[Interview] 20 ans d’Arts Factory

Il y a 20 ans, Effi Mild et Laurent Zorzin créèrent sans y prendre garde l’une des meilleures galeries française. Naturellement penchés en direction des arts graphiques, ils ne changèrent pas d’axe en deux décennies et les voilà à la tête d’un palmarès qui ferait frémir n’importe quel nouveau venu. À Arts Factory, ils ont accueilli tout le monde ou presque, de Killoffer à Willem, en passant par Charles Burns, Dupuy-Berberian, Blexbolex, Marion Fayolle et Roxane Lumeret. Fêtant, en ce dernier trimestre 2016, leur 20 belles années avec 3 expositions exceptionnelles, nous leur avons posé quelques questions qui peuvent se résumer en « qui, quoi, comment ».  

Kiblind : Est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu les origines de la galerie, ses motivations ?

Arts Factory (Laurent Zorzin) : Il y a eu 3 incarnations en fait depuis 1996. Une première près des Abbesses jusqu’en 2006. Puis on s’est transformé en galerie d’arts nomade : on a produit des expos à Paris, en région et un peu à l’étranger. Et depuis 2014, nous sommes installés rue de Charonne. Pour ce qui est des origines, c’est plutôt Effi qui va t’expliquer.

Arts Factory (Effi Mild) : J’ai ouvert la galerie suite à une expérience que j’ai faite avec un ami photographe. J’ai commencé à démarcher les galeries pour cet ami et ce fut assez désastreux. Les galeristes ne voulaient même pas voir son book ! Je me suis alors rendue compte que c’était très difficile pour un jeune artiste de rentrer dans le circuit des galeries. Je me suis alors jurée de ne jamais refuser de voir un book.

En sortant de cette expérience, je me suis dit qu’une opportunité était à saisir pour les jeunes artistes et l’idée d’ouvrir une galerie m’est venue. J’ai alors passé une petite annonce dans Nova Magazine « Jeune galerie cherche jeune artiste » ! En 1996, il n’y avait pas encore internet, et c’est comme ça que nous nous sommes constitués une première équipe d’artistes.

© Blexbolex

Kiblind : Comment vous est venu ce penchant pour les arts visuels, l’illustration, la BD ?

Arts Factory (Laurent Zorzin) : Bah c’est vrai qu’au début, c’était un peu fourre-tout avec des peintures, des photographies et même des meubles en carton. Ça ressemblait plus à un magasin qu’à une galerie. Et puis, parmi les premiers d’artistes que nous avons eu grâce à la fameuse petite annonce, il y avait 3 étudiants qui avaient un prof de sérigraphie qui se trouvait être Philippe UG. Il faisait partie de toute la scène undergraphic parisienne et il éditait déjà des livres en sérigraphie avec Thierry Guitard, Blexbolex, etc. Nous avons alors choisi de mettre en valeur les ouvrages qu’il éditait.

Il y avait aussi Guillaume Dégé et Daniel Vincent/Tom de Pékin qui avaient une petite maison d’édition qui s’appelait Les Éditions les 4 mers. Ils éditait déjà toute la scène d’illustrateurs et dessinateurs de l’époque avec KillofferJean Lecointre ou Sophie Dutertre.

Puis on a eu Le Dernier Cri qui a commencé à nous apporter ses livres.

Tout ça s’est fait par des relations de bons voisinages et du bouche-à-oreille en somme.

Au bout de 2 ans, on s’est dit que ce serait une bonne idée de faire des expositions des auteurs de ces livres car à cette époque il y avait peu de visibilité en galerie pour ces artistes.

C’est comme ça, au gré des rencontres, que nous nous sommes retrouvés un peu spécialiste de cette scène graphique.

Arts Factory (Effi Mild) : C’est quelque chose qui est venu assez naturellement en fait. Parce que, c’était sans doute aussi quelque chose qui nous touchait plus. Donc on s’est tourné vers le dessin, les dessinateurs de presse, bien avant que ça ne devienne à la mode. Ça n’a jamais été calculé, ça a toujours été très intuitif. C’était simplement le genre d’art qui nous intéressait le plus.

© Charles Burns

 

Kiblind : En 20 ans quel regard vous portez sur l’évolution artistique et sur la réception du public de cette scène illustrative que vous défendez encore aujourd’hui ?

 

Arts Factory (Laurent Zorzin) : La scène qu’on représente aujourd’hui, la scène illustrative ou graphique disons underground prend ses racines, en France, avec le groupe Bazooka, dans les années 70. Les première publications DIY de Bazooka vont influencer des artistes comme Pascal Doury ou Bruno Richard puis des gens comme Hervé di Rosa ou Placid et Muzo. Tout ça va nous amener au Dernier Cri de Pakito Bolino et Caroline Sury qui vont notamment publier Kerozen/Stéphane Prigent , lui même co-fondateur par la suite du collectif Frédéric Magazine. C’est une spécificité vraiment française cette scène très unie, là où la scène comics underground américaine pouvait venir aussi bien de Crumb que du Raw Magazine de Spiegelman et Mouly.

