Décryptage : Les clips animés du mois de mars

Chaque fin de mois, Kiblind donne la parole à l’artiste derrière l’artiste : l’illustrateur.rice chargé.e de retranscrire la musique en images. Retrouvez nos clips musicaux animés préférés de ce mois de mars, décryptés par ceux qui les ont fabriqués.

On ne vous l’apprendra pas : l’illustration est partout. Elle a envahi nos murs, nos comptes Instagram (bon, on y est peut-être pour quelque chose), nos objets, nos vêtements, nos pochettes de disques, notre page Youtube… Et c’est bien normal, il faut dire que c’est elle la meilleure toutes catégories pour faire joliment passer des messages et provoquer des émotions. Les artistes là dessous l’ont bien compris et l’ont utilisé au service d’un autre art capital : la musique.

Voici donc la sélection de nos clips animés et illustrés chouchous du mois de mars, décortiqués par leurs créateur.rice.s qui ont gentiment répondu à nos questions.

KLEIN – CHANSON DE LILI

« Chanson de Lili » est un morceau extrait de l’album éponyme de Klein sorti en 2020

ILLUSTRATION / ANIMATION : NEVIL BERNARD

Salut Nevil, comment en es-tu arrivé à l’illustration puis à l’animation ? 

Quand j’étais petit, j’adorais emprunter la caméra MiniDV familiale pour faire mes propres films et les monter sur iMovie. Je pense que c’est en arrivant aux Arts Décos de Paris que j’ai réellement découvert le cinéma d’animation et les possibilités folles que pouvaient offrir ce médium. Faisant de la musique, j’ai tout suite accroché sur l’aspect rythmique de l’association entre dessin et mouvement. J’aime beaucoup le côté introspectif et DIY de l’animation, et l’idée qu’on puisse quasiment tout contrôler dans le processus de création. 

Quelle était la demande de Klein pour ce clip ? 

Avec Klein, nous avions envie de faire un clip dans une ambiance désertique et étouffante, une sorte de mini-western avec des accents surréalistes. Le morceau étant instrumental, nous voulions représenter un décor et une atmosphère étrange plutôt qu’une narration classique avec un début, un milieu et une fin.  Sur ce clip, les films de René Laloux et Métal Hurlant étaient des références que nous avions en commun visuellement. 

Qu’est-ce que t’as inspiré le morceau lorsque tu l’as écouté pour la première fois ?

L’enregistrement très lo-fi et le son de guitare un peu désaccordé m’a tout de suite évoqué l’image d’une cassette audio qui aurait fondue à cause du soleil sur la banquette arrière d’une voiture. Je suis tombé également sur un article à propos d’une vague de chaleur dans le sud-ouest des États-Unis avec des images d’objets quotidiens liquéfiés à cause de la chaleur extrême. Le morceau étant assez répétitif et aérien, j’ai eu l’idée d’un personnage figé, victime d’une insolation, en train de fondre lentement dans le désert des Mojaves.  

Ce clip comporte deux parties bien distinctes, dont la première est un vrai film animé tout en dessins. Peux-tu nous décrire ses différentes étapes de construction ? 

Je commence en général par un synopsis puis un storyboard pour créer une structure à l’ensemble, mais j’aime bien laisser une petite place à l’improvisation… La première partie du clip est assez traditionnelle, avec des plans qui évoquent la chaleur et la déshydratation du personnage. J’avais envie de quelque chose de très simple, avec peu de mouvements de caméra pour qu’on se focalise sur le décor et la chaleur. Je ne suis jamais allé au désert des Mojaves, donc c’était très amusant d’essayer de l’imaginer avec sa flore et ses rochers. C’est un lieu très cinégénique qui a servi de décor dans d’innombrables films. La deuxième partie est plus abstraite : c’est un peu comme un rêve fiévreux. Je voulais que les motifs géométriques pulsent au rythme de la musique pour symboliser l’état hallucinatoire du personnage. 

Quelles sont les choses qui t’inspirent au quotidien ? 

