Alexis Jamet nous ravi les mirettes depuis déjà quelques temps. Alors, pour la couverture de notre nouveau magazine Sugar Sugar, on s’est lancé en lui demandant une couverture acidulée à souhait. À savourer donc : un distributeur de bonbecs et une interview. Un rainbow pic à la bouche.
Alexis Jamet a d’abord goûté au graphisme à travers sa passion pour le skate : habillage vidéo, magazine, dessin de boards, identité de magasin, tout est alors sujet à expérimentation et à l’expression d’une singularité déjà bien affirmée. Né à Tours il y a trente ans, le jeune graphiste s’est fait lui-même une idée du métier qu’il a développé au gré de ses nombreuses expériences. Formé très jeune par une école de peinture en lettres, qui peut expliquer sa passion pour les trames et les textures, il a su approfondir son savoir-faire lors de ses voyages et de diverses expériences au sein de studios américains, anglais ou barcelonais. Ce sont sans doute ce savoir-faire, cette histoire, ces rencontres, qui lui permettent aujourd’hui d’aborder la sphère artistique avec humilité, dans un univers qui lui appartient, avec une esthétique minimale visuellement chargée en émotions.
Le skate a-t-il été important pour ta pratique artistique ?
Gamin au tout début oui, j’ai commencé le skate assez tôt, vers 11-12 ans. Mon père faisait de la peinture mais je voyais son travail comme quelque chose de cocasse et amusant. Il est musicien de profession et faisait des peintures de son groupe de gospel avec ma mère qui y apparaissait comme chanteuse. Il peignait aussi des paysages maritimes et tropicaux avec nos noms sur les bateaux. Il est à la retraite maintenant, j’essaie de le remettre à la peinture. Les premières images auxquelles j’ai donc été confronté et qui m’ont marqué étaient sans doute des images imprimées sur des planches ou des animations dans des vidéos de skate ou encore dans certains magazines. La première chose à laquelle je me suis essayé, c’était mon skyblog je pense. Pour le « graphisme », si on peut appeler ça comme ça, qui comprenait une bannière et quelques images, je me servais d’une alternative à Paint je crois. On faisait aussi des vidéos de skate avec mes potes et je me chargeais de faire des petits titrages animés. Il y a cette petite similitude avec ce que je fais aujourd’hui car j’y ajoutais déjà une petite vibration dans le mouvement, inconsciemment. J’ai un peu du mal avec le fait d’avoir un simple calque qui glisse sur une image dans une animation. Après mes études – aussi courtes aient-elles été… –, j’ai fait un stage chez une marque de surf/skate sur la côte basque et je me suis retrouvé à faire des patterns pour eux, c’était marrant. Et puis j’ai rencontré là-bas un mec qui bossait dans le skateshop d’en face. On s’est bien entendu et on a monté un shop à Tours, dans ma ville natale. Puis un autre à Nantes. En parallèle de ça, mon pote Quentin Chambry faisait un fanzine qui s’appelait Black Out à Rennes. Il m’a donné envie de faire de même sur ma scène locale. J’ai donc créé cette petite revue Dusty avec mon copain Jo. Je faisais la mise en page, les articles et interviews et je réalisais les titrages, principalement à la main. En gros un peu tout, sauf les photos où les gens contribuaient. C’était très chargé, avec beaucoup de textures scannées et de dessins, et une très mauvaise gestion du texte.
Et ta formation ?
Assez tôt, je voulais faire quelque chose dans l’image mais je n’étais pas très bon à l’école. À 15 ans, j’ai donc dû prendre une décision tout en étant un peu paumé car on me déconseillait la filière générale. Puis j’ai trouvé cette formation de peintre en lettres dans ma région. Ils nous faisaient faire de grandes enseignes en peinture, mixant du lettrage et de l’illustration. C’était juste avant que le métier s’éteigne au profit de la découpe. D’ailleurs l’année qui a suivi celle où j’ai eu mon diplôme, l’école arrêtait cette formation. Travailler sur ce genre de format m’a un peu manqué par la suite. Heureusement, j’ai depuis peu un atelier plus spacieux à Montreuil et j’essaie de revenir justement vers des formats plus généreux, comme il y a 15 ans. Bref, suite à ça, j’ai fait un bac pro et un BTS que je n’ai pas fini car j’ai été déçu de cette formation. En parallèle, les responsables de mon stage m’ont confié mes premiers projets en freelance, ce qui m’a permis de faire des économies et d’investir un petit peu d’argent dans ce projet de boutiques.
Après comme je n’ai pas fait de formation en école supérieure, j’ai un peu appris à penser et exécuter mon travail par moi-même mais aussi grâce à mes potes qui, eux, avaient eu l’opportunité d’aller dans de bonnes écoles et m’ont fait découvrir pas mal d’ouvrages d’artistes ou de graphistes. Techniquement, j’ai toujours été un peu curieux de tester des choses digitales et manuelles dans mon coin.
Tu as beaucoup voyagé ?
