Les Gens du Mag : Marco Quadri

Avec une palette restreinte et des compositions démentes témoignant tout son amour pour la bande dessinée, Marco Quadri vise à chaque fois dans le mille. On a discuté un peu avec cet illustrateur italien au talent certain, suite à son illustration publiée dans Kiblind « Monstres ».

Mettez y quelques personnages qui attirent l’oeil, ajoutez y un joli décor, tartinez le tout avec quelques couleurs savamment choisies, salez avec une once de mystique et de références pop, soignez la composition et secouez bien. Bravo, vous venez d’essayer de reproduire la recette inégalable pour réaliser une illustration à la façon de Marco Quadri. Attention cependant, malgré vos vaines tentatives, dur d’arriver à la cheville de l’illustrateur italien, tant il a su façonner son univers.

C’est après un diplôme en technique de gravures traditionnelles obtenue à l’académie des Beaux-Arts d’Urbino et une master en illustration à l’ISIA que Marco décide d’ancrer sa pratique artistique autour de la bande dessinée et de l’édition. Amoureux du print, il lance même en 2020 son propre studio riso, faisant également office de maison d’édition indépendante : Enter Press.

Pour Kiblind « Monstres », nous avons proposé à l’artiste de nous donner sa vision de la thématique. Imprégnée des contes folkloriques sardes, l’œuvre qu’il nous a suggéré est bien plus complexe qu’elle n’y parait, et c’est lui qui nous en parle le mieux.

« Mais qui sont les monstres ? » – Création originale de Marco Quadri pour Kiblind « Monstres »

Salut Marco. Pour notre magazine Kiblind « Monstres », tu as illustré trois personnages anthropomorphes avec, en fond, un fantôme. Peux-tu nous parler du lien entre ces différents personnages ?

En fait, à l’arrière-plan, ce que vous voyez est une domus. Les domus sont d’anciennes tombes creusées dans des roches qui sont réparties dans toute la Sardaigne. Ces grottes abriteraient les trois personnages, les janas, petites créatures parfois reconnues comme des fées, des sorcières, des prêtresses ou encore des déesses. À ce propos, je me suis d’ailleurs intéressé aux recherches effectuées par un duo d’artistes italiens sur les sorcières/monstres de la région sarde. Ces figures sont liées à la tradition des contes folkloriques, mais le duo traite de ce sujet avec une vision contemporaine. Selon eux, le monstre serait un pont entre ce qui est considéré comme humain et ce qui est « naturel » ou sauvage.

Voici un extrait de leurs écrits fictifs publiés dans un magazine italien (Robida, Island, 2022) : « Les Janas sont de minuscules bestioles pas plus hautes qu’un brin d’herbe. Elles ont de longs ongles, pointus comme des feuilles de chardon. Elles creusent leurs propres tanières pour cacher leurs précieuses vestes tissées de fils d’or. Craignant que le soleil ne brûle leur peau fine et luisante, les Janas ne sortent que la nuit, lorsque leurs petits yeux chatoyants reflètent le clair de lune » (Adele Dipasquale, Cristina Lavosi 2022). J’ai vraiment aimé la clarté avec laquelle ils ont dépeints ces créatures dans ce texte.

Et toi, quelle est ta définition du monstre ? 

Je n’ai pas vraiment de définition, mais dans mon esprit, c’est quelque chose qui échappe aux paramètres du réel. Il est caché, marginal. C’est la capacité ou la volonté d’imaginer quelque chose d’autre, de différent. Ce n’est pas un animal mais plutôt un pont entre l’humain et ce qui est considéré comme le non-humain. Quelque chose qui est très ancré dans le récit et la narration, une manifestation en quelque sorte.

« Dogs »

Tu sembles t’inspirer du style rétro-futuriste ou de la bande-dessinée des années 70. Quelles sont les artistes qui t’ont inspiré ou t’inspires aujourd’hui ? 

Il y a quelque chose que j’aime dans l’imagerie de science-fiction rétro, mais je n’y connais pas grand chose et je n’ai pas d’artistes ou de références spécifiques pour le travail que je fais. Je ne m’intéresse pas forcément à la science-fiction en tant que style littéraire, mais plutôt comme une manière d’inventer les prémisses pour raconter une histoire et montrer un monde qui n’est pas forcément ancré dans notre propre réalité.

