[Interview] Cankun

Tandis que nous bavons régulièrement sur les sorties irrégulières de Cankun et qu’il nous fit jadis une excellente mixtape, nous n’avions jamais pris le temps de bavasser un peu avec lui. L’occasion de son dernier disque, Only the sun is full of gold, était trop belle pour que nous rations le coche. Alors, on l’a pas raté, mais on a quand même deux mois de retard. Histoire de dire.

Aussi surprenant que ce soit, une petite révolution musicale est en train de se tramer au milieu des plaines lozériennes. Elle prend forme sous le nom de Cankun aka Vincent Caylet, artiste se livrant aux expérimentations sonores les plus délicates et abrasives dans son studio d’enregistrement homemade. Un musicien que nous n’avons cesse de louer, il y a une bonne raison à cela : Cankun fait partie de ces trop rares bidouilleurs ambient qui n’ont aucun mal à réveiller notre imaginaire grâce au son. Preuve en est de sa légitimité : il signe son dernier LP Only The Sun Is Full Of Gold chez Hands In The Dark et Not Not Fun. Nous avons eu la chance de discuter de choses et d’autres avec lui. Bon, par Skype. Mais quand même. 

 

Kiblind : Pour commencer, peux-tu te présenter en quelques phrases.  Comment on pourrait commencer ? Cankun : Bonne question. J’habite en Lozère, le département le moins peuplé de France donc. L’avantage, c’est que je suis inspiré par l’environnement qu’il y a autour de moi. J’ai commencé à sortir des disques en 2007. Avec Cankun, j’ai commencé en 2011, ça fait 4, 5 ans que le projet existe.  Kiblind : Quelle était ton ambition lorsque tu es passé du projet Archers By the Sea à Cankun? Cankun : Le but c’était d’aller vers une musique un peu plus facile à écouter, je voulais surtout mettre du rythme dans ma musique. C’était le point de départ. Essayer de sortir un peu de la guitare aussi en étoffant avec des choses différentes, je voulais essayer d’explorer une autre facette. J’écoute beaucoup de musique expérimentale, pas mal de free jazz etc, mais j’aime aussi pas mal de trucs un peu pop, donc c’était aussi l’idée d’aller chercher la pop telle que je la voyais. Je voulais rendre ma musique écoutable par un plus grand nombre de personnes, plus accessible.  Kiblind : La recherche rythmique prime sur la recherche de mélodie pour toi, comment s’achemine la phase de compo pour toi ? Cankun : En fait, le rythme m’amène à la mélodie. Les deux derniers disques ont été construits comme ça, le rythme primait et je construisais la mélodie dessus. C’est difficile à expliquer mais la mélodie vient assez naturellement se greffer sur le rythme. Sur le dernier, il y a un ou deux morceaux un peu différents, le premier notamment où il n’y a pas vraiment de rythme qui est construit sur un sample. Ça amorce peut-être un petit changement mais c’est vrai que c’est souvent la base rythmique qui est importante et donc la mélodie se greffe assez naturellement dessus. Kiblind : Comment t’es tu retrouvé chez Not Not Fun (pour ton premier EP) ? Cankun : En fait, j’ai commencé à écouter beaucoup de musique expérimentale au milieu des années 2000. Du coup, je suis assez naturellement venu vers le label. Max de High Wolf avait déjà sorti deux, trois trucs chez eux, ils sont devenus un label assez important. En discutant avec lui, je me suis dit que ça vaudrait la peine que j’essaye d’envoyer quelques compos moi aussi. Ça ne s’est pas fait du premier coup mais j’ai retravaillé un peu mes sons, je leur ai envoyé à nouveau et on a finalement sorti une K7. Le fait que Max ait déjà sorti des choses chez eux a facilité l’échange. Ils n’ont pas pris les morceaux tels quels, ils m’ont demandé de changer des choses, d’en améliorer d’autres. C’était au début de Cankun donc je pense que j’avais besoin de ça. C’est devenu très vite une relation pas spécifiquement label – artiste classique, Britt Brown (co-fondateur de Not Not Fun) a endossé le rôle de producteur sur la première cassette et on ne s’est pas perdus de vue depuis. Honnêtement, j’y croyais pas au début mais je sentais qu’il y avait quelque chose qui pouvait les accrocher malgré tout. Je pense que si ils m’avaient rembarré dès le départ, je n’aurai pas insisté mais ils m’ont laissé une porte ouverte donc j’ai pris la liberté d’un peu insister.

