[Les Papiers du Mag] Simulation de pluies naturelles et manipulées

Article tiré de Kiblind « Météo » et écrit par Fragment.in

Le collectif d’artistes Fragment.in présentait au Mirage Festival son œuvre de géo-inginerie Displuvium, reproduisant la pluie en milieu confiné. Ils nous racontent sa genèse en même temps que leur passion pour l’arrogance humaine vis-à-vis de la météo.

Dans la Grèce antique, ainsi que parmi d’autres civilisations de l’époque, les changements climatiques étaient souvent attribués aux dieux. Ainsi Éole était considéré comme le maître et le régisseur des vents alors que Zeus utilisait la foudre pour exprimer sa colère. Plus tard, la science va remplacer les mythes et s’imposer comme la manière universelle de comprendre et expliquer nos phénomènes naturels.

En effet, dès la fin du XVIIe siècle, l’humain n’a cessé de développer des outils de plus en plus précis pour observer, mesurer, prédire et visualiser l’atmosphère et ses changements météorologiques. Les premières expéditions de ballons météo en 1890 ainsi que la multiplication des stations météorologiques connectées entre elles en sont les premiers exemples parlants. 

Aujourd’hui, comme l’explique Andrew Blum dans son dernier livre The Weather Machine, l’arrivée des satellites GEO et LEO et le développement fulgurant de la puissance de calcul des ordinateurs compilant les « Weather Models » ont aidé à rendre presque parfaites les prédictions météorologiques. Celles-ci sont maintenant accessibles en temps réel et à portée de main grâce à nos applications mobiles.

Savoir le temps qu’il va faire demain influence nos décisions mais quel impact la météo a-t-elle sur notre humeur, notre santé et notre quotidien ? Chaque personne est plus ou moins « météosensible ». Cependant, l’étude menée dans le livre Les Baromètres humains démontre qu’un brusque changement de pression ou d’humidité augmente l’apparition de migraines, que les hautes températures sont propices à un taux de suicide et de crime élevé et que le beau temps semble influencer notre envie d’aller voter.

Displuvium, détail écran 2 (c)Fragmentin

Inversement, dans notre ère dite Anthropocène, le dérèglement climatique dû aux activités humaines n’est plus à contester. Les catastrophes naturelles et les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient, attisant notre désir de vouloir les prévenir et les maîtriser. Nos avancées technologiques et les moyens investis en sont les témoins. Cependant cet impact bien réel semble global et relativement lent et s’étend sur une longue période. Qu’en est-il des modifications, plus locales et immédiates que l’humain et la technologie peuvent avoir sur un phénomène météorologique tel que la pluie ?

Cette dernière question nous a interpellés. Dans un premier temps, c’est la rencontre avec Renaud Defrancesco, un ami designer de l’ECAL qui a fait naître les prémices de notre installation. Il est venu nous voir avec l’idée de créer un projet lié à l’eau et en particulier à la pluie. Après quelques discussions, le challenge technique de pouvoir recréer l’effet de gouttes tombant sur la surface d’une flaque d’eau est vite apparu.

Réaliser cette prouesse technologique nous attirait, mais nous voulions aussi et surtout créer une œuvre qui pouvait s’inscrire dans le prolongement de nos réflexions et réalisations artistiques précédentes.

Notre questionnement autour de la notion de contrôle et d’autorité au travers de notre installation VR 2199 ainsi que l’accueil du côté imprévisible de la météo comme antidote au contrôle dans The Weather Followers ont également été des sources d’inspiration.

En 2015, lors d’une discussion avec des scientifiques du CERN pendant notre résidence artistique sur le campus de Meyrin, nous avons également pu décrypter comment les gouttes de pluie tombent de manière aléatoire.

Ces différents ingrédients ainsi que la lecture du Guide des chasseurs de nuages – qui mentionnait un épisode d’ensemencement – ont aidé à définir l’aspect final de l’installation.

Celle-ci a été réalisée en collaboration avec le designer Renaud Defrancesco. Elle prend la forme d’un bassin circulaire rempli d’eau posé à même le sol. À la surface de l’eau, le visiteur peut observer la pluie tomber : des gouttes d’eau sont générées grâce à de minuscules buses subaquatiques. Deux écrans accrochés au mur présentent une cartographie d’événements historiques liés à des épisodes de pluie tantôt d’origine naturelle, tantôt influencés par l’homme. Ces séquences, non linéaires et de durées variables, offrent la clé de lecture de l’œuvre. Elles dictent les motifs créés par les ondulations de la pluie dans le bassin. Lorsque c’est au tour d’un phénomène météorologique influencé par l’homme, les gouttes s’organisent en motifs géométriques réguliers. L’artificiel et le contrôle remplacent alors le naturel et l’aléatoire.

Displuvium, exposition HeK, Bâle. (c) Fragmentin

À quel moment une pluie semblant naturelle se révèle-t-elle être une averse créée et contrôlée artificiellement ? Cette « pluie programmée » dérange par son artifice, mais surprend aussi par son étrange beauté. Les travaux de notre collectif sont souvent conçus comme des espaces de discussion sur les thèmes et enjeux contemporains qui nous tiennent à cœur. Dans la lignée de nos autres œuvres, Displuvium propose donc une réflexion sur le désir humain de contrôler son environnement naturel, en particulier les phénomènes météorologiques comme la pluie.

Le choix de la forme et des matériaux de Displuvium est inspiré de l’atrium romain que les familles aisées faisaient construire dans leur demeure. Au centre, une ouverture dans le toit – le compluvium – permettait à l’eau de pluie de s’écouler dans un bassin. Le préfixe latin dis- évoque une séparation, une anomalie ou un problème de fonctionnement, en référence aux phénomènes météorologiques modifiés.

Nos recherches nous ont appris que depuis la fin des années 1940, plusieurs entités gouvernementales ou privées pratiquent l’ensemencement des nuages, une intervention chimique ayant pour but d’influencer les précipitations. Le processus consiste en la propulsion d’iodure d’argent dans l’atmosphère au moyen de petites fusées ou par voie aérienne. Cette pratique controversée permet par exemple de soulager des périodes de forte sécheresse et d’éviter que la grêle ne ruine des récoltes, mais aussi d’empêcher la pluie de tomber sur une parade militaire d’importance nationale ou encore d’intensifier les averses au-dessus de régions stratégiques de conflits. Pour des raisons éthiques et écologiques, l’ensemencement des nuages est régulièrement critiqué.

Ces critiques ne sont que partiellement fondées, en effet la plupart de nos lectures ont indiqué que si la dispersion d’iodure d’argent reste dans la limite des régulations en vigueur, elle n’est pas nocive pour l’humain, la faune ou la flore.

Cependant, alors que certains pensent que la technologie de demain est censée résoudre les désordres engendrés par la technologie d’hier, les effets secondaires de la géo-ingénierie ne sont eux absolument pas connus. Ils se matérialisent pourtant de manière bien réelle comme le démontre l’épisode d’ensemencement survenu à Pékin en 2008 (voir encadré) où une tempête de neige a soudainement remplacé la pluie escomptée.

Au-delà des sommes astronomiques investies dans la géo-ingénierie, l’élément le plus sombre de cette pratique réside selon nous dans le comportement irresponsable qu’ont certaines entités gouvernementales ou privées à jouer de manière divine aux apprentis sorciers du climat, entraînant des réactions en chaîne ayant des effets imprévisibles sur notre écosystème.

Kiblind « Météo » est à lire en entier et en digital ici

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