Interview Drapeau Noir

L’élégance masculine n’est pas une vérité masquée, mais il se pourrait bien qu’elle soit noire comme le château où flotte l’étendard notre drapeau… Discussion avec Nicolas Barbier, créateur de la marque Drapeau Noir.

Après avoir vu débarquer tout récemment le vaisseau Drapeau Noir sur les vestiaires et les shops les plus chics de l’hexagone, nous avons voulu en savoir plus sur cette jeune marque française. Nous avons donc interviewé le distingué commandant du vaisseau à l’étendard pirate, Nicolas Barbier, avec qui nous sommes revenus longuement sur la philosophie de son projet, les enjeux à produire en Europe, les tendances de la mode masculine actuelle. Voyage de Paris à Bordeaux en passant par le Nord du Portugal, les ateliers de tissage japonais, Hunter S. Thompson et toute l’imagerie de la contre culture US.Il semble que parfois, certaines rencontres se doivent d’être faites assez rapidement… C’est par un concours de circonstances que nous nous trouvions dans la même ville avec Nicolas Barbier au moment où je lui disais que j’aimerais bien le rencontrer pour qu’il me parle de son projet Drapeau Noir. Deux jours plus tard, on buvait des cafés en terrasse sous le soleil bordelais et on discutait chiffons, confection, inspiration. Il en ressort une interview longue et précise, franche et inspirée, à l’image du créateur de ce projet qui nous a beaucoup (beaucoup) plu.

Kiblind : Bonjour Nicolas Barbier, vous êtes le fondateur de cette jeune marque française de vêtements pour hommes Drapeau Noir. Quelle est pour vous la « philosophie » de ce projet, ses origines et les façons dont vous concevez-pensez vos vêtements? 

Nicolas Barbier : J’avais ce projet en tête depuis longtemps : créer des vêtements simples, de qualité, que chacun a plaisir à retrouver saison après saison et qui restent accessibles. Je ne viens pas du milieu de la mode mais j’étais, et je suis toujours, un client attentif et plutôt exigeant qui s’intéressait aux vêtement et à la manière dont ils sont fabriqués. J’ai été sensibilisé par mon père qui a une vraie culture du vêtement et qui m’a transmis ce goût pour les belles matières et l’idée que, de manière générale, il vaut mieux acheter des choses de qualité que l’on pourra garder. La philosophie de Drapeau Noir est de conjuguer tout cela. En tant que client, je ne me retrouvais plus nécessairement dans l’offre disponible, j’ai décidé de me lancer en juillet 2013.

La conception est assez simple : j’essaye de créer des vêtements que j’ai envie de porter. Une conjugaison de basiques chics et décontractés qui me semble constitutifs de l’esprit parisien. La simplicité implique de ne faire aucune concession sur le choix des matières et sur la confection.  

Kiblind : Et vous vous y êtes pris comment concrètement pour dessiner, patronner, créer votre première collection? 

NB : (rires) oui en tant qu’avocat, je n’avais pas vraiment de savoir de couturier… Les choses se sont pourtant faites assez simplement, notamment grâce aux rencontres que j’ai pu faire dans les ateliers de confection. Sans eux, rien n’aurait été possible. J’avais des amis qui bossaient dans le milieu de la mode et qui m’ont aiguillé en me conseillant de concentrer mes recherches sur le Nord du Portugal. J’ai réussi à avoir quelques contacts, je suis ensuite allé là-bas, sur le terrain, j’ai rencontré beaucoup de gens et j’ai trié. Il y avait une double exigence : tout d’abord sur le plan technique avec une vraie exigence de qualité mais également sur le plan social. Je voulais que les ateliers répondent à certains critères. Je ne voulais pas d’usines mais bien des ateliers avec des conditions de travail satisfaisantes avec en trame de fond l’idée que le prix obtenu pour mes clients devaient également respecter ces partenaires. Une fois les bons partenaires trouvés, nous sommes rentrés dans la technique, nous avons discuté des modèles puis, prototypes après prototypes, nous sommes arrivés a ce que j’avais exactement en tête au démarrage du projet. Pour la partie matières, j’avais une idée très précise de ce que je cherchais, j’ai sélectionné mes fournisseurs parmi les meilleurs fabricants japonais et depuis je collabore avec eux. Qu’il s’agisse des fabricants de tissus ou des façonniers avec lesquels je travaille, l’idée est d’inscrire les choses dans la durée, collections après collections, de créer une certaine continuité. 

