Une interview de Kaaris n’est certes pas chose rare en ce moment, mais l’homme est tellement hors du commun qu’il méritait amplement qu’on se penche à notre tour sur son cas. Nous avons donc profité de son passage au Transbordeur à Lyon, orchestré par L’Original, pour lui poser quelques questions.
Montage vidéo réalisé à partir de vidéos de fans postées sur Youtube.
Interviewer Kaaris ne pouvait pas se passer comm prévu. Cette aventure, puisque c’en est une, a tout d’abord débuté par une longue flânerie dans les rues de Saint-Clair, quartier de Caluire qui jouxte le Transbordeur. De bars en pizzerias, nous errâmes 4 heures à la découverte de ce coin méconnu et charmant de la métropole lyonnaise. Voyant notre rendez-vous repoussé d’heure en heure, nous prîmes le parti de jouir de l’instant présent. Ce que nous fîmes jusqu’au concert de Kaaris au Transbordeur. Concert fou, soit dit en passant. Après être passé par les loges combles, remplies par un Kaaris affable prenant photo sur photo avec ses fans, nous sommes ensuite conviés à le rejoindre à son hôtel, 7h après l’horaire convenu. Nous ne le regretterons pas, bénéficiant d’une demi-heure d’interview avec un Kaaris détendu et euphorisé par son show.
Kaaris : Alors, vous avez apprécié ?
Kiblind : Ouais, carrément. La scène paraissait peut-être juste un peu étroite, pour toi. Plus grand ça aurait pas été grave…
Kaaris : (Rires) Non, non. En vrai, j’étais bien. C’est juste une question d’aura. C’est vrai que j’aurai pu un peu plus bouger, mais c’était cool, franchement j’étais bien.
Kiblind : Et l’équipe qui est derrière toi sur scène…
Kaaris : Il faut faire ça. Ça fait du renfort. Peut-être que 20% de la force elle est là.
Kiblind : Parce que c’est tes vrais potes, des Sevrannais comme toi ?
Kaaris : Ouais, ouais, c’est tous des vrais potes, des Sevrannais. C’est des mecs avec qui je vis, on habite tous ensemble. Pas dans la même maison, mais dans le même quartier, Rougemont, « RGT » on appelle ça.
Kiblind : Parlons du phénomène à présent, et de ta médiatisation soudaine. Comment tu gères, d’une part l’explosion et d’autre part la diversité des médias qui s’intéressent à toi, de Booska-P à France Inter, de l’Abcdrduson à Canal + ?
Kaaris : Je vais pas te mentir. Comme j’ai galéré pour en arriver là, j’ai beaucoup de recul sur ça. Les gens pensent que je suis là, que je fais le fanfaron… Non, non, j’ai énormément de recul par rapport à ça. Je sais ce que je fais et ça m’étonne pas.
Kiblind : Ce qu’on notait aussi c’est cette capacité à rassembler un public très divers…
Kaaris : C’est ça le plus important. On fait des choses, en espérant des choses et c’est pas souvent ce qui arrive dans la réalité. Moi, je l’ai toujours espéré ça. J’ai jamais rêvé de faire du rap que pour les chiens de la casse. J’aime quand il y a des chiens de la casse, je me comprends quand je dis ça. Mais il faut qu’il y ait de tout : il faut qu’il y ait des petites meufs en tailleurs, il faut qu’il y ait des Blancs, des Chinois, des Arabes, il faut qu’il y ait de tout. C’est comme ça qu’on rassemble, c’est hyper important. Et moi je kiffe ça. Après, j’ai pas fait exprès, je vous le dis tout de suite. C’est pas du tout une volonté personnelle, c’est venu tout seul. Moi, je prends et ça fait vraiment plaisir.
Kiblind : Ça fait plus de dix ans que tu rappes et cet élargissement de ton public, il est venu rapidement mais assez naturellement. Depuis 2010, t’es apparu sur des featurings (Nubi, Despo, Alkpote, Brasco, etc.), c’est monté et puis il y a eu Z.E.R.O., « Kalash » avec Booba…
Kaaris : Moi ce qui m’a le plus étonné c’est ce qui s’est passé avec « Zoo », en fait. À la base, « Zoo » c’était destiné aux chiens de la casse, ceux dont je parlais tout à l’heure. Maintenant ça passe dans les soirées Bobo.
