Interview : Baptiste Virot

Voilà des années que Baptiste Virot a le pouvoir de faire simultanément vibrer nos coeurs et exploser nos rétines. Il était temps qu’on lui confie une couverture de magazine, et quoi de mieux pour celui qui dessine sans détours que l’illustration de notre numéro Cash ? On parle flouze, Hermes, BD et impro avec l’illustrateur de Bruxelles.

Ça fait 10 ans que Baptiste Virot illumine nos bibliothèques, depuis sa sortie des arts décoratifs de Strasbourg. Avec Animal Press, la maison d’édition créée par sa compagne Jinhee Han, il invente sans cesse des publications drôles, absurdes, acides, avec un ton, des couleurs et un trait absolument cash. Delirium, paru en 2017, en est en sous doute le plus bel exemple à ce jour. L’illustrateur, qui vit à Bruxelles, excelle dans l’expression « spontanée », la narration séquencée et le rebond satirique. Quand on a appris qu’en plus de faire des illustrations pour Bloomberg Business Week, il venait de sortir un carré Hermès, on s’est jeté sur l’occasion pour lui demander une couverture qui vaut de l’or et parler un peu pognon.

Couverture de Kiblind Cash par Baptiste Virot

Salut Baptiste. Un petit mot sur ton parcours ?

Alors, rapidement : né en 1987, un lycée art plastique et les Arts décoratifs de Strasbourg. Je suis sorti en 2012 de cette école, ça va faire 10 ans cette année… Trop bizarre. Bon, j’étais quand même content de partir et d’arrêter l’école. C’est pas quelque chose qui me manque, à vrai dire, j’étais même content de me casser. J’ai jamais trop aimé l’école en général… Même si avoir un cadre te pousse parfois dans tes retranchements, à un moment donné tu n’as plus envie d’avoir à répondre à des professeurs…

Et après vient le temps des commandes !

Oui mais là t’es ton seul maître. Il faut savoir refuser ce que t’aimes pas, savoir s’amuser tout le temps. Quand tu commences à te faire chier dans une commande, généralement le dessin s’en ressent et tout devient nul. J’essaie de rester dans un rapport de plaisir même dans les commandes. Et je réalise à chaque fois la chance que j’ai de pouvoir gagner de l’argent avec ça. T’es dans ton salon, dans ton canapé et tu reçois du boulot !

Tu fais beaucoup de dessins de presse ?

Effectivement… c’était pas une volonté particulière à la base mais oui, en particulier pour Bloomberg Business Week. C’est des sujets où parfois tu comprends rien, tu les relis trois fois, tu les mets dans Google Trad… C’est ça qui est intéressant avec Business Week : tu touches à plein de sujets, certes vus à travers le prisme de la finance, mais qui traitent malgré tout de thématiques sociétales de façon approfondie. C’est pour le monde du business mais ça reste intéressant. Et ils me laissent vachement libre dans la réalisation. Tu balances des croquis d’idée, ils en choisissent un et let’s go ! Tu dois le rendre le lendemain mais c’est aussi ça qui est excitant. J’ai une nuit pour bosser dessus, je suis dedans à fond. Et c’est genre une fois par mois pour eux, donc c’est cool !

Animal Press – ta maison d’édition avec ta compagne – te prend aussi pas mal de temps non ?

C’est surtout Jinhee qui gère ça, c’est elle l’éditrice, moi je fous pas grand-chose en vérité. J’essaie de me concentrer sur mes bouquins et j’ai toujours plein de trucs à faire, plein de projets en même temps, gérer des commandes qui traînent et mes bouquins en route. J’ai toujours plusieurs livres en même temps à faire, c’est aussi ça qui est stimulant. Là, on part dans deux mois à la New York Art Book Fair organisée par Printed Matter et il faut qu’on fasse deux livres d’ici là… J’ai toujours pas fini mes fichiers et mes couleurs et ensuite il faut qu’on imprime, tout en riso, en moins de quatre semaines… C’est tout le temps des courses contre la montre, à l’infini. Et c’est comme ça que les années passent !

Les tirages varient ?

Oui, selon les projets, ça peut aller de 200 exemplaires pour Stefanox à 2 500 exemplaires pour Delirium avec les retirages. Mais je travaille de la même manière dans tous les cas, ça n’influe pas sur mon travail, peu importe le tirage. Delirium a bien marché, par exemple, donc on a retiré. C’est assez simple.

Comment passe-t-on de l’édition au travail d’auteur ou à un boulot de commande comme Hermès ?

