[Interview] T/O

Un pied sur Terre, l’autre dans un monde occulte et mystique, Théo Cloux se faufile entre les genres et les esthétiques. Capable de nous rappeler autant Connan Mockasin ou Tomorrow qu’Angelo Badalamenti avec son album « Ominous Signs » (paru début mars chez October Tone), l’unique tête pensante du projet T/O impose sa vision du psychédélisme moderne et son sens de la production acéré.

On l’a rencontré avant son concert au Supersonic à Paris, l’occasion de parler entre autres de son univers visuel sous psychotropes, de son évolution de la dream pop au psychrock / lo-fi et de tout ce qui l’a inspiré en chemin dans la création de son album.

Quels étaient tes side projects avant d’en arriver à T/O et comment ce projet a t’il germé ?

En fait, j’avais d’abord mon truc avant de rencontrer le label October Tone. Dans ce cadre, j’ai joué avec Amor Blitz et Hermetic Delight. Avant, en même temps que j’ai sorti le premier EP, j’avais un groupe de hip hop, qui s’appellait “Whateverest”, un délire hip hop – jazz cosmique. Toujours dans le cosmique. Le projet T/O, lui est un projet complètement solo dans l’écriture, c’est la continuité de ce que je faisais depuis mes 13, 14 ans quand j’ai commencé à enregistrer sur mon ordi parce que mon père m’avait montré comment faire. J’avais fait des petites compos et au fur et à mesure, ça s’est transformé en ça, en sept ans. Il y a eu beaucoup de phases. Avant, c’était beaucoup plus folk. Et puis à un moment, j’ai du mettre un nom sur ce projet.

Il a évolué avec toi au fil des années ?

Oui, c’est vraiment la continuité de mes compositions personnelles. Je me suis pas dit à un moment : “je vais faire de la musique comme ça ou comme ça”. C’est venu naturellement et ça s’est transformé au fur et à mesure. Après, il y a eu des points de lumière et d’éclaircie, comme un concert de Connan Mockasin que j’ai vu dans la Meuse dans une ferme. C’était pour Vent des Forêts qui est une asso qui fait de l’art contemporain dans la Meuse. Ils font plein d’oeuvres dans les bois ou dans des endroits improbables et en fait, ils avaient bossé avec Théo Mercier cette année là et Théo bossait avec Connan pour faire un clip. Vent des Forêts a fait un concert de fin de projet pour restituer ce qu’ils ont fait et pour remercier les gens qui étaient là et c’était juste fou, parce que c’était le premier concert de Soft Hair, deux ans avant que l’album sorte. C’était le premier projet avec Sam Dust, le mec de Late of The Pier et LA Priest, d’ailleurs il s’était perdu tout seul dans la Meuse. Il y avait des lampions partout dans les bois et Connan Mockasin sur un tracteur. C’était incroyable. Ca a vraiment été un élément déclencheur. Syd Barrett aussi, mais là, c’est quand j’étais beaucoup plus jeune mais ça reste un grand idole pour moi. Je suis encore un gosse de 5ème devant les seules vidéos de lui qui existent.

On remarque un style et une prise de parti beaucoup plus marquée avec Ominous Signs – qui défend une multitude de styles allant de la pop, au rock psyché ou reggae dub, en passant par le lo-fi – qu’avec Eyes Above, ton premier EP aux sonorités beaucoup plus dream pop. Est-ce que tu as l’impression d’avoir beaucoup évolué depuis ?

Oui, je me suis un peu rendu compte après coup de ce qui s’était passé parce que pour moi, c’était assez naturel. Je suis toujours dans la recherche d’expérimentations de sons etc. A un moment, des trucs ont jailli et c’est devenu ça pour le nouvel album. En fait, je crois que je l’explique parce que le premier disque, je ne l’ai jamais joué en live quand je l’ai fait. Je l’ai enregistré dans ma chambre avec mes colocs qui dormaient à côté, c’était de la vraie pop de chambre pour le coup. Je faisais ça la nuit dans une ambiance feutrée où je chantais tout doucement et ça se ressent. Le fait d’avoir transformé ça en live avec une vraie batterie, de vivre la chose physiquement, ça m’a fait évolué dans mon approche.

Du coup, tu es sorti de ta chambre ?

Oui, je suis sorti de ma chambre pour le son mais j’y suis resté pour l’enregistrer quand même. J’ai quand même enregistré des batteries en studio mais sinon, j’ai quasiment tout fait chez moi. Donc voilà, je l’explique un peu comme ça. Après, je pense qu’il y a moins de différences entre le live du premier et du deuxième disque qu’entre le premier et le deuxième disque. L’audio a beaucoup changé, mais le live reste un peu dans une continuité d’énergie. J’ai pris aussi beaucoup plus de temps à tenter de nouvelles choses, j’ai aussi avancé dans ma technique de homestudio, ce qui fait que j’ai pu me permettre plus de choses que j’avais en tête.

