[Rencontre] Simon Hanselmann

D’une vie morose naît toujours l’humour noir de l’Australien Simon Hanselmann. Ce talent de la bande dessinée indépendante a fait paraître fin octobre Happy Fucking Birthday (Misma Éditions) l’édition française du quatrième opus de sa série Megg, Mogg & Owl. Nouvelles aventures senteur cannabis pour la sorcière dépressive amoureuse de son chat et leur colocataire hibou.

Fallait-il donc meilleure occasion pour une exposition à la Galerie Martel ? Maison pour artistes de la scène graphique internationale, la galerie parisienne accueillait pendant deux mois le travail de cet artiste étonnant aux dessins légers et presque enfantins que soutiennent des histoires trash qui sentent le vécu.

Pénétrez dans la Galerie, Simon Hanselmann vous tend une main aux ongles vernis en rouge, qui rappellent la couleur de la robe qu’il portait pour le vernissage de son exposition. Le dessinateur australien de 36 ans assume depuis quelques temps cette passion pour le féminin qui remonte à l’enfance. N’étant ni trans, ni homo, il savoure ce plaisir qui est le sien de s’habiller en femme quand ça lui chante. Paris lui offre une respiration. C’est la première fois qu’on lui accorde une exposition personnelle de ce genre, dans une vraie galerie. Rien à voir avec l’installation solo montée en 2007, lors d’un projet commun d’artistes, lorsqu’il vivait encore en Tasmanie. C’est là-bas qu’il est né en 1981, sur cette île au Sud de l’Australie où il ne veut surtout pas retourner. Il grandit aux côtés de sa grand-mère et de sa mère accro à l’héro dans un quartier où il n’y a pas grand-chose à faire et où le chômage est élevé. Il se met à dessiner à 5 ans et imprime de petits zines avec les moyens du bord trois ans plus tard. Fumeur de weed à 10 ans, il arrête l’école avant ses 15 ans et vit de petits boulots en continuant à dessiner. Simon a l’esprit vif et persévérant, de toute manière, il ne veut rien faire d’autre. En 2006, le magazine Vice fait appel à lui pour un numéro spécial comics. Ses personnages Megg, Mogg et Owl, il les a créés depuis quelques années déjà. C’est finalement grâce à la diffusion de ses planches sur Tumblr en 2012 que Simon est repéré par l’américain Fantagraphics et l’européen Misma, ses éditeurs actuels.

 

Book Plate for Gosh Comics – 2014 © Simon Hanselmann

 

Megg la sorcière et Mogg le chat passent le plus clair de leur temps à boire de l’alcool, matter la TV et fumer des joints vissés au canapé de leur salon. Ça, quand ils n’emmerdent pas leur colocataire Owl, le hibou, qui essaye lui de vivre une vie normale. Un train-train bien à eux dont il semble tous s’accommoder – sans vraiment avoir le choix – et qui déconstruit leurs vies pour une existence plutôt trash. Qu’est-ce que ça a d’amusant, on se l’demande, et pourtant ça l’est… A la fois drôle et sensible, provocateur et grotesque, à la limite du stupide tout en étant intelligent, le travail de Simon Hanselmann a bien des choses à nous offrir. A commencer par l’esprit de ce dernier. Ses personnages font entièrement partie de lui. « Ce qu’ils sont s’appuie sur ma vie…ma mère accro à la drogue, mes amis défoncés et alcoolos avec qui j’avais monté un groupe quand j’avais la vingtaine. Il y a la sorcière, le chat, le hibou mais j’ai essayé de créer quelque chose de très réaliste, qui dirait la vraie vie. Ça parle de ma vie, des choses que j’ai faites, d’horribles choses, que moi et mes amis avons fait. »

One More Year, Secret – 2016 © Simon Hanselmann

 

On remarque chez lui, un trait léger et enrobant que limitent des bulles carrées (en gaufrier) détaillant en plans larges ou resserrés le quotidien des personnages. Regardez leurs yeux pour évaluer leur degré de défonce. Pour les moments bordéliques, Hanselmann s’accorde la liberté de la forme et de la couleur. Pour les instants d’accalmie, il construit des tableaux souvent nocturnes, qui ont quelque chose des livres de l’enfance et que l’on retrouve en début et fin d’album. Des pleines planches que l’on peut voir en ce moment aux murs de la Galerie Martel, au milieu de nouveautés spécialement dessinées pour l’exposition et complétées par des planches extraites de ses BD.