Kiblind : Dès « L’Hôte Funeste » t’as commencé à passer dans nos soirées et on s’était dit, ça va exploser. Et puis il y a eu le featuring avec Booba…
Kaaris : Ouais, ça après c’est la grande porte qui s’ouvre.
Kiblind : Mais une grande porte comme ça, il y en a pas mal qui l’ont eue, et t’es le seul ou quasiment à en avoir profité à ce point.
Kaaris : Ça comme je dis, chacun son « Mektoub » (« destin » en arabe, ndlr). Moi, je sais pas pourquoi, je saurais pas l’expliquer. Par contre, je suis sûr d’une chose : je saurais pas expliquer pourquoi eux ils y sont pas arrivés, mais je saurais expliquer un peu pourquoi moi j’y suis arrivé : c’est parce que je me suis pris la tête.
Kiblind : C’était une volonté de ta part de te dire « je ferai pas les mêmes erreurs » ?
Kaaris : Ouais, ouais, parce que je les ai vus, je les ai analysés. Et comme je vous l’ai dit, j’ai eu 13 ans devant moi. Les mecs ils ont fait des morceaux avec le tron-pa… Parce qu’on va pas se mentir, le mec c’est le tron-pa, jusqu’à preuve de contraire. Et je parle de rap, parce qu’il y a plusieurs façons de rapper. Lui dans son style de rap, c’est le seul à faire 51 000 la première semaine. Bref, moi je me suis dit qu’il fallait soit que je sois à la hauteur, soit que je sois meilleur. Et j’y suis arrivé.
Kiblind : C’est vrai que les gens se souviennent de ces douze mesures…
Kaaris : J’ai essayé de faire le mieux possible. Après, il y a des gens tellement fanatiques, que même si j’avais écrit les douze meilleures mesures du siècle, ils auraient pas fait attention. Mais quelque part, quand quelque chose est bon, ça se voit un peu.
Kiblind : T’es dans le rap depuis 13 ans, t’as fait pas mal de collaborations avec des gens qu’on trouve, nous, très forts : Nubi, Despo Rutti…
Kaaris : Ah ouais, très très lourd Despo. Despo, c’est ma grosse connexion. Même si je kiffe Nubi, je kiffe Brasco et les autres avec qui j’ai rappé, Despo c’est…
Despo, en fait, je le connaissais même pas. Je connaissais son rap, tu vois, mais je le connaissais pas personnellement. J’étais au studio, je parlais avec quelqu’un, avec qui j’avais une affinité, et je lui disais « trouve moi un artiste, avec qui je vais faire un feat, pour que ça me donne un petit coup de boost, parce que les gens ils veulent pas entendre ce que je fais ». Pourtant je rappais déjà comme ça à l’époque. Le gars il me dit « je connais Despo ». Je lui fais « mais t’es un ouf ou quoi, son album il sort dans trois jours, tu vas pas me l’amener… » Il me fait « je vais te le ramener, il me doit un service ».
Je sais pas quel genre de service c’était mais Despo il est venu, il a fait le morceau avec moi. Comme ça. Normalement, tu connais l’artiste, t’apprends à écouter ses trucs, tu vois. Et quand il est sorti du studio, il a dit une phrase que j’oublierai jamais : « t’es très très chaud toi, je sais pas pourquoi t’es pas encore connu ». Et il est parti.
C’est à partir de ce moment là où je me suis dit « peut-être que je peux faire chose-quelque ».
Kiblind : C’est à quelle période ça ?
Kaaris : Ça c’était en 2009, je crois, ou 2008. « Vendeurs de Nah Nah », je sais plus exactement…
Kiblind : C’est donc juste avant 2010, 2011, où il y a une espèce de style plus affirmé qui se met en place et qu’on retrouve aujourd’hui. Même si avant, c’était aussi « violent », c’était plutôt, au niveau du flow, un peu à l’ancienne à la Dany Dan, à la X-Men…
Kaaris : Ouais, ouais, je vois ce que tu veux dire, mais c’était toujours hardcore !