Étrangement, ma façon de faire les choses ne change pas. Et c’est intéressant parce que les gens d’Hermès ont découvert mon travail au salon Off Print. C’est là qu’ils ont vu Delirium sur lequel ils ont flashé. Du coup, j’ai fait un petit clin d’œil à Delirium dans le carré ! Et c’était génial de travailler avec eux parce que j’étais libre, complètement libre. Et les filles du bureau de dessin d’Hermès sont venues me chercher pour ma personnalité, mon style. Au début, j’étais un peu paniqué, je me suis dit : il faut que je fasse des bottes, des boucles, des selles, des chevaux… Et c’est elles qui m’ont dit, on retrouve pas du tout ton style, ton humour, ta dynamique. Fais ce que tu sais faire ! C’était quand même assez dur de trouver le propos sur ces dessins immenses, 90 cm × 90 cm… Alors que moi je dessine en tout petit. C’est barjo, c’est en édition limitée, tout fait en France à Lyon et il y a quelqu’un qui a redessiné entièrement tout mon dessin. C’était sa première chez Hermès, elle venait d’arriver et moi aussi, du coup, on a pas mal échangé. Elle a refait mon dessin pendant un mois et demi ! J’avais mis à peu près le même temps mais c’est très étrange comme sensation. Y a même des trucs qu’elle a mieux dessinés… Je fais tout à la main donc il y a des choses que je fais mal… Quand tu rends ton dessin, tu le rends colorisé et ensuite eux, ils font des variantes. Ils ont gardé mes couleurs sur un des carrés et ils ont proposé des variantes. On me voit dans un coin en train d’apporter mes dessins. Super belle expérience, en tout cas, des gens intéressés par le dessin, vraiment.

Carré Hermès par Baptiste Virot

Et les projets de livres alors ?

Je fais un livre de posters détachables pour New York, ça va faire 45 pages. Je me suis mis au marqueur pour l’occasion. Mais j’ai pas fini les fichiers. Il faut aussi que je finisse Niveau 0, ma première BD longue, 70 pages, format Tintin, toujours édité par Animal Press. Je voulais faire un format Tintin. Ça se passe à Ostende en Belgique. J’ai toutes les pages dans mon petit porte-vues plastifié, histoire de pas perdre tout ça. Un gaufrier de quatre bandes qu’on va essayer de faire en offset cartonné, la totale pour avoir des prix ! C’est une longue histoire autour d’un fait divers : la mer a disparu… C’est avec mon personnage de Mardi, Diana, et son pote Barnabé. Elle, elle joue à Fortnite et lui il débarque chez elle pour l’emmener à Ostende faire du surf. Mais quand ils arrivent là-bas, il n’y a plus de mer. Et ils vont essayer de savoir pourquoi cette mer arrive et disparaît à certains moments… Je sais pas si ça va être bien ! En plus j’ai déjà eu des aides pour ça et j’ai pas encore terminé… Mais j’improvise donc je maîtrise pas encore la suite et la fin de l’histoire.

Planche extraite de Niveau Zero

Tu improvises tout le temps ?

Oui, je ne bosse que comme ça. J’ai une trame dans la tête et ensuite je me laisse porter, rebondir… Il n’y a rien d’écrit donc je fais évoluer la narration au gré des mes idées. Ou parfois j’ai juste la fin… J’avais travaillé exceptionnellement en storyboard total pour les Sociorama chez Casterman, mais c’est pas du tout le même rendu. T’as pas la surprise et l’énergie que t’as dans l’impro. Je me surprends autant que le lecteur finalement et c’est ça que j’aime bien. J’ai parfois un peu peur que ça puisse s’essouffler et que ça parte gratuitement dans un simple enchaînement de gags absurdes… J’aime bien l’idée de tenter de conserver une ligne narrative qui peut servir de repères au lecteur et qui va, paradoxalement, renforcer les gags qui vont jalonner l’histoire. C’est un travail d’équilibre assez compliqué. Bon, j’espère que je vais y arriver. Il faut que je finisse de dessiner et de colorier… En plus ils m’ont déjà payé !

Peux-tu nous parler plus précisément des projets qui t’ont marqué ?

Delirium, premier gros livre qu’on a fait avec Animal Press. Je me suis forcé à faire une page par jour pendant l’été 2017. Je regardais des « Faites entrer l’accusé » en boucle, trois par jour, sur un iPod scotché sur ma table. Je me suis forcé à tenir le rythme. Je voulais que les gens, ils aient à bouffer pour leurs 35 euros.

J’ai un autre projet de livre qui est un recueil de toutes les histoires courtes que j’ai faites sur Instagram depuis l’année dernière. Il y a beaucoup plus de dialogues que dans Delirium, avec de la satire sociale. Ça va faire dans les 80 pages et s’appeler Cactus. Le tout imprimé en riso, j’espère pour Angoulême. En projet de commande, je dirais peut-être Hermès même si ce n’est pas vraiment de la commande… C’est tellement au long cours et on est tellement libres… Sinon Bloomberg avec les Américains. C’est assez marrant. T’envoie ton dessin et t’as pas de nouvelles et voilà c’est imprimé, amazing, envoie ta facture.

Un petit mot sur la couverture ?

J’aimais bien l’idée d’aborder le sujet avec un ton un peu SF, à la Métal Hurlant avec cette espèce de bonhomme tirelire. Le but, c’était d’essayer de parler d’argent sans que ça soit trop lourd. Pas trop illustratif mais un peu quand même !

Et si t’étais riche, tiens ?

J’arrêterai de dessiner ! Non, c’est pas vrai… Peut-être juste que j’arrêterais de me soucier des loyers, de ce genre de conneries. Rien de particulier en fait… Mais quand t’es en vacances en Grèce, ça fait rêver, une petite baraque au bord de la mer où te mettre quatre mois par an tout nu à peindre des gros tableaux, des belles croûtes, sans te faire de souci… Juste un ordi qui t’envoie des mails de gens qui te demandent des dessins. Non, mais sinon juste être tranquille et organiser son temps comme on veut.

BAPTISTE VIROT // KIBLIND CASH #81

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