Megahex Front Endpaper – 2013 © Simon Hanselmann

 

« J’aime beaucoup cette couverture pour un album américain que j’ai réalisé, Worst Behaviour. C’est un ami à moi qui l’a publié, celui qui vendait mon travail (« my art dealer »), un bon ami qui s’est suicidé l’année dernière. Ça n’a pas été facile… Oui, j’aime beaucoup les couleurs de cette image. C’est une pièce très personnelle que je ne voulais pas vraiment vendre parce qu’elle signifie beaucoup pour moi. Mais finalement…elle est vendue, c’est une des premières à s’être vendue. » « On voit mes personnages courir à travers bois. Ils sortent d’un restaurant chic où ils ont pissé sur le sol, fait d’horribles choses, ils ont été très rustres, très vulgaires. Donc ils s’enfuient, s’imaginant que la police va les poursuivre. Une de ces aventures que j’ai en quelque sorte vécue, quand j’avais bu et que je fuyais les flics. » Une aventure, parmi d’autres toujours pleines de folie et d’humour à retrouver dans le dernier tome de la série paru le 24 octobre chez Misma.

Ophelia, inédit – 2017 © Simon Hanselmann

 

Megg and Mogg in Amsterdam – 2015 © Simon Hanselmann

 

« Megg, Mogg & Owl parle de la part horrible du quotidien. Tous les matins je me réveille et c’est déconcertant d’être en vie. Je ne m’y fais pas. D’être dans cette prison de chair, d’être ce squelette animé, cette viande vivante qui pense, piégée par ses sentiments. Ils ne veulent pas se suicider. Ils se lèvent tous les matins et font ce qu’ils peuvent pour surmonter tout ça en prenant de la drogue, regardant la TV, en baisant… Ils essayent juste de se débrouiller. »

 

The Cuck, inédit – 2017 © Simon Hanselmann

 

« Ça leur arrive de regarder le ciel, les étoiles, la lune, de réfléchir à leur vie, à leur addiction. Le gros de cette série parle d’addiction, de drogue, de l’usage qu’on a de la drogue, du fait de fermer les yeux sur la réalité et de ne pas vouloir s’en sortir. Lorsqu’ils regardent la lune, c’est à ça qu’ils pensent, au fait qu’il faut qu’ils purifient leur vie, qu’ils arrêtent d’être des êtres de nuit, si dégoutants. Mais c’est dur de changer, c’est une des choses les plus difficiles à faire, de se reprogrammer, de se créer de nouveaux rituels, de faire des choix plus sains. Je me débats avec tout ça, ma mère aussi. Nous verrons comment ces personnages vont changer au fil des ans, j’espère qu’ils pourront s’améliorer un peu. »

Megg and Mogg in Amsterdam – 2016 © Simon Hanselmann

 

« Ces personnages sont une thérapie, surtout considérant la suite sur laquelle je travaille en ce moment, sur ma mère, sur le traitement de l’addiction. Aujourd’hui, ils sont encore un peu stupides, mais ils vieillissent donc il faut vraiment qu’ils commencent à réfléchir à ce qu’ils sont. Comme moi, j’ai 36 ans, il faut que je pense à ma santé, arrêter de prendre des drogues, boire autant, que je mette un peu d’ordre dans ma vie. »

Untitled, inédit – 2017 © Simon Hanselmann

 

Ses personnages sont le produit de tout ce qu’il a connu et ils devront faire face à leur passé, comme Simon Hanselmann fait face au sien. Megg qui voit régulièrement une psy et souffre d’une phobie des squelettes, a pourtant une intelligence bien à elle, cette sensibilité qui la rend attachante et dont les tenants et aboutissants nous seront révélés dans un prochain album en préparation. « Le prochain album sera terrible pour ma mère, il lui brisera probablement le cœur. C’est un regard dur que je porte sur la manière dont elle m’a élevé puis laissé tomber. Je suis inquiet. J’ai commencé cet album en 2012 et j’ai arrêté. Je pleurais en l’écrivant. C’est thérapeutique mais compliqué de prendre de la distance sur ce qui m’est arrivé, sur mon enfance. Mais il est temps. Il faut aller vers ces questions plus sérieuses pour éviter que mes lecteurs ne se lassent, Megg, Mogg et Owl font toujours la même chose, je ne peux pas dessiner ça éternellement donc il faut vraiment que j’emmène l’histoire plus loin. »

Happy Fucking Birthday, inédit – 2017 © Simon Hanselmann

 

Simon Hanselmann vit aujourd’hui à Seattle avec sa femme. Il n’a d’autres objectifs que de continuer à dessiner. Il souhaite quand même s’éviter désormais l’angoisse du travail ininterrompu, qui l’aide à oublier ce corps dont il ne sait que faire, peut-être sortir de la maison… En espérant que Megg, Mogg et Owl fassent de même.

 

 

Toutes les planches de l’article sont visibles à la Galerie Martel – 17 rue Martel, Paris 10 e –
exposition Simon Hanselmann jusqu’au 18 novembre.

Happy Fucking Birthday – Tome 4 de Megg, Mogg & Owl, paru le 24 octobre aux éditions
MISMA, 128 p. – 25€

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