Kiblind : Bien sûr, mais c’est au niveau du flow que ça changé. Là où avant, c’était plus rappé, maintenant on est passé à quelque chose d’énoncé, de scandé…
Kaaris : Je suis d’accord avec toi. En fait, ce qu’il s’est passé, comme tu dis vers 2010, 2011, c’est que j’ai rencontré Therapy. J’ai rencontré Therapy fin 2009, et il m’a dit une phrase : « t’as des grosses punchlines mais il faudrait que tu les aères un peu plus, que t’aères un peu plus tes couplets pour qu’on puisse comprendre les punchlines ». C’est là que j’ai commencé à faire des pauses, à saccader un peu plus. C’est là qu’il y a eu des changements, mais aussi grâce aux instrus. Les instrus de Mehdi, c’est quelque chose.
Kiblind : C’est ce que tu disais dans une autre interview. Les instrus de Mehdi sont plus lentes, le style dirty south ou trap, permet d’énoncer…
Kaaris : Exactement, ça permet d’énoncer. Par exemple, tu prends le morceau « Zoo », en tout et pour tout, il doit y avoir, je sais pas, 30 phrases. 30 phrases, 30 punchlines. Mais c’est une phrase, avec un écho, un delay. Et ça reste dans la tête, frère. Tu dis une phrase et ça reste dans la tête.
Kiblind : On a remarqué une analogie aussi, entre la boxe thaï et ton rap. Tu fais de la boxe, toi ?
Kaaris : Je fais beaucoup de sport, mais je suis pas un champion tu vois. Dans mon quartier, il y a des sportifs, des vrais sportifs. Il y a Cheick Kongo chez moi (Champion du monde de Muay Thaï, combattant UFC, ndlr), il vient de Sevran. Il y a Cheick Koné, Arnold Quero (combattants MMA, ndlr) je sais pas si tu connais.
Kiblind : Si, si…
Kaaris : Voilà, donc tu vois, juste par respect pour eux, je peux pas dire que je suis un sportif. Même si c’est mes petits frères, hein, mais je peux pas dire que je suis un sportif. Même si j’ai déjà pratiqué, j’ai déjà un fait un peu de Grappling, un peu de Jiu-Jitsu, donc je sais me battre tu vois.
En même temps, j’ai fait de la street aussi, donc je sais me battre. Je connais des gens qu’ont jamais fait de sport, juste de la street, comme Bizon et qui sont invincibles ! (Rires) Tu vois ce que je veux dire. Mais je vais pas dire que je suis un sportif, juste par respect pour eux.
Kiblind : Donc, ok, tu pratiques. Parce que, comme on te le disait, on sent dans les punchlines que tu mets, que tu attaques, que c’est un sport. Comme en boxe thaï, tu vas occuper le haut, avec deux-trois coups de poing, et d’un coup tu vas attaquer avec un gros middle-kick, ce sera la dernière punchline et c’est celle qui fera mal parce que tu t’y attends pas.
Kaaris : T’as tout compris. C’est vraiment comme un sport, c’est une compétition. T’as résumé, j’ai même pas besoin de parler derrière oit. Petite punchline, petit punchline et dernière phrase, bam, c’est le coup de grâce. D’ailleurs Or Noir pour faire du sport, c’est très très bien.
Kiblind : Or Noir, justement, c’est aussi le fruit d’une rencontre, celle avec Therapy…
Kaaris : Musicalement, c’est ma plus belle rencontre. Et même humainement. Genre, deux semaines après qu’on se soit rencontrés, on s’est rendu compte qu’on avait le même feeling. On vient tous les deux du 9-3, et Therapy plus que moi. Je vais pas te mentir, il est chauvin comme personne. Lui, c’est 93, 93, 93. Et ça a démarré comme ça.
On a kiffé, on a discuté, il avait écouté des trucs à moi. J’avais fait un morceau qui s’appelait « Ce que tu veux » où je découpais un mec avec une tronçonneuse, et il avait kiffé le morceau. Et puis voilà, il m’a fait écouter des prods, il a voulu voir qui je suis. C’est un mec qui analyse, c’est un genre d’ours, un mec qui regarde, tu vois. Et le feeling, il est passé.
