Comme toutes les deux semaines, on vous sert sur le plateau d’argent idoine, les quelques lectures qui nous ont émoustillés dernièrement. Voici, en ce pluvieux mois de juillet, de quoi vous remonter le moral.
Que voulez-vous, c’est l’été, on divague, on part à l’aventure. Les chemins balisés qui nous accompagnent tout au long de l’année sont aujourd’hui délaissés aux profits de sentiers plus exotiques. La période est à l’école buissonnière alors nous avons séché les librairies et sommes partis en randonnée, sur les terres non-battues de l’altérité. Et vous savez quoi ? Nous y avons trouver notre bonheur.
Voici donc 5 nouveaux ouvrages – dont une BD classique, tout de même – qui se démarquent de leurs collègues par leurs envies d’ailleurs, entre fanzines, imagier, revue et future adaptation cinématographique. En espérant que ça vous donne, à vous aussi, des envies de tangente.
Matière Grasse #5, revue collective
Il y a longtemps, fort longtemps, nous avions croisé sur un des étals du festival strasbourgeois Central Vapeur, un bout de l’équipe des toutes jeunes éditions Matière Grasse. De fil en aiguille, nous avions plongé dans l’univers de ces jeunes gens et nous nous étions délectés de leurs parutions au bon goût d’absurde et de travail bien fait. Aujourd’hui, les trois amis d’origine (Léa Djeziri, Amina Bouajila et Mathieu Zanellato) ont pris leur envol, qui à Marseille, qui dans le Tarn au milieu de machines d’imprimerie. Quelle fut donc notre surprise quand Mathieu annonça qu’il travaillait sur la prochaine mouture de leur revue Matière Grasse #5. Une bonne surprise, on vous l’assure puisque l’humour reste la pierre angulaire de cette nouvelle parution dédiée aux fake news et rythmée par un roman-photo dont seul Mathieu Zanellato a le secret. Les invités sont, comme toujours, triés sur le volet avec le retour de Léa Djéziri et les participations de Sophie Couderc (pour la 1ère et 4ème de couverture), Rémy Mattei, Camille Gobourg, Adèle Verlinden, Louis Lanne et Christelle Dialle. De chats géants jusqu’à Cher, les BD se font les apôtres du faux et les prophètes de la qualité. On en rajoutera une pour le travail d’impression magistrale en gravure sur bois réalisé par Mathieu Zanellato, toujours lui. Il y a même des paillettes sur la couverture.
Matière Grasse #5, revue collective, Matière Grasse Éditions, 30€
Oiseaux, Jochen Gerner
Le lien entre ornithologie et dessin ne date pas d’hier. Le fameux Audubon, naturaliste et peintre américain parti à la découverte biologique et graphique de la faune du nouveau monde, en est l’exemple le plus éclatant. Jochen Gerner prend sa suite, de loin, avec les obsessions esthétiques et narratives qui le taraudent : les limites de l’abstraction, les frontières du réel. À domicile, attablé sur son bureau, ou à son atelier, face à la fenêtre, il n’a eu qu’à observer les petits miracles visuels de la nature et à les retranscrire en quelques traits et couches de couleurs pour délivrer ce fascinant imagier. À partir du monde observable, il en scrute un autre, tout aussi réel, celui de l’imaginaire. Les oiseaux s’enchaînent, alternant l’existant et le créé, et une suite logique (narrative ?) se met en place dans un grand travail sur le motif et la couleur. Le sauvage, dit-on, est dans l’inattendu, l’impromptu, le surprenant. En le regardant de près, Jochen Gerner s’en trouve tout imprégné et en livre une ode, chaque page et chaque individu proposant son lot d’altérité. Ce livre, d’une beauté sans pareil, est bien plus qu’un exercice de style parfaitement maîtrisé. Il est aussi une leçon sur l’émerveillement, que celui-ci vienne ce qui se trouve dehors ou de ce que l’on peut trouver encore en nous.
