Les Gens du Mag : Arthur Sevestre

En démultipliant les personnages et en leur donnant vie avec son trait délicat, Arthur Sevestre construit son propre monde. Nous avons papoté suite à son illustration pour Kiblind « Vertige ».

Dans la vie, tout est possible. Regardez Arthur Sevestre : abonné aux chronos pas terribles à la piscine de l’école, l’aventureux illustrateur n’a pourtant pas hésité lorsqu’il a fallu plonger la tête la première dans les mondes merveilleux de l’illustration et de l’animation. Mieux encore, il continuer de s’y balader avec la grâce d’un Manaudou. Il faut dire, que même si il a pu avoir tendance à penser le contraire, Arthur Sevestre en impose avec ses dessins aussi forts narrativement que doux esthétiquement. Ses aquarelles habilement placées entre les doigts, l’illustrateur parisien a pris pour habitude de dépeindre les scènes qui l’ont marqué. Un plongeur un peu pédant, une foule de concert aussi saisissante que fascinante…. Arthur Sevestre ne manque pas une miette de ce qui l’entoure et n’a pas son pareil pour le capturer et l’enrober de joli.

Passé par l’atelier de Sèvres et par la Poudrière, il a déjà animé plusieurs courts-métrages dont Agathe et les détails et le superbe La Vita Nuova aussi drôle qu’esthétique. Charmés par son univers, nous lui avons demandé de dessiner le vertige pour notre dernier numéro. Résultat : une illustration aux proportions qui nous happe à l’infini. On a posé quelques questions sur sa pratique à l’artiste.

Création originale de Arthur Sevestre pour Kiblind « Vertigo »

Hello Arthur. Tu as choisis de dessiner une piscine municipale bondée et un personnage s’apprêtant à sauter d’un plongeoir pour Kiblind « Vertige ». Pourquoi avoir choisi cette scène de vie en particulier, une mauvaise expérience ?  

Évidemment, on peut y voir quelque chose de lourdement métaphorique qui résonne à plein de niveaux en moi : détester la piscine à l’école (où je me rappelle faire “des moins bons temps que les filles” ce qui était la honte), avoir moi-même le vertige et donc haïr les plongeoirs qui sont supposés être un truc grisant (??). Je viens aussi tout juste de sortir des études, donc un peu sur le seuil de ma vie d’adulte, je m’apprête aussi à sauter dans le vide. Je crois m’être dit aussi, à la fin, que c’était un garçon regardé par d’autres hommes, exclu en haut de son perchoir, comme n’appartenant pas au club, patati patata…

Bon, voilà plein de beaux sujets à aborder dans une psychanalyse, mais on s’ennuie un peu. J’aime mieux me dire que c’est une réinterprétation d’un souvenir de vacances. Été 2021, je suis avec des amis au bord d’une piscine municipale noire de monde à Colle di Val d’Elsa en Toscane. Il fait 45 degrés à l’ombre parce que c’est la fin du monde et on regarde les gens sauter d’un grand plongeoir avec plusieurs niveaux. Un drôle de monsieur surgit au plus haut palier, attirant l’attention de toute l’assemblée. Il nous fait rigoler, nous fait applaudir mais surtout il nous fait mariner pendant 10 min avec son cirque et, finalement, ne saute pas. Il y a ce drôle de vertige là aussi, quand sur une scène de théâtre, de danse, de concert (ou manifestement à la piscine), celui qui performe capte toute notre attention et d’une certaine manière, nous maintient en suspens. Il y a peut-être de ce jeu-là aussi dans ce personnage qui attend pour sauter. Pendant un instant, il est le roi du monde, c’est un peu vertigineux non ? Peut-être que je raconte n’importe quoi ?

Influenceurs Montmorency

Peux-tu nous citer un exemple d’une oeuvre qui t’as donné le vertige récemment ?

Je ressens souvent un vertige très particulier en musique. C’est difficile à définir mais les symptômes, c’est à peu près que j’ai la chair de poule, un sourire béat et parfois une larme au coin de l’oeil. La dernière fois c’était à l’écoute de « why does the earth give us people to love » de Kara Jackson. C’est le nom de l’album mais aussi de sa plus belle chanson. Kara raconte la perte d’une amie proche, et leur histoire. Après quatre minutes plutôt dépouillées et douloureuses, des cordes et des percussions viennent soulever l’ensemble, donnant un soudain entrain à une histoire dont on connaît pourtant déjà la triste fin. Kara et son amie parlaient de monter un groupe, de voler le van des parents, mais on le sait, il n’y pas de groupe, Kara signe sa musique en solo. L’arrangement doux-amer du final et le texte magnifique, ça me bouleverse. Je crois que je trouve vertigineuses des œuvres qui me surprennent encore et encore, strates après strates me ravissent dans tous les sens du terme. C’est vraiment une sensation fascinante. 