Justement, l’album est fait d’une quantité assez impressionnante de couches de différents instruments, de voix ajoutées, d’incrustations de grésillements, d’échos… Ce qui a du demander pas mal de travail supplémentaire. Comment s’est passé l’enregistrement ?

Oui, il y a beaucoup de choses. Justement, il y a plein de fois où ces grésillements et ces échos peuvent être les prémisses d’un morceau, je pars jamais d’une guitare acoustique, de paroles et d’accords pour faire un morceau. Ca part vraiment de textures, d’idées vagues… Souvent, c’est beaucoup plus abstrait qu’un format classique. Je pense que ça s’entend car il n’y a pas beaucoup de couplets, refrains, ce genre de choses. Et effectivement, j’ai beaucoup empilé les couches. Des fois, je me dis que c’est presque indigeste mais bon, j’avais tout ça à lâcher.

C’est ce qui fait que l’album est si reconnaissable aussi.

Oui, tant mieux ! En fait, j’ai l’impression que mon but ultime c’est de faire ce que j’ai en tête et de pouvoir la reproduire exactement. En même temps, les erreurs qui se passent en studio, c’est un classique mais c’est super important aussi parce que là où toi tu n’allais pas forcément, il y a quelque chose qui se révèle d’une erreur. Et c’est ça qui t’ouvres d’autres postes. C’est tellement infini que je me suis pas trop limité et j’en ai mis partout quoi. Je pense que j’avais beaucoup d’idées et que j’ai voulu toutes les mettre en même temps.

On y retrouve aussi autant des influences sixties qui sonnent comme Tomorrow, eighties à la Dukes of Stratosphear que des influences plus actuelles comme Foxygen. Est-ce que tu as voulu y rassembler toutes les esthétiques qui t’inspire ?  

Je saurais pas dire parce que j’écoute vraiment beaucoup de choses différentes. En même temps, j’ai l’impression d’être dans une catégorie qui est pas forcément la musique que j’écoute le plus. J’ai un peu des pères là dedans comme Deerhunter mais pour autant je vais pas écouter tous les groupes qui viennent de sortir. Je vais beaucoup plus être à l’affût pour des musiques d’autres genres. Finalement, quand j’ai fait ce disque, j’écoutais beaucoup de hip hop. Il y a pas mal d’influences que je pense reconnaitre sur Ominous Signs mais qui sont vraiment assez inconscientes, parce que des fois, un morceau n’est pas du tout l’idée de départ. C’est pas comme si je m’étais dit que j’avais envie de faire un morceau dans ce style et au final, ça vire vers autre chose qu’on pourrait référencer d’une autre manière. Donc au niveau des influences, c’est assez large, c’est difficile de se placer par rapport à ses influences. Et même moi, je ne sais pas vraiment quelles sont mes influences. J’ai eu des disques marquants, oui, mais pas non plus des disques qui m’ont énormément influencé. J’ai plus eu des révélations inconscientes mais de choses que j’ai pas forcément écouté en boucle. Après, il y a par exemple le morceau « The Night With the Horse with The Red Flag” où j’ai pensé à AC/DC lors de sa création et au final, j’ai plus l’impression qu’il sonne comme du King Gizzard and the Lizard Wizard. Au départ, il s’appelait Angus comme le guitariste de AC/DC. J’ai vraiment des noms de merde au départ, il s’appelait comme ça parce que j’avais fait des riffs à la AC/DC pour déconner.



D’ailleurs, les titres de tes chansons, ça aussi c’est des heures de réflexion ?

Ouais, j’ai des images en tête et à un moment, je l’imprime sur le morceau en me disant : “c’est comme ça qu’il va sonner”. Là, je voyais un truc chevaleresque tu vois.

L’album est tout en tension, on peut passer par des gros climax de batterie et de guitare fuzz comme dans « Gozilla » et dans l’instant d’après revenir à des mélodies très sobres au synthé comme avec « Time to Rise » ou avec “Sshhee”, qui pourrait être comparé à du Angelo Badalamenti. Comment tu l’expliques ?

Oui, Twin Peaks est une grosse influence aussi mais il faut pas le dire parce que tout le monde sort Twin Peaks tout le temps mais c’est vrai que ça m’a marqué aussi. Il y a trois moments dans l’album qui pour moi sont des pauses. Je les ai un peu placé sans vraiment réfléchir et je me suis rendu compte que ça faisait du bien. C’est devenu stratégique mais c’était pas réfléchi. J’avais envie de petites interludes mais au final, je trouve que ça apaise vraiment, ça détend par rapport au nombre de couches qu’on peut retrouver parfois.

