Animation : Carte Blanche au Festival de Clermont-Ferrand (1/2)

Pourquoi diable de l’animation ? Pour plein de raisons en fait : 1.parce qu’on adore l’animation 2. parce que l’animation c’est un peu comme de l’illustration, mais en mouvement 3. parce qu’il y a tellement de pépites inconnues qu’on ne peut décemment pas garder ça pour nous.

Aujourd’hui est une journée d’exception. D’abord, parce que les bars et les restaurants ont – enfin – rouvert leur porte ; et aussi parce qu’on accueille pour cette carte blanche la plus grande manifestation cinéphile au monde dédiée au court-métrage : le Festival de Court-Métrage de Clermont-Ferrand. Aussi important qu’il est discret, parce que personne n’est au courant de cet état de fait, à moins d’être du métier ou de résider en Auvergne…
On a donc invité le Responsable de la Compétition Internationale, Tim Redford, à imaginer un programme en 2 parties, composé de 10 films d’Animation qui ont tous reçu au moins un Prix à Clermont.


❥ MUTO (MUET)
Blu
7’ / 2008 / Stop Motion et Animation 2D / Murs Murs / Italie
Mercurio Film

Topo : Une animation ambiguë et surréaliste peinte sur des murs publics à Baden et à Buenos Aires.

Blu est un graffeur et vidéaste italien. Comme il officie derrière un pseudonyme, on sait peu de choses sur lui, à part qu’il est né en 1980 à Bologne. Sa renommée commence à s’écrire au début des années 2000, sur les murs de sa ville natale et en banlieue. Son street art est très marqué par une forme d’activisme assumée et ses œuvres dépeignent systématiquement une critique de notre société consumériste. Délaissant ensuite la bombe pour l’acrylique et les rouleaux télescopiques, il s’attaque à des façades de plus en plus hautes avec des fresques monumentales. C’est à ce moment qu’il se fait remarquer par des galeristes et des collectionneurs privés, mais continue à exposer anonymement pour préserver sa couverture dans la rue. À partir de 2005 il change de décor pour découvrir d’autres friches, et on lui attribue aujourd’hui des centaines d’œuvres d’échelles variables aux quatre coins du globe, dont la plupart se trouve en Italie.
Sa notoriété va véritablement exploser lorsque sa peinture va rencontrer le cinéma. Certes, depuis le début il avait déjà la manie de poser quelques caméras pour réaliser des time laps, mais on était très loin du travail colossal qu’il abat en réalisant Muto en 2008. Des tonnes de dessins lâchés sur les murs de Buenos Aires et Baden, tracés plan par plan, puis effacés, puis redessinés, image par image jusqu’à donner l’illusion du mouvement. De l’animation pure. Ce qui méritait bien un Grand prix Labo au Festival de Clermont en 2009, comme dans beaucoup d’autre manifestations cinéphiles. Et à chaque fois on se régale de ce délice sans parole, de cette prouesse colossale accompagnée par la musique d’Andrea Martignoni.


❥ L’HOMME QUI PLANTAIT DES ARBRES
Frédéric Back
30’ / 1987 / Animation 2D / Horticulture / Canada
Société Radio-Canada

Topo : Un homme solitaire plante des arbres dans le sud de la France et finit par faire jaillir du sol une immense forêt.