En 2015, après avoir ouvert un shop à Nantes, on a défini ensemble que j’allais m’occuper de la communication des shops. Ça ne me prenait pas trop de temps, ce qui me permettait de développer ma pratique en même temps. Les vêtements et les planches qu’on a faits ensemble ont commencé à être repostés sur Internet et suite à ça, une compagnie américaine m’a contacté pour venir bosser pour eux à Los Angeles. C’était vraiment absurde comme expérience. J’avais 24 ans et je me suis retrouvé « creative director » d’une marque de vêtements alors que je faisais juste des illustrations sur des planches quelques semaines auparavant… Je me suis retrouvé à gérer une petite équipe de designers, le tout avec un anglais assez limité. Mais bizarrement, ça s’est super bien passé. Aujourd’hui, ils continuent d’utiliser l’identité visuelle que j’ai mise en place et font des rééditions d’anciens prints. Après cette expérience, je suis rentré en France en ayant envie de bouger. J’ai donc envoyé des mails à des studios à Barcelone et il y en a un qui m’a proposé de venir chez lui. Je suis resté un an là-bas. Barcelone, c’était cool mais un peu trop mouvementé, trop intense, et je me suis rendu compte que j’étais pas non plus super fan de la culture espagnole. J’ai alors trouvé une agence en Angleterre, Lyon&Lyon, plutôt spécialisée en identité. J’y suis resté un an aussi. C’était une superbe expérience, enrichissante et surtout assez variée. Ensuite, je suis rentré en France et je me suis installé à Paris pour essayer de travailler en tant qu’indépendant et entre autres pour rejoindre Manon [Cezaro].
Justement, tu travailles beaucoup en duo avec Manon… Tu apprécies de bosser en équipe ?
J’aime bien bosser à plusieurs quand le contexte s’y prête. Mais oui, Manon est sans doute la personne avec qui je collabore le plus. On a commencé à travailler ensemble sur un petit livre qui s’appelle Baie Vitrine quand j’étais encore en Angleterre. C’était une petite correspondance qui consistait à s’envoyer des dessins de fenêtres, et qui a fini en une petite publication. À la même période, j’ai commencé à collaborer avec Matías Enaut, un artiste musical qui est devenu un bon pote quand je suis arrivé à Paris. J’ai fait un premier clip pour lui depuis l’Angleterre et ensuite on a pu développer plusieurs autres projets ensemble. Il a par exemple écrit de courts textes pour mon dernier livre qui s’appelle Le Bruit des pétales, édité par FP&CF. Il m’arrive de bosser avec des animateurs aussi. J’ai appris tout seul à faire des animations simples, mais pour des projets plus conséquents, j’ai parfois besoin d’aide extérieure. Pour le dernier film pour Hermès par exemple, c’était chouette de pouvoir compter sur Armand Beraud et Tom Noordanus. J’ai donc pu me concentrer sur le storyboard et les dessins et simplement déléguer la partie animation.
Que peux-tu dire de ton esthétique ? De ta technique ?
J’aime bien rester sur une esthétique simple, et exploiter au mieux ce potentiel sans trop en rajouter. J’ai jamais essayé de trop compliquer les choses, déjà parce que je pense que je n’y arriverais pas, mais aussi parce que je suis plus sensible à ces formes simples pour faire passer un message. Pas mal de gens me demandent comment je travaille, comment j’ai réalisé telle ou telle image. On ne me demande pas d’explications de contexte ou de commande, plutôt une méthodologie détaillée sur la construction d’une image. Le fameux « comment c’est fait »…
J’en profite pour te demander comment tu as travaillé sur notre couverture…
Je voulais simplement suggérer l’idée du distributeur à bonbons sans le rendre trop figuratif. On pourrait même juste y voir des boules de chewing-gum, ou juste des boules tout court… J’aime surtout l’idée que le magazine lui-même est le distributeur de quelque chose, d’illustrations, de textes, d’interviews, de contenu en général. Pour les couleurs c’était plutôt rapide et instinctif. Avant de dessiner, je prépare des planches avec du contenu assez varié autour de la thématique et je me suis sans doute imprégné de cette ambiance générale qui incluait des images de packaging de bonbons. Le rouge revient aussi souvent dans mon travail.
Même si l’exercice est un peu compliqué, peux-tu nous partager quelques projets qui t’ont marqué ?
Le projet du flip book avec les éditions Cacahuète a une importance particulière pour moi. C’était la première fois que je développais vraiment cette technique de trames animées. Mais je le mentionne toujours beaucoup… Si on part sur un autre projet éditorial, je dirais justement Le Bruit des pétales qui vient de paraître chez FP&CF. C’est un bon exemple de collaboration avec Jad Hussein au design graphique et à la mise en page et Matías Enaut pour les textes.
Je bosse aussi en ce moment sur l’identité du Magma, un nouveau festival de musiques électroniques qui aura lieu en septembre si les conditions le permettent. J’ai pu travailler un peu différemment de ce qu’on peut me demander d’habitude car l’équipe est très ouverte et me fait relativement confiance.
Pour citer un projet plus commercial, je dirai la murale que j’ai réalisée pour Nike à Portland. Une agence à New York, dont une ancienne connaissance de l’école travaillait là-bas, m’a contacté et m’a proposé d’habiller un étage du siège de Nike, en hommage à John McEnroe. C’était super intéressant de travailler sur ce personnage agressif, ce gringalet qui sortait du cliché du sportif. L’idée, c’était que l’étage lui ressemble, donc j’avais essayé de représenter cette énergie, ce caractère à travers mes illustrations. Ça a été imprimé en mai-juin 2020 et je n’ai malheureusement pas pu y aller vu le contexte.
Pour finir, je suis assez content des collaborations avec le New York Times, surtout la commande pour une chronique de livres sur le sujet du changement climatique.
Et quelques projets à venir ?
On part en résidence avec Manon une semaine chez Anaïck Moriceau pour faire des sérigraphies, et nous donnerons une conférence aux Beaux-Arts de Saint-Brieuc pendant cette même semaine. Je bosse aussi pour un label japonais, Childhood Records, que j’aime beaucoup, pour l’artiste Too Smooth Christ. Et je travaille aussi sur une petite campagne pour le Mucem, à Marseille, avec le studio Spassky Fisher.