Avec leurs couleurs audacieuses et leurs personnages aussi énigmatiques que fascinants, on reconnait les illustrations de Corentin Garrido en un battement de cil. Curieux comme tout, nous avons demandé au jeune illustrateur de réaliser un exercice graphique pour notre numéro spécial Faits Divers. Il nous parle de cette illustration et de toutes les autres ici.
Les grosses bagnoles et les flingues, c’est pas son truc à Corentin, et c’est tant mieux. Quand on lui a demandé de dessiner l’affaire de Toni Musulin, ce célèbre convoyeur de fonds lyonnais qui s’est barré avec 11,6 millions d’euros, l’illustrateur a décidé de plutôt s’attarder sur ce qu’il se passait là haut, dans le psyché du garçon. Il a donc eu l’excellente idée de le représenter petit, rêvant à ses futurs exploits lors d’une partie de Mille Bornes.
On le savait déjà, Corentin est trop fort. C’est après six années d’études à l’EESI d’Angoulême, un voyage révélateur au Japon et une liste monstrueuse de films pour référence que celui-ci s’est officiellement lancé dans le grand bain de l’illustration. Amoureux précoce de l’édition, l’illustrateur a même publié son premier livre, Astroboy T.06 (La 5ème Couche) alors qu’il était encore étudiant. Aujourd’hui, c’est chez Fidèle qu’il fait ses armes en imprimant en risographie ses créations où personnages pensifs et détails surréalistes cohabitent dans un parfait tableau aux couleurs inhabituelles. On ne s’est pas privé de faire un peu plus connaissance avec Corentin suite à son illustration pour Kiblind Faits Divers.
Salut Corentin. Quel est le fait divers qui t’as le plus marqué ?
Est-ce que la sortie d’un album de Lady Gaga ça rentre dans la catégorie faits divers ?
Connaissais-tu l’affaire de Toni Musulin, et comment as-tu appréhendé l’exercice qu’on t’as demandé de faire pour ce numéro Faits Divers ?
Non, je ne connaissais pas du tout l’affaire de Toni Musulin, c’est peut-être passé aux infos quand j’étais ado mais j’avoue n’y avoir prêté aucune attention. J’étais assez content de ne pas avoir un fait divers qui m’a personnellement marqué, où j’aurais été trop influencé avec des visuels déjà enregistrés dans ma mémoire.
Peux-tu nous expliquer ton cheminement de pensée quant à la création de cette illustration, notamment dans la volonté de vouloir représenter Toni enfant ?
J’ai essayé de projeter une illustration dans mon univers, qui est pour l’instant et pour ce qu’il est un endroit assez calme et paisible, je ne voulais pas de scène de course poursuite ou de scène ressemblant à un film d’action. Cela m’a paru au final naturel d’imaginer une rêverie, un
fantasme de voleur qu’on peut avoir en regardant des films lorsqu’on est enfant. On ne se rend pas compte que c’est “pas bien” ou du moins on trouve ça cool d’être le méchant.
On observe une nette différence entre tes premières créations et tes illustrations plus récentes, notamment dans la représentation des personnages. Peux-tu nous décrire cette évolution ?
Je pense de façon assez naïve que mon dessin est en perpétuelle évolution, je sens nettement une différence depuis mon voyage Erasmus de 4e année au Japon. Non pas que je me suis laissé bercer par la culture japonaise (car c’est déjà le cas), mais plus que je me suis libéré de l’école et de ce qu’elle pouvait attendre de moi. C’est à ce moment précis que j’ai compris que je
pouvais et voulais faire de l’illustration mon métier. J’ai laissé libre court à mon dessin, quitte à ce qu’il soit quelquefois répétitif, à ce que ce ne soit pas toujours LE sujet à dessiner…c’est pas grave, ce qui importe c’est de me faire plaisir.
Quelles sont tes inspirations dans la vie quotidienne ?
Je regarde beaucoup de films, c’est un peu évident dit comme ça, mais c’est vrai que s’exposer à des images, à des plans et des couleurs agencés par d’autres personnes j’imagine que ça fait son petit bonhomme de chemin tout seul jusqu’à mes futures idées. J’aime beaucoup le cinéma de Jacques Demy, j’ai regardé Peau d’Âne tout petit et je crois que c’est le film que j’ai le plus vu tout film confondu, forcément cela a eu un impact sur mon dessin. Mon plus grand souhait, c’est d’arriver à retranscrire à d’autres gens ce que
Jacques Demy me fait ressentir. Je tiens aussi un compte instagram “privé” où je liste tous les films que je regarde, au début c’était une simple liste mais le fait de l’avoir retranscrit sur instagram m’oblige à chercher
des images et à choisir ce qui m’a plu, quitte à passer une heure après avoir regardé un film sur un site de screenshots.
Tu accordes beaucoup d’importance au print, as-tu des envies particulières de formats /d’ouvrages pour le futur ?
C’est vrai que le print est au centre de ma pratique, déjà parce que cela m’intéresse beaucoup, je prends trop de plaisir à imprimer moi-même mes images et cela n’a pas la même saveur que lorsque je commande une impression. Imprimer mon image, c’est aussi la faire exister ailleurs que sur Instagram, ça me permet de redonner vie à d’anciens dessins. Je rêve depuis plusieurs mois de faire un recueil d’illustrations, je l’imagine imprimé dans plusieurs techniques différentes, chacune rendant hommage à un certain type de dessin, un peu à la manière de Toshio Saeki, avoir un livre avec des illustrations pleines pages, hyper colorées… ça serait fou ! Mais j’ai plein d’autres projets sur le feu et une vie mouvementée alors je me pose jamais pour y réfléchir sérieusement.
Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été importants pour toi depuis tes débuts ?
Je dirai en premier ma première édition à la 5e couche, qui est une adaptation détournée d’Astroboy, dans la lignée de mes inspirations à ce moment là : Jochen Gerner et Ilan Manouach, c’était mon projet de diplôme de 3e année alors forcément c’était marquant.
Il y a eu ensuite ma première couverture pour le journal mensuel Biscoto, c’est une maison d’édition que j’affectionne particulièrement et avoir eu l’honneur de faire la couverture d’un de leur numéros, ça m’a fait très plaisir, surtout que cela coïncidait avec ma sortie d’école, ce qui est plutôt réconfortant.
Enfin en dernier je dirai mes dernières risographies, imprimées au Studio Fidèle, je suis en stage là-bas depuis quelques mois et c’est vrai que ça influence pas mal ma pratique, j’essaie de faire des prints pour moi en plus de mon travail, ça me fait penser à de nouvelles manières d’aborder les couleurs, je gère moi-même l’impression, c’est tout un nouveau pan de ma pratique je pense qui peut se développer ici.