[Les Papiers du Mag] Y a plus d’saison

Par Pascaline Vallée

Ancienne de chez Mouvement et Arts Magazine, Pascaline Vallée se penche ici sur l’importance de la futilité : quand nos discussions météorologiques rejoignent les enjeux capitaux de notre temps.

Simple comme bonjour. C’est même, le plus souvent, ce qui vient immédiatement après. Avec pour vocabulaire de base celui des éléments et des sensations, la discussion météo est sans doute la plus pratiquée par les Français. Contrairement aux tenues des présentatrices qui l’annoncent à la télé, le sujet est indémodable. Dans nos sociétés occidentales, elle est partagée par la plupart des classes sociales et des générations.

Nous la lançons le plus souvent sans nous en rendre compte, d’une exclamation en entrant quelque part, ou d’un incontrôlable « ça va ? Il fait beau chez toi ? » lors d’un appel téléphonique. Palette aux mille nuances, la discussion météo se conjugue à tous les temps : passé, présent, futur. Elle est alimentée par de fines observations comme par les impressions les plus superficielles. Parfois, pour se donner du crédit, on emprunte à la froideur clinique des bulletins officiels, vents calculés de près et crues vigilancées d’orange ou de rouge. Selon les humeurs, on se prend à espérer, pariant contre les experts qu’un temps si beau ne peut pas s’arrêter demain.

Est-ce tant que le sujet nous préoccupe ? Hormis pour les exploitants agricoles et les personnes travaillant en extérieur, l’enjeu n’est pas crucial, mais il touche à ce que nous avons de plus commun : le ciel au-dessus de notre tête. Quelle que soit notre vie, il y aura bien un moment où il faudra mettre le nez dehors, en filant ou en flânant, et donc se retrouver aux prises avec les éléments – au contact de l’air.

Sous ses apparences futiles, la discussion météo revêt aussi une importance sociale. Discuter « de la pluie et du beau temps », c’est déjà discuter, ne pas être seul. Plus qu’une manière de lier connaissance, elle est aussi l’assurance de l’entente. Se réjouir, s’alarmer ou se plaindre, ensemble. Lorsque le thermomètre taquine le zéro degré et que vous affirmez qu’il fait froid, il y a peu de chances que l’on vous contredise. Avec vous, on acquiesce : on est du même côté dans la bataille que nous livrent (ou les cadeaux que nous offrent) les éléments.

“Dans la littérature, surtout romantique, le ciel est souvent le miroir idéal des sentiments humains.”

De fait, parler météo n’est souvent qu’un prétexte. En réalité, c’est leur état intérieur que dévoilent les interlocuteurs. Dans la littérature, surtout romantique, le ciel est souvent le miroir idéal des sentiments humains. Plus prosaïquement, nous nous servons régulièrement du temps pour exprimer, en la lui attribuant, notre lassitude ou joie de vivre. Le temps et l’humeur partagent pas mal d’adjectifs : radieux, maussade, sombre, dégagé, comme si les deux étaient inextricablement liés, le moral indexé sur la courbe des températures. D’ailleurs, on attribue aux vents violents des syndromes d’énervement, de dépression, voire de folie.

Par habitude, les paroles posées sur le temps qu’il fait sont associées aux oiseux : seuls les vieux et les poètes ont le temps de regarder les nuages. Ces dernières années, pourtant, des propos engagés se glissent de plus en plus dans l’inoffensive discussion météo. Discrètement, l’ordinaire se modifie, alerte par à-coups. Avis fatalistes, révoltés ou sceptiques commentent la santé du monde. On en relève les signes, niveaux d’eau et de chaleur déboussolés. On s’alarme ou on se rassure (« en 66, souvenez-vous… ») ; nous n’avons, à notre disposition, que des « peut-être » pour expliquer. Pour couper court au désarroi, on se replie sur la seule vérité tangible : le constat que sont perdus les repères séculaires du cycle naturel. L’immuable « Y a plus d’saisons » est une autre manière de dire que le monde marche sur la tête.

Rien n’est plus mouvant que la météo. D’un lieu à l’autre, d’un moment à l’autre, le temps change. La course des vents est infinie, et le soleil d’hiver n’est pas le même que celui de l’été. Dans les enseignements de méditation, qui empruntent beaucoup aux philosophies asiatiques, on vous propose d’imaginer que les pensées encombrantes sont des nuages, qu’il faut apprendre à laisser passer. Non pas à éliminer, mais à observer pour s’en distancier. « La seule chose qui ne changera jamais, c’est que tout change tout le temps », dit le Grand commentaire du Yi-jing. Positiver à longueur d’hiver, s’inventer un ciel intérieur au beau fixe, ne serait donc pas une bonne idée, et serait même néfaste pour la santé. Il faut s’accorder au temps, celui qu’il fait comme celui qui passe, accepter les ciels chargés et faire qu’ils soient suivis de clarté.

Observer le temps et ses effets, voilà une activité que l’on ne s’autorise plus, ou jamais assez. On se contente d’un bol d’air, coup d’œil soupiré vers le ciel, et des rectangles découpés par nos fenêtres dans le paysage. Pourtant, s’intéresser aux modifications atmosphériques, qu’elles soient à peine perceptibles ou spectaculaires, offre un certain avantage : être reliés à notre monde. Certes, le temps n’en sera pas changé, mais cela nous rendra plus attentifs et sensibles. À la nature, à soi, au mouvement des choses.

© Photo : Dimitry Anikin

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