Frédéric Back est né en 1924 à Sankt Arnual, un quartier de la ville allemande de Saarbrücken dans la Sarre (qui était à l’époque rattachée à la France, suite au Traité de Versailles) et s’est éteint en 2013 à Montréal. Entre temps, il nous a laissé un immense héritage artistique, auréolé par deux Oscars. Peintre, illustrateur, muraliste et réalisateur de films d’animation évidemment, son histoire avec les arts commence chez lui, avec un père musicien et une mère dessinatrice, dont les affinités héréditaires vont le guider jusqu’à la porte de l’école de dessin strasbourgeoise de la rue Madame, puis à l’École Estienne à Paris et enfin aux Beaux-Arts de Rennes, où il suivra les cours de Mathurin Méheut. Cette rencontre influencera durablement son parcours de peintre.
Quelques années plus tard, en 1948, il part s’installer à Montréal où il intègrera d’abord l’équipe de Radio-Canada comme illustrateur, créateur d’effets visuels, de décors et de maquettes, avant de rejoindre le studio d’animation créé par Hubert Tison. Entre 1968 et 1993, il y réalise dix courts-métrages qui vont révéler ses grands talents d’animateur aux yeux du monde, avec quatre nominations et deux consécrations pour l’Oscar du meilleur film d’animation : Crac ! en 1982, et L’Homme qui plantait des arbres en 1988. Ce dernier, qui fait partie de la sélection d’aujourd’hui, a reçu les plus hautes récompenses de par le monde, dont le duo Prix du Public et Prix Spécial du Jury à Clermont-Ferrand la même année, et ce avant les strasses de Los Angeles. Une quarantaine d’année plus tard, cette œuvre humaniste, écologiste et sensible est toujours – plus que jamais ? – d’actualité. Et puis quelle belle façon de conclure une histoire : « Un récit de Jean Giono, dit par Philippe Noiret » …


❥ JO JO IN THE STARS
Marc Craste
12′ / 2003 / Animation 2D et 3D / Les Ailes du Donjon / Royaume-Uni – Angleterre
Studio AKA

Topo : Amour, abnégation, héroïsme et jalousie meurtrière prennent place dans une tour effroyable.

Marc Craste est un réalisateur de films d’animation qui travaille à Londres au Studio AKA. Avant de fouler le sol britannique au début de l’an 1998, il a eu l’occasion de se faire la main dans plusieurs maisons spécialistes de l’art animé et surtout de la publicité, à Sydney et Copenhague. Depuis, il a imaginé et conçu pas mal de spots avec un bon taux de récompenses mémorables, par exemple pour Orange, Compaq, Lloyds Bank ou la Loterie Nationale avec le très apprécié Big Win. Ça, c’est pour le côté « alimentaire » dirons-nous. Parce que les « vrais » films d’animation que dirige Marc Craste, c’est encore un autre niveau. La preuve avec Jojo in the Stars, dont les étoiles justement firent tomber leur obscure clarté dans le ciel de l’année 2004. Corneille serait aux anges (le dramaturge hein, pas l’autre). Bilan : Meilleur Film d’Animation à Clermont, idem à la British Academy of Film and Television Arts (BAFTA), Grand Prix au festival d’Animation de Bradford, au SICAF de Séoul, à Aspen et Bristol !
L’origine de Jojo, c’est une chanson de Nick Cave & The Bad Seeds qui obnubilait Marc Craste : « The Carny » (immense album Your Funeral… My Trial). Il commença par travailler sur un story-board qui collait vraiment au texte, mais bien qu’il reçût les encouragements de Nick Cave himself, il ne parvint pas à aller au bout de son projet, par manque de fonds. Quelques années passèrent, et le Studio AKA commanda au réalisateur trois courts-métrages d’une minute dans lesquels se dévoile un étrange décor en noir et gris marqué par la Tour de « Madame Pica ». Puis le studio voulut un film plus long avec les mêmes personnages dans le même univers : ainsi naquit le sombre Jojo in the stars, fait de tout ce que Marc Craste avait refoulé de son projet avorté, avec une touche improbable d’Eraserhead et des Ailes du Désir. Si si.


❥ EVERYTHING (TOUT)
David O’Reilly
11’ / 2017 / Animation 2D / Geek / États-Unis – Irlande
Double Fine Productions, David O’Reilly

Topo : Chronique interactive de la vie, narrée par le grand philosophe britannique Alan Watts.