Kiblind : Est-ce que tu saurais nous dire pourquoi ses prods à lui te conviennent si bien à toi ?
Kaaris : Je vais pas te mentir, on m’a posé plein de fois cette question. J’ai déjà essayé de répondre plein de fois, mais maintenant j’ai trouvé la réponse. En fait, c’est vous qui croyez ça. C’est le public qui croit ça. La réponse que je donnais, c’était que j’écoutais l’instru à la maison, plein de fois. Mais en fait, c’est pas ça. Ses instrus, il les fait sans doute en pensant à moi, mais pas plus que ça. Moi j’essaie juste de m’approprier l’instru, en l’écoutant en boucle.
Kiblind : Sur ta façon de rapper, on trouvait qu’il y avait quelque chose de très américain, de l’égotrip très imagé, avancer d’idée en idée sans forcément raconter d’histoire. Comme dans le rap américain, ça veut pas forcément dire quelque chose, mais ça sonne…
Kaaris : Ça veut quasiment toujours rien dire, mais ça sonne super bien, ça claque dans l’oreille et c’est fait pour faire bouger la tête. Le rap à message, le rap conscient, comme je l’ai toujours dit, si j’ai besoin d’un message, j’écoute ma mère. Après, bien sûr, certaines musiques peuvent apporter un message, Bob Marley, tout ça. Mais, franchement, le rap, aujourd’hui en 2013, c’est pour faire la fête. Moi c’est ce que je fais et qu’on me casse pas les couilles.
Kiblind : On pense pourtant qu’il y a quelque chose de fondamentalement politique dans ce que tu fais. Même si c’est succint, même si c’est des images. Quand en concert, tu balances « On les emmerde tous, on les nique tous », il y a quelque chose là, non ?
Kaaris : Tu sais pourquoi je dis ça ? C’est parce que j’ai galéré pour en arriver là. Et malgré le fait que j’en sois arrivé là, il y a plein de gars qui sont pas contents. Quand t’as pas galéré et qu’il y a un mec qui arrive, on peut lui dire « mais qu’est-ce qu’il fait là, lui, il a rien connu ». Mais quand t’as galéré de ouf… Ils m’ont tous vu. Je les ai tous vus au moins une fois, à tous on leur a dit « ouais ce mec rappe, vois si tu peux faire un truc avec lui ». Personne n’a voulu le faire. Aujourd’hui, j’y arrive et ils sont encore pas contents. Donc, je les baise frère.
Kiblind : Donc, c’est pas forcément un truc envoyé au niveau de l’État, des autorités ?
Kaaris : Non, non, non, je m’en fous de l’État, frère. Bien sûr que l’État je les trouve chelous, bien sûr que je trouve chelou certaines choses. Après voilà, il y a des gens pour faire des lois, il y a des gens pour les appliquer, et elles sont pas toujours appliquées. On essaie de les respecter comme on peut, tu vois, mais c’est pas trop ma guerre. Moi c’est surtout la musique. Je l’ai écouté, pendant longtemps j’ai vu des mecs faire des choses, j’ai écouté des Planète Rap… Et moi pendant ce temps j’écrivais, je me disais « putain, je rappe mieux que lui, pourquoi il est là, lui ». Je comprenais pas. Aujourd’hui j’y suis, et ces gens-là qui faisaient des Planète Rap, qui ont mangé, qui ont vécu, ils sont pas contents que je sois là. Et je le sais, donc je les baise.J’ai fait un album qui, selon moi, est bon. J’en ferais peut-être pas un deuxième et je le sais. Je le répète, je le martèle, je suis pas là à me dire « le prochain il fera 50 000 ». Peut-être qu’il y aura pas d’album derrière.