En live aussi?

Je ne les jouent pas trop en fait en live. Enfin, il y a un morceau en particulier qui est injouable, c’est “How Come”. C’est trop bizarre d’ailleurs quelqu’un m’a dit qu’il trouvait que c’était le morceau le plus pop de l’album. Pour moi, c’est le plus bizarre.

Tu accordes une grande importance au visuel, dans quel univers visuel vois-tu s’ancrer le projet T/O ?

Je trouve que ça manquait pas mal sur le premier. Ma copine, qui s’occupe de mes clips, avait fait une petite vidéo de vacances sur une île pour le premier EP, mais c’était la seule chose. Et là, je me suis dit : “vas y, tu fais des clips avant la sortie que tu sors trois mois avant etc”. Ca m’a un peu poussé à vraiment penser le projet visuellement et ça, c’était cool. On a beaucoup bossé avec ma copine, Laura, qui a fait la pochette, tout ce qui est graphisme et le clip de “Gozilla” aussi. On a beaucoup pensé à cet univers ensemble, on a créé ce portail qui est un élément qui revient à chaque fois, dans les clips, à l’intérieur du CD, sur scène….

Ta pochette d’ailleurs est assez unique, qu’est ce qu’elle représente ?

Hmm je sais pas… Pour la vraie histoire, on a en fait créé ce fameux portail en bois qui fait 9 mètres de large et il a été construit par un pote à Nancy. On a voulu faire tout un truc autour de ça, on a fait plein de photos, on a dépensé des milles et des cents dans des pellicules argentiques. Et la pochette, c’est un off de cette séance photo. Si je la raconte, c’est un peu nul mais bon, en fait c’est une photo prise au numérique et c’est ma coloc qui met son costume au dessus de la tête.

C’était pas le but recherché ?

Pas du tout, c’était vraiment un off qu’on a retravaillé. On a laissé tout cet univers du portail un peu plus subtilement, ça ne marchait pas vraiment en pochette. Et quand on a vu cette photo, ça nous a vraiment interpellé. On se disait qu’il y avait un truc bizarre et enfantin qui s’en dégageait. Et je trouve qu’il y a un côté très enfantin à cet album, je me suis beaucoup amusé à le faire. Là où pour le premier EP, j’étais plus dans le côté émotion, chagrin post-rupture.

Là, c’est le lâcher prise ?

Oui, complètement. Sur le fond de plein de trucs qui ne vont pas mais pourtant, j’y ai mis beaucoup plus de fun. J’ai l’impression que c’est lumineux et en même temps, un peu du crépitement. Et cette pochette est arrivée comme ça. Laura m’a appelé en me demandant de regarder la photo, ma première réaction, c’était : “c’est quoi ça?”. C’est vraiment un espèce de personnage surréaliste, on ne sait pas d’où il sort, il est tout ébloui. Vraiment bizarre. Ca pourrait être autant un enfant qui s’amuse qu’un personnage un peu démoniaque.

Est-ce que tu penses à l’esthétique de certains artistes en particulier lorsque tu crées tes vidéos ?

C’est ma copine d’abord qui m’influence beaucoup. Elle m’a montré beaucoup de choses dans les arts visuels. En film, par exemple, elle m’a montré “Les Idiots” de Lars Von Triers, Triers, “Festen” de Thomas Vinterberg et “Streamside Day” de Pierre Huyghe. Elle a aussi beaucoup bossé sur le carnaval et sur tous les rites qui en découlent et c’est un truc méga intéressant. J’étais avec elle quand elle a fait un mémoire sur ça et ça m’a beaucoup influencé pour cet album. J’utilise aussi beaucoup de cartes postales, j’en récupère plein à Emmaüs, il y en a beaucoup un peu orientales avec des sceptres etc. Souvent, je pioche là dedans, et j’ai l’impression de faire des liens en me disant : “tiens, cette musique ressemble vraiment à cette carte postale”. Je suis pas synesthésiste mais le visuel m’inspire énormément. Pour autant, je suis pas super calé dans les arts visuels. Ca peut être une couleur, des formes dominantes ou une histoire derrière les morceaux.

Et ça se passe avant que tu aies composé les morceaux ?

Non, c’est vraiment pendant. Là, je n’arrive même plus à le décrire parce que je ne le ressens pas. C’est vraiment un ressenti qui me permet d’avancer en fait.

