Les Gens du Mag : Mia Oberlaender

Avec ses traits de crayon relevés, acérés et expressifs, Mia Oberlaender nous a tapé dans l’oeil. Dans son travail, l’illustratrice s’intéresse aux rapports sociaux contradictoires. Nul doute donc que le thème de notre dernier numéro, « Cash », allait grandement inspirer la jeune artiste d’Hambourg. On discute de sa création originale et de tout le reste avec elle.

C’est à Hambourg que la jeune illustratrice Mia Oberlaender donne vie à ses histoires et ses dessins. Lorsque l’on plonge dans l’univers de l’Allemande, il ne faut pas s’attendre à de doux paysages. En effet, Mia s’est construit un univers qui lui est propre avec, au centre, une figure de l’humain soulignée par des expressions mordantes et des gestuelles parfois saugrenues. Sans cesse inspirée par ses racines, ses souvenirs et ses voyages, Mia Oberlaender créer des illustrations jamais dénuées de sens. Toujours avec humour, l’artiste souligne des conflits internes et externes qui l’animent et la touchent dans un monde aux diktats et aux moeurs ultra présents. 

Conquis par le travail de l’illustratrice, nous lui avons demandé de créer une illustration sur la thématique « Ah si j’étais riche » pour notre dernier numéro « Cash ». En retour, nous avons reçu une création à l’image de ce à quoi l’illustratrice nous a habitué : des personnages à la beauté peu attrayante, aux expressions et aux traits marqués tenant des coupes de champagne lors d’un toast. Et c’est là que l’on veut savoir le pourquoi du comment, n’est-ce pas ? On s’est empressé de lui poser quelques questions.

« Ah si j’étais riche » – Création originale de Mia Oberlaender pour Kiblind « Cash« 

Salut Mia, tu as réalisé une illustration répondant à la thématique « Si j’étais riche » pour notre dernier numéro Kiblind « Cash ». Peux-tu nous expliquer pourquoi avoir choisi de dessiner des personnes à la beauté peu attrayante pour représenter ce thème ? 

Hmm je ne sais pas. Je me souviens m’être dit que la première chose qui me viendrait à l’esprit si j’étais riche, serait de boire beaucoup de champagne. Et puis, j’ai commencé à penser aux toasts et au fait que, étonnamment, les gens en profitent pour dire des choses grossières. Peut-être parce qu’ils ont du pouvoir et que personne ne peut leur tenir tête sans faire un scandale. Si j’étais riche, je pourrais le faire aussi (je ne pense pas que je le ferais, ou juste involontairement parce que j’ai tendance à beaucoup parler). Être riche pour certaines personnes, c’est un peu comme la permission d’être un connard. Ces gens sont généralement entourés d’autres connards. Il semblerait donc que ma première pensée quant à la perspective d’être riche serait le fait de m’entourer de personnes que je n’aime pas. Je ne sais pas ce que ça dit de moi. Peut-être que je viens du sud de l’Allemagne. Je viens de réaliser que cette pensée correspond vraiment à la mentalité là-bas…

Dans notre dernier numéro « Cash », nous avons consacré un article aux questions de rémunération des illustrateurs indépendants. Comment envisage t’on la rémunération lorsqu’on est illustrateur à Hamburg ? Y’a t’il – contrairement à la France – une grille de rémunération ? 

Pas vraiment. J’ai l’impression que les conditions en France, notamment pour les dessinateurs de BD, sont bien meilleures. Il y a plus d’appréciation pour cette forme d’art là-bas. J’ai vendu beaucoup plus d’exemplaires de mon roman graphique dans les pays francophones qu’en Allemagne, et pourtant, je ne parle même pas français. Dans l’illustration éditoriale, la rémunération est peut-être similaire, mais en France, je ressens plus de liberté artistique. En général, on m’a donné plus de rênes qu’à mes débuts. Peut-être que maintenant, je suis perçue comme une artiste et pas seulement comme une prestataire de services. Un.e de mes collègues – Nino Bulling – vient de fonder un syndicat pour les artistes de bande dessinée en Allemagne (avec quelques collègues artistes). Je suis très heureuse qu’il y ait des tentatives pour construire un meilleur réseau afin d’obtenir de meilleures conditions de travail – comme par exemple une grille de rémunération.

Tes personnages féminins ont souvent des traits de visage marqués. Est-ce un moyen de donner plus de personnalité à tes personnages ?

J’aime beaucoup les lignes. En regardant mon travail, il est facile de dire que ma logique de dessin est basée sur des lignes et des formes. Maintenant que vous le dites, je pense que cela leur donne vraiment plus de personnalité – mais je n’y ai pas vraiment pensé, c’était plus une chose intuitive.

« Anna », une bande dessinée de Mia Oberlaender

Peux-tu nous parler de ton livre Anna ? Comment t’es venue l’idée de prendre pour point de départ de ce récit la taille des femmes de ta famille ?

Le livre parle de trois femmes toutes nommées Anna (Anna 1, Anna 2, Anna 3). C’est une grand-mère, une mère et une fille. Anna 2 et Anna 3 sont excessivement grandes et tout le monde déteste ça. L’histoire est enracinée dans ma propre famille, mais ce n’est pas pour ça que j’étais intéressée par en faire toute une bande dessinée. Cependant, par ma propre expérience, j’ai appris que la perception de soi peut être complètement arbitraire. J’ai passé dix ans à penser que j’étais la femme la plus grande du monde, même si je ne mesure qu’1,75 m. Dans certaines régions du monde, je suis peut-être grande, mais à Angoulême par exemple, les journalistes ont été vraiment déçus en voyant ma taille réelle. La façon dont nous nous voyons peut se concentrer sur un détail qui nous sépare apparemment de la norme. Anna traite donc de ce sujet : comment vous pouvez transmettre ces pensées et les cultiver au fil des générations – surtout si elles sont alimentées par votre environnement. C’est une tentative de dépeindre un sentiment d’altérité. Et j’espère que c’est aussi une bande dessinée divertissante.