David O’Reilly est né en 1985 à Kilkenny, dans la province de Leinster au sud-est de l’Ireland. Artiste, scénariste, réalisateur et à présent installé sur la côte Ouest à Los Angeles, il s’est fait remarquer avec des films comme Please Say Something (2008), The Horses Raised by Spheres (2014), et bien sûr quelques épisodes de Adventure Time et de South Park. Il officie également sur le versant du jeu vidéo, dont Mountain (2014) représente le brillant coup d’essai.
Mais tout ça est finalement sans importance. Ou plutôt : tout ça n’a d’importance que celle qu’on lui accorde. Son échelle, sa distance, le point de vue, la relativité… Une illusion totale. Puisque tout est dans tout. Tout ça. Tout. Et nous sommes pile au milieu, pour bien voir. « Qui que vous soyez, quoi que vous soyez et ou que vous soyez, vous êtes au milieu – c’est le jeu. »
C’est bien d’un jeu qu’il s’agit pour David O’Reilly. Mais d’un jeu qui draine avec lui toute la complexité philosophique de la notion. Everything est une expérience interactive dans laquelle tout ce que vous voyez et une chose que vous pouvez être, des formes minérales, végétales ou animales de notre planète et au-delà des galaxies. De l’infiniment grand à l’infiniment petit. Une sorte de voyage dans l’univers, depuis le point de vue de n’importe lequel de ses fragments, à commencer par le jury du festival de Clermont qui lui offrit son Prix Spécial en 2018.
Et pour jouer vraiment, c’est ICI.


❥ AU BOUT DU MONDE
Konstantin Bronzit
7’ / 1998 / Animation 2D / Mal de Mer / France
Folimage

Topo : Les aventures d’une maison à l’équilibre fragile. Posée sur le pic d’une colline, elle balance alternativement de droite à gauche au grand dam de ses habitants.

Konstantin Bronzit est né en 1965 dans la Russie de l’URSS, à l’époque où Saint-Pétersbourg s’appelait Leningrad et avant que les Américains mettent le pied sur la Lune. Diplômé de l’Académie des Beaux-Arts Ilia Repin en 1983, il travailla d’abord comme artiste-animateur pour les studios d’animation Lennauchfilm, spécialisés dans les films éducatifs. C’est ici qu’il réalise son premier film, The Round-About (Karusel), en 1988. Il poursuit ses études, d’abord à l’École Supérieure d’Art et d’Industrie Moukhina, puis à Moscou où il suit le prestigieux Cours Supérieur de Scénario et de Réalisation de Fyodor Khitruk. Entre 1993 et 1999, il sera successivement embauché par le studio d’animation Pilot, pour lequel il réalisera plusieurs courts-métrages, et par le studio Pozitiv TV.
C’est durant cette période qu’il réalise Au bout du monde, avec le soutien français de Folimage, qui obtiendra plus de 70 récompenses dans les festivals internationaux, dont le Prix de La Presse, le Prix du Public et le Prix « Attention Talent » au Festival de Clermont-Ferrand 2000. Quelle morale faut-il voir dans ce court-métrage, aussi efficace qu’une fable de La Fontaine ? Qu’il faut trouver le bon point d’équilibre en toute chose, que la Guerre froide laisse des traces indélébiles, ou bien tout simplement que les vaches sont moins débiles qu’on le croit ? À méditer.


© Susa Monteiro

À propos du Festival de Clermont-Ferrand
Le Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand est aujourd’hui la plus importante manifestation cinématographique mondiale consacrée au court-métrage. Plus de 9000 films reçus chaque année, dont 160 happy few sont retenus pour participer aux trois compétitions Internationale, Nationale et Labo. Les chiffres sont colossaux : en une semaine de Festival plus de 500 séances sont projetées dans une quinzaine de salles de la ville, accueillant plus de 165 000 spectateurs locaux, nationaux, internationaux ; sans compter son grand Marché du Film Court, qui reçoit chaque année plus 3 600 pros, représentant plus 35 pays.
Porté depuis plus de 40 ans par l’association « Sauve qui peut le court-métrage », la mission qui a été donnée au Festival est la « défense et promotion du court métrage sous toutes ses formes ». C’est pourquoi il représente un marqueur annuel fort pour les amateurs et les initiés du genre, d’autant plus qu’il se déroule toujours fin janvier-début février et fait donc partie des premiers à se prononcer sur les toutes dernières créations cinématographiques en format court. Enfin on note au passage que depuis quelques éditions les organisateurs ont le bon goût d’inviter une illustratrice ou un illustrateur pour réaliser l’affiche du Festival. Et ça, on aime bien chez Kiblind.

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