Kiblind : Vous abordez ici le tissu japonais et des ateliers de fabrication au Portugal. On se rend compte qu’aujourd’hui, de grandes marques telles qu’Our Legacy, Opening Ceremony, d’autres françaises comme Homecore et APC produisent au Portugal avec du tissu souvent nippon… Aller au Portugal c’était pour vous la bonne formule à suivre pour que ça fonctionne? Que pensez vous d’un projet comme celui de Déborah Neuberg et sa ligne de vêtements pour homme De Bonne Facture qui ne souhaite produire qu’en France? 

NB : Vous citez De Bonne Facture, une marque que je trouve intéressante pour son concept « un atelier / un savoir-faire ». Cela a du sens et je me sens assez proche de cette philosophie. Pour autant, si j’ai moi aussi commencé par faire le tour des ateliers français, notamment pour la confection de mes chemises, j’ai rapidement été confronté à la question des coûts. Une des composantes essentielles pour moi était et reste aujourd’hui le prix auquel nous proposons nos vêtements.

Je veux offrir de belles matières, que ce soit très bien fait mais que nos vêtements restent accessibles. Et à mon grand regret, ce n’était pas possible en France alors même que la qualité proposée au Portugal était équivalente ! Cependant lorsque je parle de prix, l’idée n’est pas de n’offrir que du prix. A ce titre là, j’aurais pu aller faire fabriquer en Chine. Je veux que la confection reste en Europe. Je veux travailler avec des ateliers reconnus pour la qualité de leur travail et que les conditions de production soient décentes. Mon souhait est d’aller chercher les savoirs-faire où ils sont et je ne m’interdis pas à l’avenir d’aller fabriquer ailleurs qu’au Portugal du moment que cela reste en Europe. 

Kiblind : Donc même en utilisant des tissus qui viennent pour beaucoup d’Okayama au Japon, vous gardez cette envie de produire en Europe et pas au Japon? D’autres marques n’hésitent pas à tout faire là bas pourtant… 

NB : J’y ai pensé et j’en ai même discuté techniquement avec certains de mes fournisseurs japonais car il y avait dans cette démarche une certaine logique. Mais, encore une fois, il y a une question de coûts. Quand tu fais venir un produit du Japon, il y a des barrières différentes à l’import selon le type du produit : tissus ou produits finis. Les taxes sur les produits finis sont plus importantes que sur le tissu.

Il y a une tradition et un savoir-faire de confection incroyable au Japon et je me sens complètement en phase avec l’exigence et le souci du détail qu’ils cultivent mais la différence de prix à l’arrivée sur le produit fini ne me semblait pas justifiable. Pour être plus précis, je dirais plutôt que je n’avais pas envie de m’engager sur ce terrain là. Le tissu que j’utilise par exemple pour faire mes sweats, est utilisé par des maisons de luxe. L’usine fabrique entre 7 et 10 mètres par jour sur des machines du début du siècle… Dans la mesure ou je n’ai fait aucune concession sur la qualité de la fabrication, je trouvais que j’avais déjà atteint, dans le vêtement proposé, un très beau niveau et un excellent rapport qualité/prix. Fabriquer au Portugal avec des matières haut de gamme me convient parfaitement.

Kiblind : À propos de cette « tendance » du tissu japonais, de cette mode du denim selvage « brut-authentico-vintage » par exemple, tu te positionnes comment? 

NB : Il y a effectivement une tendance mode « jap-selvage-je regarde d’où ça vient » qui est là… Est-ce que c’est un mouvement de fond? Est ce que cela correspond à une évolution de nos modes de consommation? Je ne sais pas vraiment. 