Le proscrit

Tu as intégré l’Atelier de Sèvres et La Poudrière, deux écoles d’animation renommées. Est-ce que ça a poussé ta créativité et ton processus de création à évoluer ? 

J’ai eu deux expériences très différentes dans ces deux écoles. À l’Atelier de Sèvres, je découvrais le dessin (que j’ai commencé sérieusement assez tard), j’étais un jeune chien fou qui travaillait chaque minute de son temps. Je séchais même les exercices qui ne m’intéressaient pas, estimant que ça ne me servirait à rien, qu’il était préférable de dessiner dans mes cahiers. 

Je suis entré à la Poudrière sans être diplômé de l’Atelier de Sèvres parce que je n’avais pas réussi à terminer mon film de diplôme (qui était complètement infaisable – une comédie musicale de 7 minutes avec des foules qui dansent, tout en 2D…). À ce moment- là, en septembre 2020, donc juste après le premier confinement, j’étais sans doute un peu plus mature et le cadre, beaucoup plus strict, m’a finalement fait beaucoup de bien. C’est une école où on apprend à canaliser sa créativité et la transmettre de manière construite, mais c’est aussi une école où le sujet n’est jamais d’être le meilleur. J’avais la chance d’avoir une super promo où tout le monde avait sa place et se tirait vers le haut. En fait, je me suis autorisé à arrêter de courir après l’idée d’être brillant à tout prix et j’ai pu fouiller dans d’autres directions. J’ai beaucoup écrit, beaucoup réfléchi, dansé souvent, un peu moins dessiné, et je me suis soudain senti beaucoup plus sincère dans mon travail. Maintenant que j’en suis sorti, la Poudrière m’apparaît comme une sorte d’Eden créatif où j’étais en harmonie avec l’univers. Et maintenant, j’ai atterri à nouveau sur Terre où tout est âpre et fatigant…

Personnages de carnet, illustration personnelle

Tu aimes dessiner les gens, la foule. Est-ce un moyen pour toi de te pousser à développer sans cesse tes personnages ? 

Pour être tout à fait honnête, c’est parfois un peu comme faire des recherches de personnages tout en ayant l’air de faire de l’illustration, ce qui est pratique. Mais je pense que j’ai une fascination pour la foule. J’adore les concerts et les clubs. Il y a cette espèce de proximité qui n’existe nulle part ailleurs (à part dans le métro mais bon, en général on y est pas aux heures de pointe par loisir). Tout à coup, on se sort un peu de soi-même, c’est un moment de communion fort. Je ne suis pas quelqu’un de particulièrement spirituel mais je délire souvent en boîte, je trouve une beauté un peu transcendante dans l’image d’une foule qui se débat, submergée par une musique ultra forte. J’y ai l’impression d’appartenir à quelque chose, je m’y sens bien. J’aime aussi énormément l’idée que tous ces gens sont autant d’individualités, d’histoire en cours d’écriture, que si on zoome, il y a des millions de détails que l’on ne soupçonnait même pas et que, peut-être, nos vies se croiseront. C’est même à mon sens la quintessence du romantisme : quelqu’un, là, qui surgit de l’insondable foule citadine et hop, c’est l’amour. 

Où est Marly ?

Tu sembles apprécier alterner plusieurs techniques pour créer. Quel outil privilégies-tu plutôt qu’un autre pour dessiner et animer tes oeuvres ?

Comme en ce moment je sais plus qui je suis, je fais un peu tout et n’importe quoi. Mais jusqu’ici, j’avais l’impression d’avoir toujours plus ou moins fait la même chose, des encres aquarellables. Je m’auto flagelle souvent en me disant que si j’étais un vrai artiste je pourrais faire de belles choses avec n’importe quelle technique, un peu comme Hockney qui a fait, sinon des chefs d’œuvre, au moins des travaux très intéressants, toute sa vie et avec n’importe quoi. Mais bon, je crois que par souci de santé mentale c’est pas super recommandé de se comparer à Hockney. 

J’aime beaucoup travailler avec des encres aquarellables. Je trouve les rendus finalement assez divers pour une technique à l’eau, et les couleurs sont très vives. C’est aussi une technique limitée. Comme tout est à peu près transparent, superposer les couches peut rapidement faire brouillon. On ne peut donc pas changer d’avis sur un même dessin et repasser dessus, il faut recommencer ou accepter son sort. C’est à double tranchant, je finis plus rapidement mes dessins mais forcément ça arrive aussi de rater complètement. Ce qui est finalement assez marrant puisqu’avec les ordinateurs maintenant, on est moins souvent confronté à l’irrémédiabilité d’un mauvais coup de pinceau. 