Kiblind : Là tu profites, c’est tout…
Kaaris : Je profite, frère. Je kiffe, je kiffe, je kiffe. Je suis en train d’écrire, je fais des nouveaux morceaux mais on sait jamais ce qui peut se passer. Je suis passé tellement d’équipe en équipe, j’ai tellement galéré… J’espère ne jamais quitter Therapy, mais on sait jamais ce que le destin nous réserve. Quoiqu’il en soit, si demain je fais plus de musique avec Therapy, il y aura plus de rap pour moi, je vais pas rapper jusqu’à 50 ans.
Kiblind : Mais là, dans l’idée, ce que tu fais en ce moment c’est pour faire un album avec Therapy ?
Kaaris : Ah oui, bah oui, c’est pour faire un album avec Therapy, c’est sûr et certain. En fait, ce que je suis en train de t’expliquer c’est qu’on maîtrise pas le destin. Beaucoup de gens pensent qu’ils maîtrisent, mais même si tu décides que tu fais un pas là, c’est possible que, la tête de oim, je vais me lever je vais bé-tom. Je sais pas si tu comprends. Dès que tu as un moment d’inattention, ton destin, il te frappe. On sait jamais. Mais bien sûr que là, l’idée c’est de faire un deuxième album avec Therapy.
Kiblind : Et avec Therapy aux instrus exclusivement ?Kaaris : Bah, ils sont quatre Therapy. Et dans les quatre, certes, il y en a deux qui se connaissent très bien, c’est 2031 et 2093 qui forment le 4124. Mais les deux autres, c’est des petits qui ont rien à voir avec eux et qui font du son totalement différent. Après, les haineux ils diront « c’est toujours les mêmes sons », mais c’est pas vrai. Zaz, c’est un mec que je connais du 9-5, il fait pas du tout les mêmes sons que Therapy. Quand t’écoute « JeBibi », Therapy il fait pas des sons « JeBibi ». Therapy, il fait du « Scarface », il fait du « Jour de Paye » (morceaux de Booba, ndlr), tu vois ce que je veux dire ? Certains te diront « c’est les mêmes sons », il y a pas de problème, nous on fait ce qu’on a à faire.
Kiblind : Peut-être juste une envie de collaborer avec d’autres gens…
Kaaris : Bien sûr, nous on n’est pas fermés. Mais en ce moment, en France, il y a qui tu vois ?
Kiblind : Si en France tu trouves personne d’autre, aux États-Unis, il y aurait des gens qui t’intéresserais ?
Kaaris : Ouais bien sûr, mais bon… Ils sont chers, tu vois, et on va pas péter plus haut que notre cul. On est des gens humbles. Moi je suis très très humble. Le dire, ça fait bizarre, mais c’est la vérité.
Kiblind : Ce serait pas une obsession personnelle de vouloir bosser avec des Américains ?
Kaaris : Non, non, non, j’en ai rien à foutre moi. Je les écoute, je kiffe, j’adore ce qu’ils font. Si demain, j’ai une collaboration tant mieux, mais si j’en ai pas je m’en fous, je me battrais pas. Après maintenant, c’est vrai que des Young Chop, des Mike Will Made It, c’est bon mais qu’est-ce que tu veux… On en n’est pas là (Rires). On écoute, on kiffe, c’est bien de kiffer, de pas faire le haineux. C’est bien ce qu’ils font, tous les jours ils nous ramènent de la patate…Et puis, je suis pas le plus mal logé avec Therapy, donc je vais pas me plaindre.
Kiblind : On a entendu dire que tu avais des cahiers dans lesquels tu écrivais tout le temps, qu’est-ce que tu mets dedans, des punchlines, des anecdotes… ? Et comment tu t’en sers pour faire un morceau ?
Kaaris : Je vais pas te donner ma formule tu vois, tout ce que je peux te dire c’est que j’ai plein de cahiers, empilés quelque part à la maison. Plein plein de cahiers. C’est ce que j’ai écrit pendant des années et des années. Je pioche à fond dedans et j’ai encore de la ressource pour un deuxième album encore plus violent.
Kiblind : Au niveau de tes influences, tu dis regarder énormément de films et on sent des références à la fois très récentes mais aussi un vocabulaire plus datés comme certains films et dialogues d’Audiard par exemple ?