Oui, il y a aujourd’hui plus de clients qui s’intéresse au « comment c’est fait » et au « d’où ça vient », les médias, les blogs ont beaucoup contribué a cette évolution et c’est une très bonne chose. Il y a aussi plus de marques qui mettent cela en avant. Mais ce qui me semble essentiel aujourd’hui, au-delà de l’effet d’annonce, c’est de proposer des choses de qualité. Pour moi, c’est très agréable de travailler avec du tissu japonais car je sais que le client va pouvoir garder sa pièce longtemps. Mais c’est aussi parce que je sais d’ou vient le tissu et comment il est fabriqué. Il faut faire très attention avec cette tendance comme avec celle du « made in »… il existe de mauvais tissus japonais qui sont peu chers et il existe des ateliers de confections douteux au Nord de Paris qui permettent de faire du Made in France…. L’important est de savoir ce qu’on propose ou ce qu’on achète selon de quel point de vue on se place. La quasi totalité des fabricants japonais avec lesquels je travaille (notamment Kuroki, Nihon Menpu, Toki-Sen-I) sont détenteurs d’un véritable savoir-faire et c’est ça qui me paraît très important. Avec Drapeau Noir, je ne veux pas faire du volume à tout prix, et lorsque je choisis une matière, je veux en être fier, pouvoir garantir d’où elle vient, et être sur qu’elle va durer dans le temps. Pour autant, je ne m’intéresse pas qu’au Japon. Par exemple en ce moment, je travaille sur une prochaine collection et j’ai trouvé des tissus magnifiques en Italie, d’autres en Angleterre.

L’idée n’est pas de m’enfermer dans la combinaison Japon-Portugal. Ce qui m’intéresse c’est la culture des beaux produits et la mise en avant des savoir-faire. Est ce que c’est un argument aujourd’hui pour d’autres marques? Je pense qu’il y a tout de même un mouvement de fond où les gens font de plus en plus attention à ce qu’ils achètent. 

Kiblind : Et dans ton tour de France des ateliers évoqué précédemment, il n’y a pas des choses, des ateliers, des matières qui t’ont donné très envie de faire la confection dans l’hexagone? 

NB : Je reviens d’un rendez vous dans le sud-ouest chez l’un des derniers fabricants de lainages en France… Bien évidemment il y a cette envie là, bien évidemment il y a de très belles choses ici et je serais très fier de faire par exemple un manteau avec un tissu français, un truc 100% made in France mais je n’en fais pas un dogme… Mon dogme c’est le savoir-faire et la qualité. Je ne ferais pas du « Made in France » à tout prix. 

Kiblind : Ce qu’il y a d’assez étonnant dans ton projet et dans ta stratégie de communication, c’est le fait de s’appuyer dès le début sur « l’expertise » d’un réseau de boutiques françaises reconnues comme prescripteurs de modes à l’heure actuelle. Je pense à The Next Door à Avignon, Antik Boutik à Nice, Graduate à Bordeaux qui créent d’eux mêmes, avec l’aide des réseaux sociaux et de leurs masses de followers, des envies, des tendances à partir de marques qui émergent et qu’eux apprécient… 

NB : C’est lié à la nature même du projet ; je souhaite d’ailleurs remercier ces boutiques, The Next Door, Antic Boutik, Summer store à Lyon, Graduate, Novoid Plus à Aix, etc. Parce que ce sont des gens qui jouent pleinement leur rôle ! Des gens qui prennent des risques et qui accompagnent les créateurs. Ils étaient sceptiques au début puis m’ont écouté et m’ont fait confiance. Ils m’ont dit « ta démarche nous plait, ce que tu fais ça a l’air cool, on va donc tester ensemble, avancer avec toi ». Et quelque part, il n’y avait pas de « stratégie de comm » au sens « calcul », je trouvais ça complètement légitime de m’appuyer sur eux.