Kiblind : Comment vis-tu la phase d’enregistrement ? Est-ce que tes morceaux ont un rapport avec les événements de ta vie, sont enregistrés à un moment précis ?Cankun : Sur les anciens enregistrements, non, ni la période, ni l’état émotionnel dans lequel j’étais n’avaient d’influence. Par contre, pour le dernier, le disque devait sortir chez Mexican Summer et je sentais que ça allait pas se faire. J’étais pas déprimé mais plutôt dans une phase assez mélancolique. Le disque a vraiment évolué dans ma tête à ce moment là, ce qui fait que c’est pas un disque hyper joyeux je trouve, il est assez sombre et ça relatait effectivement mon état émotionnel du moment. Kiblind : Cette idée de lier sons ambient, lo-fi et rythmes “exotiques”, d’ou cela te vient-il ?  Cankun : J’ai toujours été un fan d’ambient, donc c’est quelque chose qui me parle et qui est assez présent dans toutes mes créations. J’ai vraiment beaucoup de mal à enregistrer et même à écouter des disques très bien produits avec un son hyper clean etc. Ça ne me parle pas, comme si il manquait un peu d’âme dedans, de grain. On ne peut jamais dire jamais, mais c’est vraiment pas quelque chose qui m’attire. En plus, j’adore enregistrer chez moi, du coup, j’ai un matériel très limité en terme de qualité sonore. Et pour ce qui est de la rythmique, je ne sais pas trop. En fait, au début j’étais un peu esclave du matériel que j’avais, j’avais une boite à rythme qui avait des années derrière elle. Je suis venu assez naturellement vers des rythmes assez exotiques. Et comme je disais, j’écoute pas mal de free jazz, je suis assez influencé par le mix batterie / basse qui est la base de la rythmique. Je suis vraiment intéressé par le côté un peu africain du beat, ce genre de choses. Kiblind : Tu parlais d’âme et de ressenti tout à l’heure. Comment aimerais-tu que l’auditeur se sente quand il écoute ta musique ? Qu’est ce que tu cherches à provoquer chez lui ? Cankun : Dans le premier album, je cherchais à provoquer de la rêverie, de la mélancolie. Je cherchais le côté un peu cool, un peu été indien. Je pense avoir évolué sur le dernier, j’ai voulu plus me rapprocher de ce que j’écoutais régulièrement et provoquer d’avantage d’émotions chez les gens, que ce soit en bien ou en mal, de la bonne ou de la mauvaise. L’idée était vraiment de faire que les gens soient plus attentifs à ce qui se passe, plutôt que d’écouter ça en fond. J’ai essayé d’avoir une démarche plus artistique.

Kiblind : Pour continuer sur cette lancée artistique, quels sont les visuels que tu imaginerais sur ta musique ?  Cankun : Plusieurs choses me sont passées par l’esprit. Comme je te disais, je suis assez inspiré par la nature, c’est quelque chose d’assez profond que je porte en moi depuis une dizaine d’années. Ça a décuplé depuis que je vis en Lozère. Il y a un film que j’adore, There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson, il m’a beaucoup marqué et influencé dans le processus d’élaboration du disque pour les paysages déjà et pour l’aspect humain du personnage central, qui est joué par Daniel Day-Lewis. C’est cette espèce de complicité entre un gars affreux et quelqu’un qui déteste l’humanité qui me plaisait. J’ai aussi beaucoup regardé Gerry de Gus Van Sant qui m’a replongé dans ce genre de paysages très ouest américain. Je ne suis pas un grand dévoreur de livres mais je suis très très influencé et influençable par le cinéma. Le titre en lui même du dernier EP m’est venu avec l’histoire de la mission Rosetta, cette petite sonde qui a atterrit sur une comète. Il y avait des photos assez incroyables, ça m’a bouleversé et j’ai décidé d’en faire mon titre. Kiblind : Quelle est la principale différence selon toi entre Only The Sun Is Full Of Gold et tes précédents EP ? Cankun : J’ai voulu revenir à ce que je faisais au début, revenir à quelque chose de plus abrasif, complexe, essayer de casser l’effet loop des anciens disques. Je voulais arriver à des morceaux beaucoup plus construits, avec une vraie trame. Des morceaux où l’on se perd avec des types de rythmes différents, quelque chose de très fouilli, un peu complexe parfois quitte à ce que les gens adhèrent un peu moins. Mais le but c’était d’arriver à quelque chose de presque progressif en terme de musique. C’est la première fois où je voulais mettre autant de musique sur un disque, ça ne s’est pas forcément fait pour des raisons budgétaires. J’avais envie de quelque chose de très massif, dark et imposant. Je n’avais plus de tout le côté pop sur celui-là que j’avais complètement éradiqué, je l’avais par contre beaucoup sur le précédent. Je suis passé à autre chose maintenant. Kiblind : Te sens-tu faire partie d’une scène française à part entière avec Holy Strays ou encore High Wolf ? Qu’est ce qui vous rapproche selon toi, à part une démarche musicale assez similaire ?  Cankun : Avec Max (High Wolf), on a commencé un peu en même temps. On a été regroupé par Bruno de Ruralfaune (fondateur du label du même nom). On a fait plusieurs concerts tous ensemble, il y a une espèse de cacophonie assez rigolotte. C’est vrai qu’on a commencé en même temps avec Max, on a eu à peu près le même parcours sauf qu’on a une démarche différente, il veut tourner le maximum. Moi c’est plutôt l’inverse, je veux faire le maximum de choses et tourner si je peux, mais c’est pas ma priorité. Je me sens quand même plus proche de lui que de Holy Strays même si c’est quelqu’un d’adorable que j’aime beaucoup humainement. Musicalement, il fait des choses beaucoup plus produites, avec un son très clair, clean et il est dans une démarche où il cherche plus à vivre de sa musique que de faire du Do It Yourself comparé à moi, ce qui n’est bien sûr pas un reproche du tout. On a heureusement tous des parcours totalement différents et je ne pense donc pas qu’on fasse partie de la même scène même si on a pu être sur le même label. Je pense que ni eux ni moi ne soient adossés à une scène en particulier. Après, c’est vrai qu’on est quand même pas hyper nombreux en France à faire des choses particulières comme ça, il y a aussi Alice de Chicaloyoh, Félicia Atkinson. On a tous grandit au même moment mais on a pas forcément la même vision des choses sur la musique.