Ce qu’on a voulu avec la galerie c’est présenter tout un spectre de cette scène là, entre les grands anciens et les petits nouveaux. Ensuite, il y a eu plusieurs facteurs pour expliquer la démocratisation de ce dessin. Notamment, à la fin des années 90, on a vu des éditeurs comme Les Requins Marteaux ou L’Association apparaître dans les librairies classiques. Le succès d’un livre comme Persepolis a poussé les librairies traditionnelles à ouvrir des étalages à ces BD indépendantes. Ça a permis au public de se familiariser avec des productions graphiques un peu plus aventureuses.

Il y a également l’engouement du marché de l’art contemporain pour le dessin qui peut expliquer cette popularité. Les galeries new-yorkaises ont commencé à s’intéresser au dessin, avec des gens comme Raymond Pettibon qui est symptomatique du passage du DIY aux galeries d’art. En France, 2005 a vu pas mal de grandes expositions dans des galeries renommées type Agnès b., pas mal de publications chez des éditeurs d’art contemporain et aussi la création de salons spécialisés. Tout ça a contribué à une meilleure visibilité pour les dessinateurs.

Il se trouve que nous, étant déjà actifs depuis 1996 et déjà sur le créneau du dessin depuis début 2000, on avait dans notre équipe de bons artistes : ils avaient choisi le dessin comme mode d’expression depuis un moment. Quand des gens comme Killoffer ou Pierre La Police se trouvent sollicités par des galeries plus installées, ça légitime notre boulot et ça contribue à l’intérêt renouvelé des étudiants pour le dessin et la publication de fanzines.

Parallèlement à ça, il y a un renouveau des écoles d’illustration porté par les Arts Déco de Strasbourg et lié à l’arrivée de Guillaume Dégé. Il va alors reconnecter les étudiants avec l’idée qu’il ne faut pas attendre d’être sorti de l’école pour publier son travail. Ça va donner les promos Belles Illustrations, Nyctalope, etc.

© Jochen Gerner

Kiblind : Vous faites preuve d’un certain éclectisme dans le choix des artistes exposés. Comment se fait le choix, qu’est-ce qui vous touche ?

Arts Factory (Effi Mild) : C’est très difficile de répondre parce que c’est très intuitif. On s’attache pas mal au sujet, à l’univers de l’artiste. Il y a plein d’artistes qui dessinent très bien mais qui n’ont pas le regard ou l’univers qui correspond à notre approche.

Arts Factory (Laurent Zorzin) : C’est vrai qu’on s’attache beaucoup au décalage, à l’humour, aux sujets abordés. On ne s’attache pas aux prouesses techniques. Quelqu’un qui est très technique nous intéresse très peu s’il n’y a pas d’univers derrière. Au-delà de l’univers graphique, on s’intéresse aux intentions de l’artiste, là où il veut nous embarquer. On n’expose pas simplement des illustrateurs, on veut des artistes. Ce sont avant tout des gens qui se sont construits un monde. Nous voulons surtout que le public qui arrive chez nous, vive une vraie expérience d’exposition. C’est aussi ce qui nous différencie d’autres galeries qui ont suivi le mouvement des arts graphiques mais sans s’intéresser aux sujets.

© Jean Lecointre & Icinori

K : Et ce 20e anniversaire vous l’avez travaillé comment ?  

Arts Factory (Laurent Zorzin) : On a imaginé un cycle de trois expositions pour fêter notre anniversaire. C’est un cycle qui a démarré le 30 août dernier, avec une exposition qui revient justement à l’aspect papier. C’est très important pour nous parce que le point de départ de quasi toutes nos expos, c’est un objet de papier : un livre, un fanzine, etc. Des affiches, des flyers, des sérigraphies, des digigraphies et quelques objets éditoriaux avec notre collection À La Marge ou le zine Impossible

On a préféré se concentrer sur ce que nous on a pu sortir en papier et qui donne en fait une idée assez claire de qui on est et de ce qu’on a fait. On va retrouver des sérigraphies, des flyers… Ça va de Willem, Winshluss, Charles Burns en passant par Daniel Johnston ou encore Simon Roussin et Marion Fayolle. Bref, tout ceux qui ont fait de la galerie ce qu’elle est aujourd’hui. Avec évidemment un accrochage très dense comme on aime bien faire. C’est une manière aussi de raconter notre histoire à ceux qui ne nous connaissent que depuis la rue de Charonne, parce que le public s’est beaucoup renouvelé.

Ensuite, la grande expo de ce cycle des 20 ans, ça va être Pierre La Police autour de ses personnages fétiches des Praticiens de l’Infernal. Qui reviennent pour de nouvelles aventures. Là, c’est vraiment une immersion dans l’univers fou de Pierre La Police, plutôt orienté sur son travail d’auteur de bandes dessinées.

On finira tout ça avec un Winter Show, un grand classique de la galerie. Là, 20e anniversaire oblige, on s’est concentrés sur quatre figures emblématiques à savoir Nine Antico, Jean LecointreNathalie Choux et Véronique Dorey.

Ce cycle de 3 expositions est un mélange entre nouveautés pour les habitués et remise à niveau pour ceux qui ont découvert la galerie il n’y a pas longtemps.

© Pierre La Police

Exposition 20 ans d’exposition et d’édition jusqu’au 24.09

Exposition Pierre La Police du 12.10 au 19.11

Exposition Arts Factory Winter Show 23.11 au 22.12

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