Je prends beaucoup d’images et de vidéos avec mon téléphone en vrac et je m’en sers parfois comme référence. Je passe aussi beaucoup de temps à creuser dans les profondeurs de Youtube à la recherche de vidéos absurdes ou ASMR à envoyer à mes amis. En animation, j’adore les vieux cartoons comme les Tex Avery ou Looney Tunes qui débordent d’inventivité et de folie.

Tu travailles beaucoup pour des projets musicaux, pour quel artiste rêverais-tu de réaliser un clip et à quoi ressemblerait-il ?

Philippe Katerine ! En Dorothy dans une version un peu plus dérangée du Magicien d’Oz

L’IMPÉRATRICE – « HÉMATOME »

« Hématome » est un des morceaux de l’album Tako Tsubo de L’impératrice sorti chez Microqlima

ILLUSTRATION / ANIMATION : ROXANE LUMERET / JOCELYN CHARLES

Salut Roxane, Peux-tu nous décrire ton parcours et tes débuts dans l’illustration ? 

Après ma sortie de la HEAR de Strasbourg en 2011, j’ai commencé à publier des ouvrages dans l’édition jeunesse en tant qu’illustratrice chez Actes Sud. Puis j’ai rencontré mon éditrice Béatrice Vincent qui a publié mon premier album jeunesse en tant qu’auteure-illustratrice chez Albin Michel, suivi de quatre autres dans la collection « Trapèze ». Parallèlement, j’ai exposé des séries de dessins au Salon de Montrouge en 2012, et ensuite dans diverses expositions en marge de mes publications.

T’étais-tu déjà essayé à l’animation avant ce clip de l’impératrice ? 

Jamais. Ou du moins, un tout petit peu, lorsque quelques mois avant la production du clip, Ugo Bienvenu des studios Remembers m’a proposé de réaliser des gifs, c’est-à-dire des scènes pouvant exister en boucle, avec un peu d’animation. Pour cela j’ai imaginé trois illustrations indépendantes avec des personnages dedans. Mais je n’ai jamais animé moi-même.

Peux-tu nous raconter les différentes étapes techniques par lesquelles tu as du passer pour faire ce clip ? 

Ugo nous a mis en relation, Jocelyn Charles et moi pour imaginer de A à Z tout le clip car le groupe L’Impératrice nous a donné une totale liberté, une carte blanche. Ensuite, Jocelyn et moi avons écouté le morceau, réfléchi aux paroles, imaginé une histoire. Après l’écriture du scénario, Jocelyn – qui est dessinateur et animateur – a fait un tri parmi le déroulé pour recentrer à l’essentiel ce qu’il était vraiment possible de faire en animation, compte tenu de la durée de 3 minutes du clip. Ensuite, il a dessiné un animatique à partir duquel j’ai dessiné les layouts. Puis, j’ai peint les décors à la gouache et quelques personnages qui ont fait quelques apparitions.

Quelles libertés t’es-tu accordée sur ce projet ? 

Toutes ! J’ai essayé de trouver le juste équilibre entre ce qu’il était possible de faire durant le temps imparti, et ce dont j’avais vraiment envie. Le clip est au plus près de ce dont j’avais envie. Il a fallu trouver un rythme à la fois dynamique mais aussi qui laisse de la place à la réflexion et aux imprévus, pour réussir à peindre tous les décors, tout en veillant au chemin de fer du clip.
– Peux-tu nous dire ce que le clip raconte avec tes mots ? C’est l’histoire d’une guenon infirmière qui se trompe dans le dosage de son patient, lequel se métamorphose successivement en plusieurs créatures incontrôlables. Pendant tout le clip qui est construit comme un voyage, elle tente par tous les moyens de lui rendre son apparence initiale. C’est une sorte de métaphore du sens de la chanson qui raconte les faux-semblants et les ambiguités du monde virtuel et d’une histoire d’amour contrariée par les réseaux sociaux.

Comment le morceau de l’impératrice a t’il influencé ton travail graphique ? 