Cankun

Kiblind : On observe un phénomène de retour des musiques africaines etc avec par exemple Awesome Tapes from Africa qu’on voit se produire en live un peu partout, penses-tu que l’on cherche à pousser les limites géographiques en terme de recherche rythmique ? Cankun : Je pense que c’est quelque chose qui a toujours existé. Ces musiciens sont mis en lumière maintenant mais il y a toujours eu des mecs passionnés par ça, les mêmes qui cherchaient des vinyles introuvables comme de l’afrobeat au Ghana et compagnie. J’ai pas vraiment un avis tranché sur la question. C’est toujours bien de faire découvrir de la musique du monde entier. Après, le côté un peu hype qui tourne autour, je sais pas si ça profite à beaucoup de gens, surtout aux musiciens. C’est sûr que c’est rigolo le côté un peu défricheur et il y a forcément encore des milliers de choses à découvrir. C’est intéressant mais bon, je ne connais pas l’exploitation commerciale de tout ça donc je ne me rends pas bien compte mais potentiellement, il y a aussi des milliers de choses à retrouver même en France au niveau de la musique psychédélique etc. Il sort autant de choses maintenant qu’il y a trente ans. Moi, tout ce côté afrobeat, musiques asiatiques, j’en écoute pas vraiment donc je peux pas avoir un avis tranché sur la question. Kiblind : Tu avais évoqué le désir de jouer avec un batteur en live, penses-tu concrétiser cela pour ton prochain tour ?  Cankun : C’est quelque chose auquel j’ai toujours pensé. Je suis pas très à l’aise seul sur scène donc ça m’a effectivement traversé l’esprit. Le problème, c’est qu’il faudrait quelqu’un qui soit presque corvéable à merci, qui soit sur la même longueur d’onde, disponible en même temps que moi pour répéter… En plus, je suis dans un endroit assez isolé donc c’est compliqué. J’ai déjà fait plusieurs collaborations avec des gens avec qui j’aimerais tourner. J’y pense depuis maintenant quelques années mais je suis pas sûr que ça puisse se produire. Dans l’idéal, j’adorerai tourner à deux, ne serait-ce qu’essayer au moins une fois. J’aimerais voir si ça me permet d’étoffer un peu le set et de faire moins de choses samplées.

Cankun

Kiblind : En parlant de collaborations, y a t’il des artistes en particulier avec qui tu aimerais travailler ?

Cankun : Dans le meilleur des mondes, il y en aurait plein. En ce moment, il y a un allemand qui s’appelle Black to comm qui fait de l’ambient que j’aime beaucoup. Mais il y a surtout un artiste pour qui j’ai une grande admiration : Loren Chasse. Il n’est plus très actif en ce moment, mais il a sorti beaucoup de choses entre le milieu et la fin des années 2000. C’est un mec qui a une recherche sur le son assez extraordinaire selon moi donc j’adorerai faire quelque chose avec lui. Dans le meilleur des mondes bien sûr.  

Kiblind : On a remarqué ton goût pour l’illustration notamment avec tes pochettes dessinées par Valerian7000, quel est ton rapport à l’art ? Penses-tu à ajouter du visuel lors de tes lives ?  

Cankun : Depuis le début de Cankun, le visuel a toujours été super important. C’est pour ça que j’ai toujours utilisé la même personne pour garder le même univers. J’ai toujours accroché à ce que faisait Valerian et j’ai eu de la chance par rapport à cette rencontre. Pour les lives, j’en ai déjà fait un ou deux avec des vidéos en fond, c’était intéressant mais c’est pas non plus une obligation. Une collaboration totale vidéo musique est peut-être à venir. Je commence à réfléchir à des choses. C’est vrai que c’est hyper important et artistiquement, c’est bien de pouvoir mélanger deux choses et d’avoir une proposition beaucoup plus complète. Donc oui, ça me branche complètement. J’espère arriver à un vrai concept grâce à cette association. 

CANKUN // Acheter Only The Sun is Full Of Gold // Hands In The Dark // Not Not Fun

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