Avec Digital Species l’illustratrice Hélène Jeudy nous fait passer quelques vortex pour se retrouver dans une nouvelle dimension. Au sens propre, comme au sens esthétique.
Au loin, l’horizon devient flou. La réalité doit alors se colleter avec ces limites vagues, et notre imagination prendre le relais. Qu’y a-t-il derrière ce brouillard, ces mirages ? C’est là que le travail d’Hélène Jeudy démarre. Car celle-ci n’a que faire des pauvres référentiels de notre quotidien. Le monde, tel que le perçoit la dessinatrice lilloise et co-fondatrice du studio Geriko, est une entité modulable qui ne vaut que par sa distorsion. Elle y pioche de l’énergie, un esprit, des évocations et en reconstruit un autre à sa mesure au fil de ses dessins. Ainsi, pour ce Digital Species sorti aux Éditions FP&CF, nous emmène-t-elle dans ces territoires étranges, connus d’elle seule qui part en exploratrice dans ces espaces impossibles. Nous voici donc emportés dans une tribulation aux contours flous où les pages n’offrent que de rares points d’accroche. Encore nous faudrait-il, pour parler de tribulation, quelques notions d’espaces et de temps, un début et une fin, un point A et un B. Ici, nous sommes au milieu des volutes, dans une sorte de gestation onirique d’un univers parallèle.
Le remarquable travail graphique d’Hélène Jeudy puise largement dans les mangas dystopiques et les fulgurances offertes par le dessin numérique. Son Digital Species est le résultat de ces recherches graphiques et fantastiques. Il est l’imagier de ces mondes nouveaux et essaie d’approcher ce fameux point qui va au-delà du réel, autant sur l’esthétique pure que sur ce qu’il nous raconte. Y surgissent des êtres, des décors, des paysages qui sortent d’une autre terre, d’un autre temps. À l’intérieur de cette post-réalité, les couches se superposent, l’ensemble se modifie et ne trace jamais une ligne claire et concevable. Et nous évoluons, bluffés, dans cet ensemble de choses et de formes impalpables mais donnant la sensation d’exister pourtant. Car, oui, nous en sommes persuadés, quelque part, à un moment donné, ces spécimens existent bien.
Digital Species, d’Hélène Jeudy aux Éditions FP&CF, 36 pages, 30 €.