Oiseaux de Jochen Gerner, postface d’Emmanuele Coccia, Éditions B42, 224 pages, 26€
Torrent, revue collective
Après une année 2020 en off, le collectif Lagon effectue son grand retour avec la sixième publication de sa revue au nom changeant. Après le monumental Marécages qui peine à tenir dans nos bibliothèques et qui – paraît-il – fut un enfer à stocker pour ses initiateurs, Torrent revient à une taille cordiale. Pour autant, la nouvelle mouture de la passionnante aventure Lagon ne lâche pas trop de lest concernant la ligne éditoriale (ou même la qualité de l’objet). On retrouve ici la crème de la bande dessinée expérimentale, de celle qui tente jour après jour de briser les vitres de la case traditionnelle. Les tentatives de libération sont de toutes natures, touchant chaque pilier de la bande dessinée. Qu’on soit sur des dérivations narratives, des choix esthétiques radicaux ou même des détours par les autres arts, chacun des 38 artistes trace de nouvelles pistes, qu’il s’agissent de raccourcis osés ou au contraire de grande marche vers le lointain. Entre Antoine Marchalot, Pierre Vanni, Quentin Chambry, Yuichi Yokoyama, Louka Butzbach, Hélène Jeudy et Flore Chemin (pour ne citer qu’eux et elles), les écarts sont certes géants. Pourtant tous se retrouvent comme une évidence dans cette étrange embarcation éditoriale naviguant encore et toujours sur les mers agitées de la narration séquentielle, pour y découvrir à chaque fois de nouveaux îlots étonnants, perturbants, magnifiques. De quoi enrichir la carte décidément méconnue des territoires du 9e art.
Torrents, revue collective, collectif Lagon, 304 pages, 35€
Zine Panique #3, revue collective
Et bien, en voilà un objet pas banal – mais n’est-ce pas là le principe du fanzine ? peut-être bien, sûrement même, mais quand même. Zine Panique en est à son 3ème numéro en un peu plus d’un an. Né par la bonne grâce de Yann Deplanque, ce court magazine concentre la crème des planches reçues ou dénichées par ce collectionneur de bandes dessinée alternatives du monde entier. Bien échaudés par la couverture de la grande Lale Westvind sur le numéro précédent, nous n’avons pas hésité à nous jeter sur ce numéro 3 qui porte en façade le très bizarre et mignon (et vice-versa) travail de Nathan Cowdry. Car voilà, si Yann Deplanque vit près de Compiègne, il n’hésite pas à traverser les mers et les océans pour trouver ce qui mérite selon lui d’être présenté au public français. Et on peut dire que le bougre a bon goût, ce dernier numéro nous faisant découvrir le subtil travail de l’argentin Pablo Vigo et l’explosif dessin du philadelphien Nate Garcia. On retrouvera également avec plaisir le plutôt français Antoine Marchalot (encore lui) et la libanaise Tracy Chahwan. C’est court, on vous l’avait dit, mais dense, tant la qualité de ce qui est proposé est haute et constante. C’est à suivre.
Zine Panique, fanzine collectif, 30 pages, 6€.
Château de sable, Frederik Peeters & Pierre Oscar Lévy
Une petite réédition pour la route. Il faut bien avouer que c’est assez rare qu’Hollywood s’intéresse à la bande dessinée indépendante et nous ne bouderons pas notre plaisir. M.Night Shyamalan a donc décidé de s’inspirer du magistral Château de sable pour son prochain film qui sortira le 21 juillet prochain dans les salles françaises. Tout bien réfléchi, est-ce vraiment étonnant ? Le réalisateur est friand de ce genre de huis clos fantastique, étouffant et dont la résolution ne résout rien. Alors, cette histoire de petite crique qui se renferme sur ses touristes, les faisant vieillir de manière exponentielle, semblait être faite pour lui. Mais, connaissant le loustic, capable du meilleur comme du pire, encore faut-il mieux se reporter sur l’œuvre originelle qui bénéficie d’une réédition bienvenue. On pourra ainsi se repaître de la mise en scène exigeante et du trait efficace de Fredérik Peeters, en même temps que goûter sans retouche à l’histoire en forme de coup de génie de Pierre Oscar Lévy qui signait alors, en 2010, son premier scénario. Et puis, c’est de saison.
Château de sable, de Frederik Peeters & Pierre Oscar Lévy, Éditions Atrabile, 104 pages, 18€.