Les Gens du Mag : Martin Duthey

En posant le pied sur les terres de Martin Duthey, vous posez le pied dans la légende. Celle des goules, des sorcières, des farfadets et des ornements en fer forgé. Vous pensez voir le topo, vous vous trompez. L’art de l’illustrateur est de rendre à la magie sa banalité, d’étaler toutes les cartes de l’impossible pour en faire un puzzle du dimanche après-midi. C’est précisément ce qu’il a fait dans notre dernier numéro « Minuscule ».

Martin Duthey – Tiny Garden, pour Kiblind « Minuscule »

Le dessinateur réside d’ailleurs dans ce monde bien à lui, celui de l’entre-deux, celui où le gobelin jardine, où la sorcière ne sait pas faire de maison de pain d’épice, où les arbres machiavéliques donnent des œufs de Pâques. Le mal y est une idée à débattre, quelque chose qui existe bien dans notre réalité mais devient plus floue dans le monde gothique et mignon de Martin Duthey.

Dans sa réalisation aussi, le travail du Haut-Savoyard joue de l’inqualifiable et du brassé. Rarement une et indivisible, son illustration relève plutôt de la juxtaposition et du dialogue. Empilant les éléments éparses, ses œuvres se présentent à nous multiples, tel un code à plusieurs clés dont le·a regardeur·se choisie bien celle qu’iel veut pour entrer dans cet univers singulier. Les formes de représentations se parent elles aussi de médiums différents, se faisant plans d’architecte, ornementations kitsch, personnages surannés, motifs géométriques ou disney-likes désenchantés. Pourtant, loin de l’embrouillamini, le dessin de Martin Duthey dévoile patiemment son message, didactique comme le conte d’antan et percutant comme une vérité d’aujourd’hui.

Martin Duthey – I want all the fun

Pour ta création originale du dernier numéro de Kiblind, tu as dessiné un gobelin en train de faire du jardinage. Est-ce que le dessin, comme le jardinage, est synonyme de patience et de douceur ou, plutôt comme le gobelin, peut-il être agent de provocation et de chaos ?

Je dirais que le dessin est un moyen de retrouver mon calme. J’aime représenter des situations ironiques qui tournent parfois mal, de petits contes cruels qui symbolisent en quelque sorte mes angoisses. Je suis assez superstitieux, donc je finis souvent par édulcorer la fin, mais il faut toujours qu’il y ait une pointe de malice, sinon ce n’est pas drôle.

Martin Duthey – Collection d’insectes

Ce qui frappe dans ta manière de créer des images, c’est la multitude des éléments qui les composent. Plus qu’une image du réel, on a l’impression d’avoir une sorte de carte ou de tapisserie, superposant les éléments pour créer le message. Quel effet souhaites-tu créer sur les spectateur·rices par cet agencement hétéroclite ?

Petit, je collectionnais des insectes, des pierres semi-précieuses et des cartes Pokémon (notamment celles de l’illustratrice Atsuko Nishida). En grandissant, j’ai conservé mon amour pour la recherche et le fait de m’entourer d’objets que j’aime. On peut comprendre beaucoup d’une personne en fonction de ce qu’iel choisit de collectionner, c’est pourquoi je représente ces ensembles d’artefacts dans mes illustrations : je fais des inventaires de situations. Quand j’illustre mes propres histoires, je ne le fais pas de manière littérale ; je présente une sélection d’objets qui participent à l’intrigue. Et c’est très amusant à faire ! J’insère des choses que je possède dans la vraie vie ou que j’ai trouvées dans des catalogues, des livres ou sur internet. C’est un petit jeu pour les spectateur·rices, comme un rébus ou une devinette, parce que certaines de mes illustrations ne sont pas accompagnées de textes (comme celles que j’ai faites pour ce nouveau numéro « Minuscule »).

Martin Duthey – WIP my cave

Dans ces nombreux éléments qui composent tes visuels, il en est un qui nous questionne particulièrement, c’est le principe du cadre, que l’on retrouve très régulièrement dans tes illustrations. À quoi sert-il ? Pourquoi est-il toujours là ? Et pourquoi le travailler avec autant d’ornement ?