Pour l’animation, jusqu’ici j’ai plutôt privilégié l’ordinateur. Mes quelques essais sur papier avaient été peu fructueux. J’ai fait des tentatives d’animation à l’encre souvent plutôt avortées par manque de temps, ce qui est souvent le cas en animation. Mais j’ambitionne de retenter ma chance, je pense que travailler l’animation sur du papier pourrait aussi être très libérateur pour moi : je n’aime pas tellement dessiner à l’ordinateur. 

Cowboyz

Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?

Ce n’est pas (encore) un vrai projet à proprement parler, plutôt un embryon d’univers mais en décembre 2018, j’avais commencé à inventer une histoire que j’avais appelée « Dreamboat », en référence à un film documentaire dont je m’étais inspiré. Les évènements se déroulaient à bord d’une croisière gay et mettaient en scène des hommes homos plutôt âgés qui se faisaient exclure par les hordes de mecs plus jeunes, plus musclés, plus désirables. C’était en fait la première fois que je dessinais quelque chose de complètement gay, et avec le recul, je le vois comme le projet sur lequel je me suis senti le plus libre graphiquement comme narrativement. C’est un sujet que j’aime toujours et que j’aimerais traiter sérieusement un de ces quatre !

Dreamboat

Mon film de diplôme inachevé de l’Atelier de Sèvres, Agathe et les détails a été une étape très importante pour moi. C’était une comédie musicale de 7min en 2D… Un projet certes complètement déraisonné, mais grâce auquel j’ai appris beaucoup de choses. Ne pas se surestimer et comprendre les moyens et le temps que j’ai à disposition pour un projet, notamment. Mais c’est aussi la première fois que je travaillais à l’encre pour les décors, avec des personnages animés à l’ordinateur. Que ce soit la technique, la palette, le graphisme, il y a encore de nombreuses traces de ce que j’avais développé à l’époque (en 2019) dans mon travail d’aujourd’hui. La musique était composée par César Depouilly, avec qui j’avais joué dans un groupe autrefois. J’y ai contribué en enregistrant la batterie, instrument que je pratique depuis plus de quinze ans. C’était la première fois depuis très longtemps que je contribuais à un projet musical aussi ambitieux. Cela m’a donné envie de m’y remettre plus sérieusement et je joue aujourd’hui dans un groupe de rock qui s’appelle Allo Christine. Mon film de première année de la Poudrière – parce que j’étais pas très content de ce que je faisais et que je me trouvais nul et patati patata le truc typique de l’artiste mal dans sa peau. Et en fait il s’est trouvé qu’à l’école ils ont pas aimé mon film non plus, j’ai eu une mauvaise note. Résultat, je me suis senti un peu con et j’ai réalisé que personne n’allait aimer ce que je fais à ma place et que c’était 100% à moi d’être volontaire et que cette espèce de posture lascive genre “j’en ai trop marre je déteste ce que je fais”, c’était fini pour moi. C’est un peu la chanson de Miley non ? “I can buy myself flowersss”. C’est plus facile à dire qu’à faire mais ça a été une réalisation importante. 

Agathe et les détails

Le dernier projet qui a été vraiment marquant pour moi, c’était mon film de diplôme de la Poudrière, une petite comédie de 4min, La Vita Nuova. Je l’ai écrit à un moment à la fois très intense et très apaisé de ma vie. Tout était tellement bien organisé à la Poudrière pour que l’on conçoive nos films : juste ce qu’il faut de pression, de la stimulation, des chouettes intervenants, et puis encore une fois ma super promo. Je pense qu’il y a des comédies dont la conception a été tout sauf drôle mais en ce qui me concerne, ça a plutôt aidé à avoir une ambiance légère et tranquille : une grande partie du travail a surtout consisté à trouver des blagues. Mais c’est aussi un film que j’ai fait avec beaucoup de sincérité. Alors que j’avais appréhendé le film de diplôme de l’Atelier de Sèvres comme un moyen de prouver ma valeur, de taper du poing sur la table,… Ici, j’avais vraiment juste envie de raconter cette petite histoire d’amour, assez personnelle, assez anecdotique et c’était très agréable. Bon, le rythme de l’école oblige, les deux derniers mois de la production ont été très très durs, j’ai bossé nuit et jour, maintenu éveillé par le stress, mais bon ça valait le coup !

La Vita Nuova

ARTHUR SEVESTRE // KIBLIND VERTIGE

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