Ce sont des gens passionnés, de vrais amateurs capables d’expliquer à leurs clients comment est fabriquée une chemise, dans quel tissu, par qui et où elle est conçue. Une fois qu’ils « expliquent » ton produit dans un magasin, et bien il a dix fois plus de chance d’être vendu que s’il est posé dans les rayons de quelqu’un qui n’y connaît rien. C’est aussi cela qui explique leur succès et le fait qu’il soient prescripteurs : ils sont toujours les premiers à sentir les choses et ils connaissent très bien leur boulot ! C’est grâce à eux que l’aventure Drapeau Noir a pu démarrer et je les en remercie encore une fois très sincèrement aujourd’hui. 

Kiblind :  Mais en terme de « marketing », il n’y a pas que cela puisque on sent chez Drapeau Noir une proximité raisonnée avec une certaine tendance masculine qui a à voir avec le combo surf-bécane-Sixtie’s américaines… Vous vous êtes aussi appuyé un peu sur cet imaginaire non? On a vu les mecs de chez Blitz devenir en quelques mois des icônes de ce mouvement revival et des icônes pour Double RL, Edwin. Vous semblez sensible à cet univers aussi, et ça se ressent chez Drapeau Noir… NB : « Proximité raisonnée », j’aime beaucoup l’expression ! C’est très juste. Disons que cet univers graphique et visuel est lié à mes centres d’intérêt et à l’esprit de la marque. Dans Drapeau Noir, il y a une idée de liberté, d’être soi-même et certainement la nostalgie d’une époque révolue qui me semblait plus « libre ». Mais, je ne veux pas tomber dans la caricature où pousser l’image de la marque vers des choses très typées.  Ça reste en trame de fond, c’est comme ça, les gens qui m’inspirent et que j’avais en tête lorsque j’ai créé cette marque ce sont des gens qui vivent différemment, un peu en marge, Miki Dora, Hunter Thompson, les bikers d’Easy Rider, toute la contre-culture US des 70’s et son univers visuel.

Pour moi le « mec » Drapeau Noir, n’est pas forcément quelqu’un qui fait de la moto vintage, ce n’est pas forcément un surfeur, mais c’est quelqu’un qui aime les belles choses et les grands espaces et qui peut être simplement sensible à cet univers et aux valeurs que cela véhicule. Concernant Blitz, je crois qu’ils sont vraiment sincères, je les ai croisés deux, trois fois sur des événements, ils font vraiment des motos dans leur garage, et ils le font très bien. La façon dont les marques veulent s’approprier ce « mouvement » et ses représentants, cette tendance comme tu dis, c’est un autre débat… 

Kiblind : Je crois qu’ils sont sincères oui, puis, Goddam!… Ils font de sacrés belles motos… (rires) Et la suite? il y a quoi au programme pour les prochaines collections? 

NB : Dans les semaines qui viennent, arrive une nouvelle collection : toujours des chemises, des sweats et des teeshirts avec des tissus japonais, notamment de chez Toki Sen-i. J’ai déjà fait des sweats avec eux pour la première collection et la on étend sur des t-shirts avec des tissus assez incroyables. Puis pour la collection Automne-Hiver 2015 sur laquelle je travaille actuellement, on passe à la vitesse supérieure avec l’idée de proposer un vestiaire complet.  Je travaille sur des vestes, des pantalons, notamment un jeans selvage japonais très beau. De la flanelle italienne de chez Vitale Barberis pour un costume. On reste toujours dans l’esprit Drapeau Noir, l’idée n’est pas de proposer une pièce ultra classique mais plutôt des choses déstructurées avec une veste non doublée qui nous oblige à faire particulièrement attention aux finitions. Des chinos selvage aussi, des pulls, etc… 

Des collaborations, pour l’instant, il y a des choses en discussion, mais la priorité pour moi en ce moment c’est de bien enraciner la distribution pour les prochaines saisons, de consolider les relations avec nos distributeurs et de travailler en profondeur avec eux plutôt que d’être présent partout.Pour en savoir +

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Crédits vidéos: ©The Willis Willis / Drapeau Noir (2014)

Crédits images: ©Drapeau Noir

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