Les cadres me rassurent : ils structurent et rendent des choses pas belles plus acceptables. J’aime l’idée de ranger et protéger mes illustrations. Mes personnages sont comme moi, iels ont peur de plein de choses. Je reprends souvent des détails de ferronnerie et de tombes que je photographie dans des cimetières, ou encore des ornementations de très mauvais goût en mode alarmy images. Ces cadres sont des mutants de marbre et de pixels !

Martin Duthey x Philippa Schmitt – Loulou la Malice

Évidemment, lorsqu’on regarde tes travaux, l’univers fantasy nous saute aux yeux. Qu’est-ce que la plongée dans cet univers te permet ? Qu’est-ce que la fantasy t’offre comme possibilités d’expression que le quotidien ne t’offre pas ?

Les sorcières, fantômes, châteaux hantés et bayous maléfiques m’ont toujours beaucoup plu. Paradoxalement, les épopées et grandes aventures ne m’intéressent pas trop. J’aime l’idée de représenter ces créatures dans leur quotidien : je veux savoir ce que ce gnome a acheté comme courses ou quel est son exercice de respiration préféré ! L’univers fantasy m’offre une dimension parallèle mais pas si éloignée de ma propre vie : mes personnages me ressemblent beaucoup.

En parlant d’univers fantasy, tu fais partie d’un collectif qui s’appelle Random_Kingdom. Est-ce que tu peux nous expliquer ce que c’est et quels sont ses objectifs ?

Random_Kingdom est une communauté de créateurs et créatrices (plasticien·nes, performeur·euses ou même sorcier·ères) que j’ai rejointe quand j’habitais à Berlin. Elle est basée sur le partage des connaissances et la co-création. Axée sur une esthétique Fantasy Core, nous abordons différents concepts comme l’écologie queer et nous créons des performances, des expositions et des LARP (jeux de rôle en live). Cette communauté m’a permis de rencontrer et de collaborer avec des artistes du monde entier. J’y ai principalement un rôle d’illustrateur, de graphiste et de conteur.

Martin Duthey – Pochette de la cassette éditée par Random Kingdom

Peux-tu nous parler de trois projets d’illustration dont tu es particulièrement fier ?

En décembre dernier, j’ai été invité par l’artiste plasticienne Yeju Lee à participer à son exposition Theory of Extinction and Peace à Séoul, dans la galerie Watermark. J’ai réalisé une illustration sur l’une des baies vitrées de la galerie, intitulée How my twisted Easter tree became a symbol of pure bliss. J’en suis particulièrement fier, car c’est le plus grand format que j’ai eu à faire jusqu’à présent. Il s’agit d’un sticker recto-verso permettant de voir le visuel aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. L’illustration représente un arbre machiavélique décoré de sept œufs de Pâques aux symboles cryptiques. Ils sembleraient détenir des secrets sur ce qui se passe après la mort et sur la mutation des espèces, mais je ne suis pas sûr de tout comprendre @_@

Martin Duthey – How my twisted easter tree became a symbol of pure bliss, pour l’exposition Theory of extinction and peace à la galerie Watermark

Un autre projet qui me tient à cœur a déjà été partiellement publié dans la revue Closet et va être édité par Woman Cave dans les mois à venir. Il s’agit d’une réinterprétation de conte intitulée Cancel et Gretel. Dans cette histoire, les deux protagonistes décident d’elleux-mêmes d’abandonner leurs parents après avoir entendu leur sinistre plan d’abandon. Iels choisissent alors d’aller à la rencontre de la sorcière et sont étonné·es de tomber sur une maison lambda, et non une maison faite de bonbons. Une collaboration et une amitié s’installent entre la sorcière et Cancel et Gretel : iels lui apprennent à cuisiner pour construire sa maison de pain d’épice de rêve, et elle leur enseigne la magie noire.

Martin Duthey – Cancel et Gretel (extrait)

Enfin, Le Ménage de Printemps au Bois Hanté est une petite histoire illustrée, éditée par D.D.D Collectif (Dizaine des Dessinateurices) pour Ouste! Jackie en est le·la protagoniste et, comme toutes les goules du Bois Hanté, iel appréhende la fin de l’hiver. Iel a en horreur les fleurs qui poussent et les oiseaux qui gazouillent, et chaque année, iel opère un grand ménage pour faire la peau au printemps.

Martin Duthey – Le Ménage du printemps du bois hanté

Kiblind Minuscule
Martin Duthey

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