Les paroles de la chanson sont poétiques et larges, avec une portée universelle et intemporelle. Ce morceau a permis d’explorer mon univers graphique car j’ai pu être très libre, et donc chercher l’adéquation idéale entre mes dessins et la musique. D’une certaine façon, réaliser ce clip a influencé le développement de mes dessins en version animée et j’en suis ravie.  

TULIP – ESPÍRITO

« Esperito » est le second single du premier album de Tulip, Estrelas no chan.

ILLUSTRATION / ANIMATION : RAPAPAWN (ÓSCAR RAÑA & CYNTHIA ALFONZO)

Hello Óscar et Cynthia. Quelle était la demande du duo Tulip pour ce clip ? 

Depuis le début, ils étaient tout à fait ouverts à nos idées. Óscar (la moitié de notre studio d’animation Rapapawn) est également dans le groupe, donc disons que grâce à ça, nous avons pu avoir une liberté totale (et pas de contraintes de temps) pour réaliser ce projet. 

Comment avez-vous travaillé sur cette vidéo ? 

Nous sommes partis avec l’idée d’utiliser la structure de la chanson (un gros bloc qui se répète sans beaucoup d’altérations) pour développer deux versions du même exercice séquentiel, en utilisant différentes techniques. La première partie a été digitale, puis, la seconde a été dessinée à la main. Ces deux techniques entremêlées permet de provoquer, chez celui qui regarde, plusieurs sensations par rapport au contenu des paroles. 

Comment travaillez-vous à quatre mains en général ? 

On fait vraiment du moitié-moitié du début à la fin. On se distribue généralement les scènes et on anime ensuite chacun les séquences qu’on s’est attribués sans perdre de vue la ligne directrice commune à respecter. Mais de temps en temps, quand c’est nécessaire ou opportun, on participe aussi au travail de l’heure et on mélange nos styles respectifs. On est toujours à l’écoute de l’autre. 

Comment la musique et les paroles sont liées à l’animation ici ?

Les paroles du refrain donne cette idée de répétition : « siempre es divertido volver a empezar » peut se traduire par « c’est toujours amusant de recommencer à nouveau » et semble faire référence à la nature joyeuse de notre travail. Les abstractions et la relation entre la couleur et les formes sont des éléments clefs ici, car ils sont vraiment au service du rythme de la chanson.

Aviez-vous déjà travaillé sur des clips musicaux ?

Oui ! On a déjà réalisé des clips pour d’autres artistes dans l’ère pré-Covid, dont les groupes Holy Fuck et Dan Deacon.

Quel est votre projet d’animation rêvé avec Rapapawn ?

Notre rêve est très simple : travailler sur notre propre court-métrage d’animation avec du temps et un budget modeste pour l’accomplir.

KRISTEL – « MY MAN »

« My man » est un single extrait du mini-album de Kristel à paraitre le 28 mai, Take It Easy. Un deuxième clip des mêmes illustrateurs / animateurs sortira d’ailleurs ce même jour.

ILLUSTRATION / ANIMATION : GREGORY WAGENHEIM & JEAN CHAUVELOT

Hello Grégory et Jean, pouvez-vous commencer par nous dire quelle était la demande de l’artiste / du label pour ce clip de Kristel ? 

Gregory  : On avait plus ou moins carte blanche. La seule demande était d’être raccord avec une proposition d’artwork qui n’a finalement pas été retenue. Elle présentaient notamment un labyrinthe de traits roses et vert, une atmosphère cyber-quelquechose, qui nous a vaguement évoqué TRON.

Jean  : On est parti de ça pour créer l’environnement, les néons roses de l’intro, le hangar vert/turquoise, puis on a cherché à coller à ce que racontait la chanson. Sans que ce fût une exigence de la part de l’artiste, on s’est dit que ce serait dommage de ne pas parler d’amour.

Quelles ont été les différentes étapes de création et comment vous êtes vous répartis le travail à deux ? 