Par contre, je peux vous citer des auteurs de bande dessinée contemporaine que j’apprécie. Voilà ceux qui me viennent à l’esprit : Olivier Schrauwen, Anna Haifisch, Andrea De Franco, Adèle Verlinden, Hanne Jatho, Adriana Marineo, Disa Wallander, C.F., Nino Bulling, Aidan Koch, Cory Feder etc…

BD pour Le Monde Diplomatique, juin 2022

Tu dessines des personnages à l’apparence humaine ainsi que d’autres qui ressemblent d’avantage à des créatures. Quelle est la différence dans leur traitement?

Dessiner des figures humaines n’est pas du tout facile pour moi, même si j’aimerais explorer ça davantage. Néanmoins, j’ai l’impression que beaucoup de personnages humains apparaissent déjà dans mes histoires. Quoi qu’il en soit, tout ce qui n’est pas humain est plus facile à dessiner pour moi. Je pense que je peux regarder les formes d’une manière plus abstraite et les développer. Il y a plus de facteurs à prendre en compte pour dessiner des êtres humains.

« You Feed Fire Like it’s a Horse »

Tu as fondé avec d’autres illustrateur.rice.s le studio riso Enter Press. Y a t’il d’autres techniques que la risographie avec lesquelles tu aimes imprimer tes œuvres ? 

Depuis que nous avons acheté la machine, l’impression en risographie est devenue pour moi la chose la plus accessible, c’est direct et je l’utilise quand je veux et quand je peux. Mais j’ai aussi travaillé quelques fois avec la sérigraphie et j’aime toujours voir quelque chose imprimé en offset.

« Exit »

Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?

L’un des projets les plus amusants et les plus significatifs auxquels j’ai participé est un projet financé par l’Europe appelé « Invisible Lines« . Grâce à ce projet mené en 2021, 12 artistes de bande dessinée européens ont pu voyager à travers l’Italie, la République Tchèque et la France pour travailler et faire des bandes dessinées, au cours de trois résidences. Pendant ces trois mois, nous avons fait trois anthologies et sommes devenus de bons amis. Tous ceux qui nous ont accueillis étaient très accueillants et toute l’expérience a été formidable. Central Vapeur (FR), Baobab Books (CZ) et Hamelin (IT) sont les organisations et maisons d’édition avec lesquelles nous avons travaillé.

Projet réalisé dans le cadre d’Invisible Lines »
Projet réalisé dans le cadre d’Invisible Lines »

Bottleneck est une bande dessinée que j’ai commencé à publier en ligne et qui est devenue plus tard la première longue histoire que j’ai faite. Je travaille toujours dessus et elle sortira au second semestre de cette année. Le « Bottleneck » est un terme de production industrielle qui indique un endroit où il y a une congestion. La fluidité est compromise, tous les éléments s’entassent à un point précis et conduisent, sinon à l’arrêt, à un ralentissement prévenant du rythme régulier des choses. « Bottleneck » est un endroit où toutes les routes se rétrécissent et se rejoignent. À partir de cette idée, la narration prend la forme d’une série chorale d’événements qui se produisent tous le même jour et la même nuit. Quelque chose doit arriver et tout le monde attend de réagir différemment au changement à venir. L’ambiance de la bande dessinée se dessine dans un sentiment de précarité et d’urgence.

Planche issue de « Bottleneck »
Planche issue de « Bottleneck »

Ensuite, il y a le dernier projet sur lequel j’ai travaillé : Dernier Resort. C’est une série de bandes dessinées éditée par la maison d’édition indépendante Magma Bruta (PT), la première sortira en février 2023. Le processus de travail avec eux a été très agréable. Dernier Resort est une histoire fictive qui se déroule sur une petite île où un complexe de maisons vertes et autonomes a été créé en réponse à la crise du logement dans une grosse ville voisine. Peu de gens ont la possibilité de faire partie de cette communauté autonome, et donc de vivre autrement, d’échapper aux loyers élevés et d’être réprimés par les rythmes de la métropole. Il est clair qu’avec le temps, quelque chose a mal tourné. L’histoire prend forme à partir de nombreuses lectures et de mes expériences personnelles, lorsque j’ai pu vivre pendant quelques semaines dans une maison conçue pour être complètement autonome sur une île australienne appelée Phillip Island. Là bas, les espaces intérieurs et extérieurs se mélangeaient créant une forte sensation d’être dans un lieu de vie complet, le tout avec ses avantages et ses inconvénients.

Planche issue de « Dernier Resort »
Planche issue de « Dernier Resort »

MARCO QUADRI // KIBLIND MONSTRES

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