous dit que ces deux visions de l’illustration et leurs engagements respectifs pouvaient générer un projet plutôt costaud. Plusieurs questionnements découlaient évidemment de la mise en résonnance de leurs deux univers. Celui de la visibilité des femmes dans ce milieu est certainement la plus prégnante, comme le rappelle le titre de l’expo de Catherine Meurisse, « Une place à soi ». Les questions de genre également. 

Cette idée de visibilité a également permis de réfléchir à comment mettre certain.es artistes de la marge au centre, pour reprendre le titre de l’essai de la militante et théoricienne du féminisme Bell Hooks : visibilité non seulement des illustratrices au sens large mais aussi des illustrateurices queer, racisé.es, etc. L’occasion pour Central Vapeur de proposer à Dominique Goblet de dialoguer en dessin avec l’artiste strasbourgeo-camerounaise Nygel Panasco.

Chaque partenaire a ensuite réfléchi à la manière de conjuguer leurs identités et problématiques propres à travers ce prisme : 

Expo « La BD du réel » à la BNU

Quelles sont les initiatives actuelles visant à valoriser la place de la femme dans le milieu de la BD ? 

Fabien Texier pour Central Vapeur : D’abord il y a beaucoup de femwashing comme l’a prouvé à nouveau l’obstination du FIBD à ignorer les critiques sur sa programmation. On voit apparaître des exigences de parité de la part de financeurs, voire des demandes de formation contre les violences sexistes de la part d’institutions qui sont loin d’avoir fait leur propre aggiornamento. Du côté des Rencontres, Central Vapeur et la Ville ont lourdement insisté pour que cette place soit faite aux femmes en tête de la programmation, ce sont des volontés qui se sont rejointes ici. Mais les meilleures initiatives, ce sont les luttes des illustratrices, autrices elles-mêmes en collectif ou en solo. Elles s’imposent de plus en plus, dans l’illustration et les écoles d’art et souvent les services culturels, où elles sont majoritaires, et dans la bande dessinée où elles sont de plus en plus présentes.

Selon vous, quelles sont les femmes pionnières qui ont réussi les premières à faire bouger les lignes à ce sujet? 

Madeline Dupuy : Rien n’est jamais acquis mais disons qu’il y a eu de grandes figures qui ont ouvert les voies/voix comme les pionnières Chantal Montellier ou Claire Brétécher, celles qui continuent de les ouvrir comme Anouk Ricard ou évidemment Dominique Goblet et Catherine Meurisse, première illustratrice/dessinatrice bd à entrer à l’Académie des beaux-arts. Quelques noms parmi tant d’autres. 

Bretécher a eu ce regard acerbe, cet humour au vitriol, porté sur les rapports de domination, sur les injonctions et les luttes que rencontraient les femmes : la libération sexuelle, la maternité, le travail, la famille, le rapport au corps, le féminisme même l’homoparentalité. Elle est également la première femme à recevoir le Grand prix du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 1982. Il faudra attendre 18 ans pour qu’une autre femme, Florence Cestac, le reçoive à nouveau. Et puis ce dessin, très drôle, où elle interroge « n’est-ce pas un lourd handicap d’être un homme dans la bande dessinée ? ». 

Fabien Texier pour Central Vapeur : Ça dépend comment on voit les choses, il y a des flux et reflux, des progrès puis un backlash et il faut de nouvelles pionnières. Si on s’en tient à une histoire relativement proche, Montellier, Bretécher, Cestac, Doucet, Satrapi, Bechdel, Mandel, Ricard, Goblet, Antico, Meurisse, Lust, Strömquist pour les plus connues.

Installation « demi pensionnaire » de Mona Granjon à l’atelier demi-douzaine

Quelles expositions consacrées aux femmes autrices et illustratrices nous recommandez-vous particulièrement ? 

Madeline Dupuy : Absolument toutes, évidemment ! Chaque proposition faite dans le cadre de cette programmation porte en elle cette question de fond. Libre aux visiteuses et visiteurs d’entrer dans notre thématique « Femmes, identités, visibilités » par l’angle qui l’interpelle le plus, entre dessin et bande dessinée, humour et gravité, patrimonial ou émergence, institutionnel ou alternatif/expérimental, exposition ou atelier, etc.

De nombreux ateliers sont également proposées. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Madeline Dupuy : L’expérience des images ne passent pas que par les yeux, mais par les mains également. Afin de rendre cette programmation vivante et rendre l’illustration et les revendications qui traversent cette huitième édition plus concrètes, de nombreux ateliers sont proposés dans les Médiathèques, les Musées et à Central vapeur. Cela s’ajoute aux visites, aux spectacles, aux contes, aux rencontres avec des auteurices et des éditeurices, au salon des indépendant.es C’est une autre manière de faire se rencontrer les artistes et les publics pendant cette manifestation. C’est plus palpable, et surtout, pour le jeune public, c’est drôlement plus rigolo.

Des ateliers à la manière de Barbara Martinez, Anne-Margot Ramstein ou Sophie Taeuber-Arp, pour s’immerger dans un univers artistique.

Des ateliers en présence des artistes elles-mêmes, Léontine Soulier, Daisy Gand, Agathe Demois ou Garance Coquart-Pocztar, afin de découvrir avec elles le geste qui crée et qui, à plus d’un titre, revendique.

Des ateliers aussi pour explorer la diversité des formes et mediums de l’illustration, notamment lors du salon de la microédition, porté par Central Vapeur : guirlande collective avec Liberty Azenstarck et Tanguy Chêne, découverte de la sérigraphie, création de fanzines avec le collectif L’envie (Elsa Klée et Lucile Ourvouai), tatoos éphémères avec les illustrateurices de l’association, etc.

Le milieu de la BD connait de nombreuses évolutions. Comment l’imaginez-vous à l’avenir ? 

Madeline Dupuy : Conscient.

Fabien Texier pour Central Vapeur : Rose avec du poil autour.

RENCONTRES DE L’ILLUSTRATION // PROGRAMMATION

Restez Connecté

Recevez nos dernières actus, nouveaux talents et musique

Fermer la recherche