Jean  : Gregory, qui est designer graphique, est garant de la direction artistique tandis que moi, qui fait de la bande dessinée, m’occupe de la construction narrative et du storyboard. On a travaillé à deux pendant quelques jours pour dégager un scénario en écoutant la chanson en boucle, en se racontant l’un à l’autre les images qui nous viennent… C’est globalement à chaque fois comme ça que les projets s’écrivent, en gesticulant dans l’espace à nous hurler nos idées par dessus le morceau qui joue trop fort. Puis on a réparti comme suit  : Grégory découpe le morceau à l’écrit, renomme les temps forts que nous avons décidés ensemble, pendant que je dessine un storyboard qu’il transforme ensuite en animatique calé sur une timeline, qu’il ajuste afin que ça colle à la chanson en terme de rythme, de découpage à peaufiner, et de narration.

Gregory  : Ce work in progress était suffisant pour être partagé au label et au groupe. Le retour a tout de suite été positif, on a donc pu mettre le pied dedans. J’ai travaillé en solo pendant un bout de temps sur tous les éléments 3D, qui constituent l’essentiel des scènes. Puis au compositing, j’envoyais des bouts du clip à Jean au fur et à mesure de ma progression, il proposait des améliorations dans le découpage, les angles de vue, etc… notamment sur les passages qui n’étaient pas parfaitement précisés dans le storyboard initial. Jean est réintervenu pour dessiner les aspects « humains » de l’animation : la pilote du vaisseau, ses mains.

Jean : En terme de temps de travail effectif, il faut tout de même préciser que c’est 4 jours pour moi contre 40 pour Gregory. Je suis honoré d’être crédité en réalisation, mais Gregory a charbonné fois 40.

Quelles ont été vos inspirations pour réaliser ce clip ? 

Gregory : Je n’ai pas vraiment eu de référence à l’esprit lors de la création, mais j’ai beaucoup revisionné Porco Rosso et les scènes de voltige pour y trouver des « trucs et astuces », comment donner une impression de vitesse à 12 images par secondes… 

Jean : Porco Rosso, effectivement, pour les intentions de voltiges, mais on a surtout d’abord voulu nous inspirer d’une atmosphère de flipper, de salle d’arcade… Avec en tête la référence à l’artwork dont nous parlions plus tôt, qui nous avait fait pensé à quelque chose de cyberpunk. Ou plutôt Cyber tout court. Tron revenait souvent dans le brainstorming. En dessinant le storyboard j’avais plutôt du John Carpenter en tête à vrai dire, et je pensais aussi à La Mouche de Cronenberg. Mais ça ne doit pas vraiment transparaître dans le rendu du clip, puisqu’on a tranché pour une bille de flipper plutôt qu’un ovni télépod transmetteur.

Aviez-vous déjà bossé sur des clips auparavant, si oui, lesquels ? 

Gregory : Notre première collaboration s’est faite en 2014 sur Tea Tea Tea, un clip pour Chapelier Fou. Un projet vidéo en prise de vue réelle, avec le collectif Super5 que Jean avait fondé lorsqu’il était en école d’art. Je m’étais présenté avec des intentions de DA, Jean et Super5 se sont chargés de la réalisation & production. Puis un clip animé en 2017, «  Artifices  », toujours pour Chapelier Fou, où nous avions écrit un scénario ensemble, Jean avait dessiné un storyboard et proposé une mouture d’animatique à partir de quoi je m’étais occupé de la réalisation. La dernière en date, pour un groupe franco-brésilien (je ne sais pas s’il on peut en parler, restons vagues), il y a près de 2 ans maintenant, mais… le truc n’est toujours pas sorti, il semble pourtant y avoir une volonté de le faire, mais entre des galères de labels puis la pandémie qui fait hésiter parfois les artistes à sortir des disques qu’ils ne pourront pas « défendre » sur scène, ce clip est toujours dans les tiroirs.

Si vous ne deviez choisir qu’un film d’animation chacun comme références ultimes ? 

Gregory : Même s’il est un peu bancal et très inégal sur la longueur, je crois que Yellow Submarine me plaît toujours autant, par son inventivité, son foisonnement. Ce n’est pas pour rien que le petit vaisseau de « My Man » est jaune.

Jean : Le Roi et l’Oiseau, ou AKIRA. Il faudrait imaginer un film exactement entre les deux.

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