C’est Vinyl Williams (petit-fils de John Williams, à qui l’on doit les bandes originales de films comme Indiana Jones, Star Wars ou encore Jurassic Park) qui a réalisé le clip de “A Dog in the Sleeve”. A quel moment vos routes se sont croisés ?

Je l’ai contacté tout simplement et il a kiffé. Il vit à Los Angeles donc je l’ai jamais rencontré mais il doit venir tourner avec son nouvel album bientôt, qui sort chez Requiem pour un Twister en France d’ailleurs. Je l’ai contacté, il était trop cool. Je lui ai décris un peu l’univers de la chanson et lui, il en a fait un univers visuel. Il m’a vraiment dit une tranche de prix raisonnable, je pouvais ne lui donner que le minimum parce que j’avais pas beaucoup d’argent et il m’a dit okay. En fait, je l’avais contacté il y a un moment, il y a un an, il avait déjà répondu. Et là, je l’ai relancé avec un truc concret et il était chaud, c’est cool, ça m’a apporté plein de choses. C’était assez différent de ce qu’on avait créé avec Laura. Nous, on était sur quelque chose de plus brute, d’un peu plus crado. Là, c’est vraiment du 360 high-tech quoi. Mais c’est marrant parce que ça a vraiment interpellé, ça m’a permis de rencontrer un petit label à Montréal qui m’a sorti en K7. Ca faisait aussi marrer la presse parce que c’est le petit fils de John Williams, pour le côté people. Mais avant tout, j’étais trop content de collaborer avec lui. C’était fou, il bossait même pour Temples en même temps !

Et avec Pink Haze Records qui a sorti ta K7 alors ?

Ca s’est fait aussi un peu par hasard. C’est un francophone à Montréal qui mène son petit label sans aucuns bénéfices. J’ai vu que j’allais être à côté de R. Stevie Moore et de Corridor, du coup, j’étais trop content.

Comment as-tu pensé et préparé ton live niveau scéno mais aussi dans la répartition des instruments, voix etc ?

Ca a pas mal bougé parce que quasiment tous mes anciens collègues sont partis sauf le batteur qui est toujours là. On a un peu collaboré sur le disque d’une certaine manière puisqu’il a enregistré les morceaux de batterie. Le bassiste et le guitariste ont changé par contre. Je ne laisse aucune possibilité aux autres, non… c’est vraiment le postulat de départ, je suis tout seul dans ma chambre, ils n’interviennent pas.

C’est vraiment ton projet solo mais avec des musiciens seulement pour le live ?

Oui, voilà. Sauf le batteur qui a un peu enregistré parce qu’il est meilleur que moi à la batterie. Mais tout était écrit à l’ordi avant. Ca a été le défi de rentrer 130 pistes à 4 musiciens et je suis assez content du résultat. Il y a quelques samples parce qu’on peut pas tout jouer. Mais globalement, on a deux guitares, deux claviers, une basse, une batterie et des petits samplers.

Est-ce qu’on retrouve ta touche visuelle sur scène d’ailleurs ?

Il y a ce portail qu’on veut emmener un maximum avec nous. Ca défonce si on arrive à l’amener, on l’a fait qu’une fois à la release party à Strasbourg parce qu’il est quand même énorme. Mais c’est quasiment le seul élément scénique pour l’instant.

Y a t’il une grosse tournée qui se prépare pour T/O ?

Oui, les Zenith, l’Accor Hotel ! Non, en vrai, ça vient doucement. Je bosse avec mon tourneur, A Gauche de la Lune, donc je cherche plus de salles de mon côté. Eux font appel à des salles forcément plus grosses. Ils ont un bon réseau forcément. Je pense que ça devrait bien s’accélérer à la rentrée, inch’allah. J’ai hâte de jouer en tout cas.

Tu as déjà des morceaux pour le futur album ?

Oui, il y en a quelques uns. Mais ils étaient vraiment dans l’optique de cet album donc ils ne seront pas réutilisés. Mais oui, je m’amuse avec un enregistreur à bandes à 8 pistes que j’ai chopé. Je m’amuse beaucoup sans ordinateur, à l’ancienne et c’est trop fun. J’y vais tranquillement puisque la préparation de cet album m’a quand même un peu épuisé.

Tu l’as fini quand exactement ?

J’avais une quinzaine de démos en février 2016. Mais en soi, il est fini depuis juin 2017.

Pour finir, peux-tu nous dire quels sont les artistes que tu écoutes actuellement ?

La dernière réédition de Pierre Vassiliu chez Born Bad est très bien. J’écoute du Devo en ce moment, ça me fait trop marrer. J’aime bien écouter les trucs un peu chéper de Tim Presley, Cate Lebon et de toute cette team un peu no-wave. C’est le bordel, c’est super brut et dissonant et à la fois pop.


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