Kaaris : Tu vois, certains vont tomber sur un film avec Jean Gabin en noir et blanc et ils vont changer de chaîne, ils vont mettre l’Île de la Tentation. Moi je change pas de chaîne, jamais. Je vais pas te dire que je suis superstitieux parce que je crois en Dieu mais si j’allume la télévision, le premier truc sur lequel je vais tomber, je vais rester dessus. On sait jamais, y’a peut être quelque chose à relever, je regarde, je regarde et des fois y’a des bonnes phrases qui passent. Surtout dans les films en noir et blanc, à l’ancienne. Mais les jeunes d’aujourd’hui ils ne savent pas ça, et moi je rappe pas que pour eux tu vois. Je sais comment leur parler parce que je suis de la rue aussi mais je sais aussi comment m’adresser à d’autres personnes qui n’habitent pas forcément dans un quartier. J’essaye de communiquer avec tout le monde.
Kiblind : Donc le côté hyper visuel dans ta musique vient plus d’un répertoire cinéphile. D’ailleurs, ça joue aussi sur ta manière d’aborder la caméra dans tes clips ?
Kaaris : Ouais clairement. Je sais comment me tenir devant une caméra. J’ai appris et certains n’ont pas appris encore. Ils font des clips tous pétés. Pour moi c’est important la gestuelle, savoir s’tenir, parce que c’est pas que le micro, c’est pas que le studio.
Kiblind : On l’a vu encore tout à l’heure, tu n’es jamais statique sur scène.
Kaaris : Jamais, si j’suis statique le public va sentir qu’il y a un coup de mou. Après j’suis pas un sur-homme, j’suis comme tout l’monde mais le public il le ressent donc si tu te donnes sur scène, il te le rend et là direct ça explose. J’aime bien quand le public explose.
Kiblind : Concernant ta relation avec le public c’est nouveau pour toi, que les gens chantent tes paroles, connaissent par coeur tes textes ?
Kaaris : Ouais c’est nouveau. Parce que j’ai fait des scènes ou le public était au bar et les gars savaient même pas qui j’étais. J’ai fait des scènes où quand je terminais de rapper le présentateur venait et me demandait qui j’étais. On était trois sur scène et il demandait qui était Kaaris. J’ai fait ce genre de scène donc j’suis rodé. Si demain ça m’arrive, je m’en bats les couilles. C’est pas grave.
Kiblind : À la différence que maintenant t’auras vécu ça, t’auras vécu 500 personnes qui connaissent par coeur tes textes.
Kaaris : C’est beau et ça me suffit. J’en veux même pas 10 000, 500 ça suffit.
Kiblind : Comment tu gères cette récente effervescence, cet emballement médiatique et le public, sur scène comme dans la vie ?
Kaaris : Faut faire abstraction de tout ça, ne pas s’emballer, ne pas se faire de film. Si je descends dans la fosse je suis comme eux. Faire la part des choses c’est très important, je fais la distinction entre la scène, le studio et quand je suis à la maison avec ma famille. Parce que si tu commences à tout mélanger, le jour où ça ne marchera plus tu seras complètement perdu, tu comprendras pas… alors qu’en vrai, c’est juste la vie frère, la roue tourne, c’est tout. En tout cas moi je sais pas combien de temps ça va durer et je sais pas si ça va durer, mais mon premier combat c’est ça, garder les pieds sur terre. De toute manière, je suis bien entouré.
Kiblind : L’explosion médiatique que certains groupes ou rappeurs ont rencontré dans les années 90 après un premier succès et qui se sont effondrés ensuite, tu penses que ça t’aide aujourd’hui à prendre ce recul ?
Kaaris : Bien sûr. À l’époque, pas mal de gens ont eu droit à un an de studio, il venaient en studio, appelaient des meufs et ils les baisent au studio. Ou bien ils venaient en studio pour écrire. Déjà, t’écris pas en studio ! Quand tu viens en studio et que tu travailles sur un album de rap, parce que ça a un coût le studio, tu écris à la maison. Et quand t’arrives en studio tu rentres en cabine direct, tu kick et tu t’en vas ! Mais tu viens pas pendant 8h sans connaître ton texte, sans arriver à le placer derrière le micro, c’est quoi ça !?! C’est pas du travail ça !
