Avec la collection « 25 images », les éditions Martin de Halleux rendent hommage au roman graphique sans parole du pionnier Frans Masereel. Deuxième tome sorti, le Marguerite de Joe Pinelli est un petit bijou.
Au commencement était Frans Masereel, graveur belge, lunetteux et élégant, qui inventa en l’an 1918 le roman graphique sans parole dans son 25 images de la passion d’un homme. Avec pour seul outil narratif des images se succédant, il allait offrir une nouvelle façon de lire un livre et de regarder une image, l’inverse restant tout aussi vrai. En 2020, l’éditeur parisien Martin de Halleux, du genre fanatique de Masereel dont il réédita glorieusement les œuvres, remet le couvert sur une table toute neuve et propose à des maîtres actuels de la bande dessinée de suivre les préceptes du glorieux conteur silencieux. La collection se nomme « 25 images », parce qu’il n’y en aura pas une de plus, de même qu’il n’y aura pas de couleur ni de texte. Elle s’est ouverte par le sublime La Forêt de Thomas Ott. L’opus suivant ne l’est pas moins, car Joe G. Pinelli n’est pas le plus malhabile à ce petit jeu et son Marguerite nous a laissés sans voix.
Faisons de nouveau osciller la flèche du temps et retrouvons-nous à présent en 1934, le 12 février plus précisément. Six jours après la démonstration de force de l’extrême-droite française, la gauche unie défile pour scander son rejet du fascisme. Au milieu d’un Paris bouillant et d’une époque qui l’est tout autant, Joe Pinelli nous raconte le parcours d’un peintre et d’une fleuriste, le premier dessinant de loin la seconde qui prend un malin plaisir à le balader dans les rues parisiennes, alors brûlantes. Cette romance en devenir est le fil rouge de ces 25 images admirablement fignolées par Joe Pinelli.
Mais l’espace et le temps qui l’englobent sont au moins aussi centraux que la figure des deux héros qu’il faut parfois chercher longuement parmi le tumulte de ce 12 février. L’auteur belge, figure de la BD alternative et noire, ayant collaboré avec les grands causeurs que sont Jean-Bernard Pouy, Patrick Raynal et Marc Behm, parvient ici à mettre un monde en 25 images. Le Paris des années 1930, ses angoisses, ses espoirs, ses craintes, son architecture, ses habitudes, la séduction, la candeur, la violence, tout est inclus dans ces grandes compositions à l’élégance raffinée. Oui, 25 images font un roman et Joe Pinelli le prouve encore en 2020.
Marguerite, de Joe Pinelli aux Éditions Martin de Halleux, 22 €, 32 pages