On était curieux de voir comment l’illustrateur Lucas Burtin allait illustrer l’histoire de la voleuse de diamants Doris Payne dans notre numéro Faits Divers. L’oeuvre a été à la hauteur de son travail : sublime et sensible. On vous présente l’illustrateur lillois avec une interview, parce qu’il était temps.
Il faut être sacrément fort pour résumer une histoire en une image. Alors que celle-ci peut s’étaler sur des pages et des pages remplie d’adjectifs et d’effets de styles utilisés dans le but de titiller nos émotions, l’illustration ne passe pas par quatre chemins. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’on l’utilise en complément des textes, tant sa puissance de frappe est immédiate. Le mot « narration » est un mot que vous lirez plusieurs fois dans l’interview qui suit et on comprend vite pourquoi : celui qui l’emploie, Lucas Burtin, est un as lorsqu’il s’agit de raconter à travers une image. Maniant le trait fin et la palette de couleurs intelligente, Lucas sait comment installer une ambiance et provoquer une émotion.
C’est d’ailleurs ce qu’il a fait avec la sublime bande dessinée La Plus Belle Plage du Nord co-écrite avec son comparse de toujours, Sun Bai, et sortie chez Fidèle. Depuis, l’illustrateur ne cesse de nous emporter dans son univers sensible. Pour notre numéro Faits Divers, nous avons demandé à Lucas de dessiner l’histoire de Doris Payne, éternelle voleuse de diamants. Et bien sûr, on en profite pour lui poser quelques questions.
Quel est le fait divers qui t’as le plus marqué ?
Est-ce que vous connaissez l’histoire de la disparition de l’amiral Richard Byrd ? Lors d’un survol du Pôle Nord en 1946, il a disparu. On a retrouvé son carnet de bord dans lequel il affirme avoir été accompagné par des intra-terrestre jusqu’au centre de la Terre.
Cette histoire est fantastique. Elle fut pour moi la porte d’entrée vers une théorie bien plus vaste, la Terre Creuse. Selon cette théorie, la Terre serait creuse et renfermerait le vaste continent de l’Agartha. Si celle-ci semble si populaire, c’est qu’elle paraît avoir la capacité d’agréger tout un ensemble de théories mêlant Ovnis, enfants Indigos, Anunakis ou encore cité secrète Nazis en Antarctique. Cette histoire m’a été contée en navigant de blogs en blogs, à la manière des livres dont vous êtes le héros. Une théorie en amenant un autre, je me suis retrouvé au milieu d’une infinité de strates farfelues. On retrouve toute une cosmogonie fascinante accompagnée d’archives plus ou moins douteuses, allant de cartographie complètes de l’Agartha jusqu’à des photographies d’OVNIs…
Comment as-tu appréhendé l’illustration de Doris Payne qu’on t’as demandé de réaliser pour notre numéro Faits Divers ?
Je ne connaissais pas du tout Doris Payne alors ça a commencé par pas mal de recherche. J’ai collecté beaucoup d’images (Je collecte toujours un paquet d’images). Ensuite est venue la structure. Rien ne me paru spectaculaire dans les crimes eux même, c’est la vie de Doris Payne dans son ensemble qui est fascinante. Je suis donc plutôt partie sur un portrait.
La composition de ton illustration est intéressante, peux-tu nous en parler un peu plus ?
La composition découle d’une première structure que je réalise à partir des images trouvées. Dans ce cas là, je cherchais une composition qui rappelle la bande dessinée tout en conservant une fonction décorative (moins une narration en tant que telle qu’un ensemble d’idées rassemblées).
Pourquoi as-tu décidé de représenter la criminelle lors de son arrestation et non au moment du délit ?
Le choix de présenter Dora Payne au moment de son arrestation s’est fait pour deux raisons, d’une part, j’aimais l’idée de n’évoquer le crime que par la présence de ces lignes horizontales noires caractéristiques d’une imagerie carcérale que l’on a tous en tête. Un simple élément graphique (5 lignes noires) se charge d’un sens plus large. D’autre part, ce qui m’a le plus marqué dans cette histoire c’est que Doris Payne n’a jamais pu s’arrêter. Il y avait quelque chose de véritablement obsessionnel chez elle. C’était la tâche de toute une vie alors il fallait trouver une manière de déployer cette vie entière.
