[Les Papiers du Mag] Mes nuits de boue

Par Marie-Lou Morin

La journaliste Marie-Lou Morin, passée notamment par L’Obs, Grazia et I-D, nous raconte ses tracas météorologiques en période festivalière. Et non, Woodstock n’est pas la règle.

Ça a commencé il y a quelques années déjà… Quand, par une terrible corrélation de faits indiscutables, on a décidé de me surnommer « la guigne ». À la suite de ça, le pouvoir de la pensée magique a fait le reste. Un surnom peut enfermer les gens de façon irrémédiable dans ce qui constitue leurs plus grandes angoisses. Mon angoisse, à moi, c’était la météo. Indomptable et imprévisible, elle a pu gâcher les meilleurs moments de mon existence. Et m’a certainement fait perdre mon insouciance.

La malédiction s’abat sur moi telle Tantale et sa famille. Voilà, c’est dit : partout où je passe, le beau temps trépasse. Il y a bien eu ce mois d’avril 2003 où, lors d’un voyage scolaire, j’ai vu Venise couverte de neige… Mais « la guigne » date bien de 2015. Baleapop, Saint-Jean-de-Luz. Six ans que le festival existe déjà, et on me l’a promis, malgré le climat capricieux du Pays basque, jamais une goutte de pluie. Avec allégresse, je mets donc deux maillots de bain, trois robes et des espadrilles dans ma valise en me voyant déjà spring-breaker au bord de l’océan.

Alors que je rejoins mes amis, arrivés plut tôt, au bord de la piscine, le temps est à la fête. Direction le parc Ducontenia pour découvrir ce que le collectif Moï Moï, instigateur du festival, a préparé. Devant la mélancolie de Flavien Berger, le temps se brouille. L’odeur de pétrichor commence à se faire sentir. La terre sèche se couvre peu à peu de pluie, et exhale ce mélange d’humus et de roche si particulier. C’est beau, mais je commence à m’inquiéter. On ne tiendra jamais tous sous ce chapiteau si ça dégénère. Puis une pluie diluvienne s’abat sur le parc. Alors que Jessica93 déroule toute la noirceur de son shoegaze dans une gadoue démiurgique, facilitant (ou pas) les pogos déchaînés, c’est la coupure électrique, fatale. Je suis couverte de boue, les gens dévalent les pentes tout autour de moi. Sur le chemin du retour, alors que personne ne veut nous prendre en stop (on a clairement l’air d’une bande de punks à chien), la pluie continue de tomber : elle durera trois jours. Le lendemain, alors que ma chevelure a pris des airs de perruque de Louis XIV, et que je suis la risée de ma colocataire de chambre, les festivaliers m’assurent qu’ils n’ont jamais vécu un Baleapop comme celui-ci. Mes amis me regardent, et conviennent unanimement que ma venue n’y est pas pour rien dans tout ça. La « guigne » est née.

© Hannah Thual

En 2016, rebelote. We Love Green quitte le bois de Boulogne pour rejoindre celui de Vincennes. C’est une tradition, depuis sa création, je ne manque aucune édition. Les jours précédents, en plein mois de juin et alors que j’y ai connu des moments de douce communion sous une chaleur qui sentait bon l’été, la pluie a transformé le bois en arène de catch. Confiante, mais surtout naïve, je ne renonce pas devant l’adversité. Chaussée de baskets, j’estime que la pluie qu’ils annoncent à nouveau ne m’empêchera pas d’atteindre le carré VIP pour resquiller la queue aux toilettes. Sur place, l’apocalypse m’attend. Woodstock au bois de Vincennes. L’orga s’agite dans tous les sens, les concerts sont annulés les uns après les autres… Où sont les couronnes de fleurs, les tatouages éphémères, les filles qui ont pris un passeport pour Coachella ? WLG n’est plus qu’un immense terrain de boue, où chacun peine à se mouvoir, englué dans une fange monstrueuse. Mes amis me regardent, et m’accusent une nouvelle fois. « C’est normal, la guigne est avec nous. » Le lendemain, après avoir constaté que les bottes de pluie sont en rupture de stock dans toute la capitale, je déclare forfait. Je ne suis plus jamais retournée à We Love Green. Il a toujours fait beau depuis.

Ma famille, maraîchère, m’a appris à me méfier du mauvais temps. J’ai été bercée par des histoires de déluge mortifère, de récoltes gâchées, de chrysanthèmes décapités par la grêle… La pluie est l’ennemi numéro 1, le vent une plaie, l’orage une malédiction. La dépression, souvent due à une perturbation, fait partie de mon champ lexical. La météo est le baromètre de mon humeur, et je peine à braver les éléments quand il s’agit de faire la fête.

Jusqu’à ce jour d’août 2017… Au Flow Festival, à Helsinki, ma peine de cœur sous le bras, je me retrouve seule avec des inconnus, à devoir couvrir un festival gigantesque. Évidemment, les journalistes arrivés quelques jours avant avaient profité des bains finlandais en se baignant dans la Baltique sous un soleil radieux. Je plonge dans les festivités à cœur corps perdu. Dans la soirée, un orage éclate. Je me retrouve sous des trombes d’eau devant le set de Soichi Terada, chantre de la house japonaise. Son enthousiasme et son sourire éternel me culpabilisent. Je reste. Il laisse la place à Jon Hopkins, que j’ai déjà vu mille fois, mais soudain une épiphanie. Sous cette pluie d’été, j’oublie tout. Mes filtres mentaux explosent. Je ne suis plus, je suis autre. Hypnotisée par de longues plages ambient, des montées grandioses, je suis (sobre) purifiée de mes angoisses. Un moment de grâce qui m’a guérie à jamais de cette méfiance envers les éléments. Un baptême, puis une renaissance.

Kiblind « Météo » se lit en entier ici

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