« Anna », une bande dessinée de Mia Oberlaender
« Anna », une bande dessinée de Mia Oberlaender

Quels auteur.rice.s, illustrateur.rice.s t’ont donné envie de faire de la bande dessinée et pourquoi ?

Anke Feuchtenberger est l’une des principales raisons pour lesquelles j’ai commencé à faire de la bande dessinée. Elle est professeure à Hambourg et je l’admire beaucoup. Aisha Franz me donne toujours envie de dessiner. Elle transmet tellement de plaisir dans la narration. Ses dessins sont super, et ses personnages sont toujours à la mode. Pour Mais il y a bien d’autres noms : Olivier Schrauwen, Joe Kessler, Brecht Evens, Anna Haifisch, Max Baitinger […] Mes derniers coups de cœur sont Léopold Prudon et Léa Murawièc.

Illustration pour « Mon lapin quotidien »

Tu fais partie de l’organisation du Comic Festival Hamburg. Peux-tu nous parler de ton rôle et du festival dans les grandes lignes ? 

Au cours des 3 dernières années, j’ai été l’une des principales organisatrices du festival. J’avais l’habitude de rédiger des demandes de financement, de travailler pour la coordination générale et je faisais également partie de l’équipe de curation. Cette année, j’ai démissionné et je me concentrerai uniquement sur la curation de la prochaine édition. La raison principale est que je veux vraiment finir mon prochain livre et qu’il n’y a aucun moyen de jongler avec les deux.

Illustration pour une édition Libération « Libé tout en BD »
pour l’édition 2022 du festival d’Angoulême

Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?

L’an dernier, j’ai réalisé une bande dessinée pour le magazine BD suisse Strapazin pour son numéro sur le droit de vote des femmes. Les Suisses n’ont le droit de vote que depuis 1972. En l’honneur de ce triste anniversaire, le numéro a été intitulé MUT TRÄNEN REBELLION (COURAGE LARMES REBELLION) et a été géré par une rédaction entièrement féminine. Ma contribution concerne une designer de mode suisse révolutionnaire, Ursula Rodel, et je suis totalement tombée amoureuse d’elle pendant que je dessinais son histoire. En plus, le magazine était vraiment cool et agrémentée d’une belle illustration de couverture de l’artiste français Nygel Panasco.

Bande-dessinée pour « MUT TRÄNEN REBELLION » dans le magazine suisse « Strapazin »
Bande-dessinée pour « MUT TRÄNEN REBELLION » dans le magazine suisse « Strapazin »

L’année dernière également, j’ai participé à un programme d’ateliers pour les jeunes artistes européens de la bande dessinée appelé « Invisible Lines ». Le projet consistait à faire trois voyages dans trois pays différents de l’Union Européenne. Le premier atelier a eu lieu en République tchèque et notre groupe de 12 artistes a traversé la frontière à la recherche du passé. Dans cette partie du pays, les frontières nationales se sont déplacées encore et toujours au fil des ans, ce qui est encore très visible. Notre pèlerinage a duré une semaine et après ça, nous avons passé une autre semaine dans un monastère à Broumov où nous avons travaillé sur une publication qui s’appelait 12 comic pilgrims. Le livre s’est avéré vraiment magnifique et combine différentes histoires sur cette partie de la République tchèque – parfois drôles, parfois tristes, parfois poétiques. J’en aime tous les styles de dessins sans exception, ce qui m’arrive rarement avec les anthologies et j’ai aussi pu me rendre compte de la passion que vouent les tchèques à l’édition de livres.

12 Comic Pilgrims – Mia Oberlaender
12 Comic Pilgrims – Mia Oberlaender

Le troisième projet était il n’y a pas si longtemps. En novembre dernier, à l’occasion de la parution d’Anna en français, j’ai été invitée à un festival de BD à Colomiers, près de Toulouse. L’exposition s’appelait « Toute première fois«  et comportait trois salles pour trois artistes (les deux autres artistes invités étaient André Derraine et Joseph Levacher). Chaque salle avait avec un début comique. Pour mon exposition, avec l’aide de scénographes, j’ai pu créer une sculpture basée sur le village alpin d’Anna. Nous avons créé une chaîne de montagnes et j’ai coulé de nombreuses petites maisons et des arbres en plâtre. Au milieu se tenait une très grande (par comparaison aux autres éléments de décor) Anna 2. La sculpture était entourée de dessins originaux du livre, mais je ne les avais accrochés qu’à une hauteur de 1,10 m, de sorte à ce que les visiteurs se déplacent à travers les grandes Anna pour les regarder. C’était amusant !

Exposition « Toute première fois » pour un festival de bande-dessinée à Colomiers
© Pauline Henric
Exposition « Toute première fois » pour un festival de bande-dessinée à Colomiers
© Pauline Henric
Exposition « Toute première fois » pour un festival de bande-dessinée à Colomiers
© Pauline Henric

MIA OBERLAENDER // KIBLIND CASH

Restez Connecté

Recevez nos dernières actus, nouveaux talents et musique

Fermer la recherche