Tes illustrations sont souvent très aérées avec une palette de couleurs réduites. De quel(s) courant(s) artistique(s) te sens-tu le plus proche ?
Concernant la palette de couleur, c’est généralement pour moi tout un jeu avec la matière de l’impression. C’est une cuisine très expérimentale, j’imprime, je scanne, je réimprime, je rescanne, j’ajuste mes couleurs… Dans mes illustrations, je travaille généralement avec une imprimante jet d’encre. J’ai donc commencé par ne coloriser qu’avec des calques de Cyan, Magenta, Jaune et noir, une manière de rejouer un système de ton direct propre à la sérigraphie ou la risographie. Je ne pense pas qu’un mouvement en particulier m’influence mais tout un tas d’artistes sont très importants pour moi. Je suis généralement attiré part des auteurs qui sans jamais abandonner la narration, réfléchissent leur medium. Les dernières bandes dessinées qui m’ont marquées, ce sont celles de Joe Kessler. Ses images de nuit sont sublimes. Il arrive à retranscrire des ambiances fascinantes avec des jeux de superpositions de couches mais toujours, il conserve une narration solide. Je me suis régalé avec »Windopane » et son dernier »Gull Yettin ». Dans ce dernier il arrive à utiliser le mutisme de sa bande dessinée pour attirer toute notre attention sur l’image.
Tu as l’air de beaucoup t’intéresser à l’impression et à l’édition, est-ce quelque chose que tu pratiques régulièrement ?
Comme je le disais précédemment la question du formalisme est essentielle pour moi. C’est probablement ce qui m’a poussé vers l’auto-édition au départ, la possibilité de maîtriser de A à Z le processus de production. J’ai commencé dans l’édition avec Soleil d’hiver, un duo que je forme avec Sun Bai au sein duquel on présente notre production de Fanzine dans des salons ou des expositions. En général, j’essaie d’évacuer le façonnage de l’objet rapidement pour me centrer pleinement sur l’impression, c’est pourquoi j’opte souvent pour des formes simples. Depuis peu, nous avons fait l’acquisition d’un duplicopieur Riso, ce qui change pas mal le processus.
Grillons, publié par Soleil d’hiver Extrait de Maidon, publié par Soleil d’hiver
Peux-tu nous citer 3 projets d’illustration que tu as réalisé et qui ont eu une importance particulière pour toi ?
Alcôve, c’est un label de musique avec lequel je collabore depuis ses débuts. Je réalise l’ensemble de leurs cassettes. Alcôve est un label qui mélange musiques expérimentales et captations sonores. Le label s’intéresse à des musiques et sons qui n’évoquent pas directement une source, un instrument ou un lieu précis. Dans chaque cassette, nous explorons une planète différente.
La Plus belle plage du Nord est une bande dessinée, co-écrite avec Sun Bai. La Terre est désertée en prévision de la montée des eaux, un restaurant du Nord sert un dernier café à deux amis venus se dire au revoir. On suit cette femme qui se balade dans cette ville de bord de mer. Elle croise quelques personnes qui ne semblent pas encore décidé à partir. Le récit retrace le parcours d’une balade dans Dunkerque. C’était le Carnaval mais ce jours là, les festivités avaient lieu dans la ville voisine. Le temps était étrange, la rue vidée et dans le même temps, une sorte d’excitation grondait. On apercevait ça et là des personnes déguisées qui s’était éloignées du cortège. La première chose que l’on aperçoit en arrivant à Dunkerque, c’est cette immense usine toute rouillée.
Hérouville Saint-Clair, une série d’illustrations que j’ai réalisé avec le plasticien Thibault Jehanne. C’est la première série de pédales de la collection Les Premières Réflexions. Les pédales archivent les réverbérations de trois espaces amenés à être détruits : un gymnase, la chambre d’une maison pavillonnaire ainsi que le préau d’une école primaire. Pour ce projet, il s’agissait de penser la présentation de ces pédales. Nous avons fait le choix de les graver au laser avant de les insérer dans des boîtes sérigraphiées accompagnées de trois posters également imprimés en sérigraphie.