Kiblind : Comment s’est passé la construction de l’album Or Noir avec Therapy ? Tu recevais les productions à l’avance ?
Kaaris : Je venais chez lui, on écoutait les instrus ensemble. On regardait ensemble celle que j’avais envie de récupérer, il me proposait des mélodies à rajouter, on en discutait et après chacun faisait sa vie. Quand j’avais le temps d’écrire j’écrivais et quand j’avais mes textes j’lui demandais si on pouvait prendre une séance de studio et on y allait. En général on pause trois titres par séance, trois titres en 6 ou 5h de travail.
Kiblind : Les 17 morceaux d’Or Noir étaient tous fais pour cet album ou certains avaient été enregistrés avant ?
Kaaris : Hormis « Paradis ou Enfer » qui avait été écrit avant, tout le reste était fait pour Or Noir. Donc Or Noir a vraiment été pensé du début à la fin par moi et ce monsieur (pointant Therapy 2093 assis juste derrière nous, ndlr). Un grand monsieur de la musique.
Kiblind : Une question un peu plus anecdotique, sur « Dés le départ« , quand tu parles de ‘Cuisine’ tu fais référence à la manière de cuisiner le crack au bain marie ? C’est d’ailleurs une référence principalement utilisé par les rappeurs US comme Freddie Gibbs ou Madlib par exemple.
Kaaris : Ah bien, tu connais Freddie Gibbs frère (Rires) Non pour ce qui est de la cuisine, moi j’sais faire du riz, du poulet, des sauces… j’parle de cuisine. Mais des fois c’est vrai que ça arrive d’être en cuisine, tu veux faire du riz et tu fais autre chose sans faire exprès. On s’est compris (Rires) Mais c’est vrai qu’en France peu de gens connaissent ces références. Mais petit à petit ça va venir, on va les éduquer. Honnêtement j’pensais pas passer en radio avec un rap hardcore comme ça et pourtant je tourne. Très grosse erreur, on va leur faire la misère (Rires).
Kiblind : Tu fais déjà la misère à Katy Perry en terme de ventes, je sais pas si tu es au courant ?
Kaaris : Ouais j’ai vu. Pourtant Mouloud (émission Clique sur Canal+, ndlr) m’avait dis que je n’pouvais pas être devant elle. J’lui avais dis que c’était pas grave, que si j’étais derrière j’la prendrais en levrette.
Kiblind : Mais du coup tu la prends en missionnaire ?
Kaaris : Mais direct ! (Rires) Bien ouèj !Kiblind : Pour le prochain album tu as des envies en terme de featuring ?
Kaaris : Ouais, quelques personnes mais je pense pas l’annoncer tout d’suite. Peut-être un Marseillais et un Parisien.
Kiblind : Pas comme sur Z.E.R.O et Or Noir ? Kaaris : Non, non, non ! Mais en fait Z.E.R.O c’est parce que personne ne voulait poser avec moi. En réalité les gens ne m’appelaient pas, à l’époque ils sortaient tous leur projet et on leur demandait s’il y avait un MC avec qui ils voulaient poser. Les gens savaient mais ils disaient ‘Non non lui faut pas qu’il sorte’ parce que j’ai fait des morceaux avec des mecs mais c’est jamais sorti. Ou bien ils ont essayé mais quand ils voyaient mon couplet ils disaient ‘c’est pas possible’. Du coup sur Z.E.R.O non y’a personne. Donc pour Or Noir j’me suis dis que j’allais le faire tout seul. Mais pour le prochain album y’aura surement des feat.
Kiblind : Merci à toi.
Kaaris : On se reverra surement, quand on reviendra sur Lyon. Merci Messieurs !
Propos recueillis par Benjamin Collet et Maxime Gueugneau.
Photos : © Studio Aldo Paredes, courtesy de L’Original.
Or Noir de Kaaris, sorti le 21.10, disponible ici ou là ou encore chez votre disquaire préféré.
Kaaris sera en concert à La Dynamo de Toulouse, le 1.11, et le 21.02 au Bataclan à Paris.